<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les géopolitiques américaines

20 octobre 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : La Maison Blanche, siège du Pentagone © Unsplash

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Les géopolitiques américaines

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La géopolitique d’un pays n’est pas seulement guidée par sa géographie. Devant lui plusieurs voies s’ouvrent qu’il peut explorer ou négliger selon les hommes qui le dirigent. Les changements de majorité politique prennent ainsi une grande importance. Cela sera-t-il le cas après les prochaines élections ?

Encore aujourd’hui, les disparités géographiques sont fortes aux États-Unis : un démocrate de Boston a peu en commun avec celui de Géorgie. Un républicain californien partage rarement l’opinion de l’élu du Michigan, y compris en politique étrangère. Cet émiettement est d’autant plus complexe que la politique étrangère est souvent reléguée en périphérie des campagnes électorales.

Walter Russel Mead, dans Special Providence, a donc divisé schématiquement en 2002 la politique étrangère américaine en quatre grandes tendances transverses mais un peu datées :  « Jeffersoniens » (pour simplifier, idéalistes et isolationnistes), « Jacksoniens » (réalistes et nationalistes), « Hamiltoniens » (réalistes et isolationnistes) et « Wilsoniens » (idéalistes et interventionnistes).

D’un point de vue économique, ces dernières années, démocrates et républicains ont eu tendance à se séparer plus nettement en gauche et droite. À l’international, les clivages sont plutôt réaliste/idéaliste ou isolationniste/interventionniste. Il faut donc croiser ces oppositions avec le dégradé idéologique qui va de la gauche progressiste à la droite conservatrice.

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Le jeu des quatre familles

À la gauche du parti démocrate, les restes de l’opposition pacifiste au Vietnam et à l’Irak sont vivaces. Une tendance isolationniste et altermondialiste dont Noam Chomsky voire Bernie Sanders sont aujourd’hui les étendards et que les néoconservateurs ont injustement attribuée à Barack Obama.

Plus au centre du parti démocrate se trouve une frange importante des « wilsoniens »; les partisans de la sécurité collective des droits de l’homme portée par un fils de pasteur à la Maison-Blanche de 1912 à 1920. Les Clinton sont ses héritiers. Ils ont en horreur l’isolationnisme et croient fermement en l’exceptionnalisme missionnaire de l’Amérique. Par un glissement sémantique, la patrie américaine des droits de l’homme est aussi la patrie de l’humanité. Ils sont passés du prêche humanitaire à la guerre mondiale pour la démocratie.

Ce courant « progressiste » n’est pas très éloigné des « néoconservateurs » qui ont vertement critiqué la « mollesse » (ou le réalisme de Barack Obama ?) et avaient dominé la politique étrangère du pays sous George Bush junior. Beaucoup soutiennent désormais Hillary Clinton. C’est que le néoconservatisme n’est pas un conservatisme. Il est né dans les années 1970 chez des démocrates. Idéalistes des droits de l’homme, ils défendent le système capitaliste libéral et s’inquiètent des progrès de l’URSS. Après tout, nous connaissons bien en France ce courant « libéral libertaire » et nous avons vu comment d’anciens gauchistes ont soutenu les interventions américaines au Proche-Orient. Ainsi dès les années 1970, les disciples du sénateur démocrate Scoop Jackson s’opposent au réalisme nixonien et forment la majorité des futurs néoconservateurs. Déçus par la mollesse initiale de Jimmy Carter et le pragmatisme de son secrétaire d’État Cyrus Vance, beaucoup rejoignent le camp républicain avec l’élection de Reagan. Les autres continuent à influer au sein du parti démocrate. Madeleine Albright et Hillary Clinton sont parmi ces faucons idéalistes restés au parti de l’âne pour contrer le pacifisme des gauchistes. Elles sont fidèles à la pratique belliqueuse de Kennedy et Johnson au Vietnam et à l’utopie néokantienne de Wilson.

 

À droite, les oppositions idéologiques sont aussi très diverses. Une petite minorité libertarienne représentée par Ron et Rand Paul est isolationniste. On peut la retrouver dans la nébuleuse du Tea Party. Partisane d’un État faible, elle souhaite revenir aux origines de l’Amérique. Âge d’or au cours duquel elle ne se préoccupait pas de politique mondiale mais tentait justement d’y échapper.

