Le conflit qui dure depuis plusieurs années au Kivu a pris une nouvelle dimension avec la prise de Goma par le mouvement du 23 Mars. Une guerre qui témoigne des défaillances économiques et sociales du Congo et qui menace la stabilité du pays.
Accélération de la guerre au Nord-Kivu. En juillet 2024, un rapport de l’ONU soulignait que les affrontements qui durent depuis une décennie avaient provoqué le déplacement de 1,7 million de personnes au Nord-Kivu et près de 500 000 vers le Sud-Kivu. Courant janvier, les affrontements se sont emballés pour aboutir à la prise de Goma, la ville la plus importante du Nord-Kivu. L’imbrication des acteurs rend la compréhension de la crise particulièrement complexe.
D’un côté, le mouvement du M23, organisation militaire fondée en 2012 par d’anciens soldats de l’armée congolaise et des ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). De l’autre, l’armée congolaise, qui s’appuie sur des groupes rebelles comme proxy, notamment les Wazalendo, des groupes armés qui terrorisent les populations civiles à Goma.
Le président rwandais, Paul Kagamé, accuse le Congo de soutenir les rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe militaire d’opposition à Kagamé. Quant à Félix Tshisekedi, il reproche à Kigali son appui au M23, qui est majoritairement composé de tutsis. Cette situation conflictuelle remonte au génocide de 1994 et n’a fait que s’aggraver depuis lors.
Une guerre sale
Le rapport de l’ONU cité plus haut souligne les dérapages multiples de cette guerre. L’armée congolaise fait ainsi usage d’enfants soldats, alors même que le Congo a ratifié les accords internationaux interdisant cette pratique. Plus récemment, le Congo a fait usage de méthodes expéditives pour éradiquer la criminalité. Les kuluna, des bandits urbains organisés qui saccagent certaines grandes villes, dont Goma, ont ainsi été arrêtés et condamnés à mort, d’une façon dont beaucoup reproche des méthodes expéditives et non conforme au droit. Amnesty International a ainsi demandé aux autorités de la RDC de suspendre les exécutions, rapporte BBC Afrique, reprochant notamment le fait qu’un grand nombre de prévenus aient été incarcérés dans la prison d’Angenga. « Une prison où des dizaines de détenus sont morts de faim et de maladies par le passé. » Les organisations craignent des exécutions sommaires, organisées dans le cadre de jugements hâtifs.
Le Congo est donc pris entre plusieurs feux. D’un côté, une perte de terrain au Kivu, de l’autre des bandes armées qui terrorisent les populations civiles, qui ne peuvent plus sortir de chez elles après 20h, y compris à Kinshasa.
Un pouvoir sur la sellette
Le gouvernement de Félix Tshisekedi est plus que jamais sur la sellette. Après avoir promis la fermeté au Kivu et la défense coûte que coûte de Goma, l’armée congolaise a montré son inefficacité, engendrant des mouvements de protestation dans la capitale et des attaques des ambassades, dont l’ambassade de France, où le service des visas a été incendié. Alors que plus de 2 500 km sépare Kinshasa de Goma, les événements des Grands Lacs ont de lourdes répercussions sur les rives du fleuve Congo. Gangrené par la corruption et les défaillances économiques, le Congo ne parvient pas à fournir un avenir à sa jeunesse. La lutte contre le Rwanda devient alors un exutoire pour canaliser la colère de la foule. Mais avec la prise de Goma, tout s’accélère.
Félix Tshisekedi est précipitamment rentré du forum de Davos, afin d’assurer le contrôle du territoire et de l’armée. La situation au Kivu n’est pas sans rappeler celle de 1997, quand Laurent-Désiré Kabila, avec le soutien du Rwanda, avait renversé Mobutu et pris le pouvoir. Assassiné en 2001, il fut remplacé par son fils, Joseph Kabila, président du Congo de 2001 à 2019, auquel beaucoup reprochaient une filiation faussée, l’accusant d’être en réalité rwandais, ce qui était alors très mal perçu au Congo. L’animosité du Congo à l’égard des Rwandais, et notamment des tutsis, fut ainsi un moteur politique pour lutter contre Kabila fils mais aussi pour entretenir les guérillas luttant contre le gouvernement de Kagamé. Un antagonisme de longue date qui trouve une nouvelle dimension avec la prise de Goma.