La majorité du parti républicain reste imprégnée par un mélange hybride d’exceptionnalisme à tendance impérialiste pour maintenir l’Amérique au premier rang. Les plus idéalistes comme George W. Bush et Donald Rumsfeld ont fusionné avec les néo-conservateurs Paul Wolfowitz et Richard Perle venus du parti démocrate. John McCain représente parfaitement ce courant et le sénateur de l’Arizona reste la meilleure carte des wilsoniens de droite parmi les républicains au Congrès.

Conservateurs vs néoconservateurs

Enfin un courant réaliste ou « jacksonien » réapparaît au grand jour quand les équipes présidentielles se frottent au pouvoir. Les héritiers de Theodore Roosevelt, Dwight Eisenhower, Richard Nixon et George H. Bush (père) incarnent au parti républicain une synthèse modérée entre le discours moral de la démocratie américaine et l’équilibre des forces internationales. Une politique d’endiguement plutôt que de terrassement de l’adversaire ; une détente plutôt qu’un affrontement militaire. L’intervention extérieure n’est pas une mission évangélique mais le rétablissement de l’équilibre où l’Amérique est primus inter pares. Henry Kissinger est le parangon de cette position qui est celle des véritables conservateurs ; à l’opposé de celle des « néo-conservateurs ».

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Ce courant réaliste a été incarné au parti démocrate par Harry Truman et Barack Obama. Ce dernier cite régulièrement les réflexions du général Scowcroft, l’ancien conseiller à la sécurité de Bush père et adjoint de Kissinger sous la présidence Nixon. Il a pris en compte l’idée que les États-Unis ne peuvent pas tout faire. Le parti démocrate version Hillary Clinton pourrait retomber après lui dans une dérive humanitaro-belliciste qui pourrait faire revenir les néoconservateurs au bercail progressiste. Un retour au clivage réaliste républicain vs idéaliste démocrate entamé par Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson au début du xxe siècle.

Hillary vs Donald

Le passage de l’ex-First Lady au département d’État entre 2009 et 2013 offre un aperçu de la politique étrangère que pourrait mettre en place l’épouse de Bill Clinton une fois revenue à la Maison-Blanche. Dépitée par le retour de Poutine au Kremlin mais enthousiasmée par les printemps arabes, Hillary Clinton a renoué avec ses positions de 2003. Alors sénatrice de New York elle avait soutenu l’intervention militaire en Irak décidée par son opposant républicain George W. Bush. Changement de régime et guerre humanitaire au nom des droits de l’Homme sont les deux mamelles de son discours. Au département d’État, elle cache mal son impatience face à la prudence stratégique de Barack Obama. En 2011, elle est au contraire bluffée par l’audace de Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy en Libye ; ce qui lui vaut aujourd’hui quelques déboires politiques et une audition par le FBI. Sa méconnaissance du Moyen-Orient a sans doute joué une part dans la mort de son ami ambassadeur Chris Stevens et de son équipe de protection. Ses tentatives de réécrire l’histoire de l’équipée aventureuse de Benghazi montre aussi que tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins politiciennes.

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Reste la position de Donald Trump, plus difficile à appréhender du fait des contradictions du personnage et de sa volonté de synthétiser toutes les droites américaines. D’un côté, il a la volonté de conforter l’hégémonie américaine, en particulier dans le domaine économique, ce qui le rattache à la tradition hamiltonienne. Primauté de l’économie qui a parfois été comprise comme un isolationnisme. D’un autre côté, Trump ne réduira probablement pas le rôle de l’Amérique à celui d’arbitre impartial de l’équilibre des forces mondiales. « America First » est à traduire dans les deux sens du terme. L’Amérique d’abord et l’Amérique à la tête du monde (great again). À la suite de Ronald Reagan, il veut restaurer la grandeur des États-Unis. Cette fois-ci pour contrer la montée de la Chine.

Dans cette optique, les relations avec Poutine s’annoncent plus franches et sincères car Trump n’a pas l’intention de convertir la Russie aux valeurs démocratiques et au libéralisme occidental. Mais Trump a aussi reproché à Obama d’avoir été trop faible face à la Russie et à l’Iran. Même en politique étrangère, Donald Trump est imprévisible.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.
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