<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Géopolitique des métropoles

1 mars 2017

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Quartier de l'Antigone à Montpellier. Photo : SIPA 00108415_000001

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Géopolitique des métropoles

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Géographe et économiste, professeur à Paris IV, Gérard François Dumont s’est imposé comme l’un des principaux spécialistes mondiaux de la géopolitique des populations. Il a publié de très nombreux ouvrages sur la démographie et dirige la revue Population & Avenir. Il a accepté de répondre à nos questions sur la métropolisation. Dernier ouvrage paru: Géopolitique de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural(avec Pierre Verluise), coll. Major, PUF, 2e édition 2016.

 

Conflits: Vous avez écrit «la métropolisation est une idéologie». Que voulez-vous dire?

En France un certain nombre de lois, votées aussi bien par la droite que par la gauche, relèvent d’une véritable idéologie: elles considèrent que l’attractivité de la France ne peut venir que de ses métropoles, que l’innovation ne peut s’effectuer que dans les métropoles, qu’il faut donc favoriser l’essor des seules métropoles en passant par pertes et profits le reste du territoire. La loi de janvier 2014 a donc défini quinze métropoles, nombre porté à vingt-deux par les textes de décembre 2016, et l’État attend tout d’elles. Cette idéologie n’est nullement attestée par les faits. Il y a de l’innovation à toutes les échelles. Regardons au-delà de nos frontières. Quand une ville possède beaucoup d’habitants, elle n’est pas pour cela plus attractive. Un seul exemple: Montréal a longtemps été la première ville du Canada, elle est aujourd’hui dépassée par Toronto. Son poids démographique ne lui a pas permis de rester perpétuellement la première.

Conflits: Les métropoles peuvent donc être attractives, mais ne le sont pas obligatoirement.

Oui car il n’y a pas d’«effet métropole». Pour le prouver, la revue Population & Avenir a examiné l’évolution de l’emploi dans les grandes villes françaises (voir carte). Nous établissons de combien aurait dû progresser l’emploi en tenant compte des spécificités de la ville –une ville spécialisée dans le textile risque de progresser moins vite qu’une ville disposant de centres de conception-recherche. Puis nous avons comparé ce chiffre avec la progression réelle de l’emploi. La différence est l’effet territorial, soit l’attractivité spécifique de chaque ville. Si la théorie de la métropolisation était juste, les plus grandes villes devraient avoir un effet territorial très supérieur à la moyenne nationale. Ce n’est pas toujours le cas. Si l’on s’en tient aux quinze premières métropoles résultant de la loi de 2014, cinq ont un effet territorial négatif, dont Paris et Nice; pour deux autres, Rouen et Marseille, il est nul. Le phénomène se confirme si l’on regarde les sept nouvelles métropoles issues des textes de fin 2016 ou les agglomérations de taille plus modeste: effet négatif à Metz, Orléans, Reims, au Mans ou à Toulon et à Avignon de façon plus modeste, effet légèrement positif à Angers et Poitiers. Tous les cas de figure existent.

Conflits: La taille ne suffit pas à expliquer les performances des territoires. Quelles sont donc les causes de ces divergences?

Il faut d’abord tenir compte de la réglementation nationale. Un élément qui pénalise nos métropoles est moins le niveau de fiscalité que les variations permanentes de fiscalité. C’est insupportable pour les entreprises. La qualité de la gouvernance est bien sûr essentielle. Regardez Nîmes et Montpellier. Nîmes dispose d’une situation plus avantageuse, à proximité du sillon rhodanien et du carrefour autoroutier d’Orange, plus proche de Lyon et de Marseille. Il y a cinquante ans, les deux agglomérations avaient le même nombre d’habitants, aujourd’hui celle de Montpellier atteint près du double de celle de Nîmes. Elle a sans doute bénéficié de son statut de capitale régionale, mais aussi de l’action d’un maire qui a dirigé la ville de 1977 à 2004, Georges Frêche. Il a pu mener une politique très volontariste dans la continuité. Pendant ce temps, Nîmes connaissait des alternances politiques entre droite et parti communiste accompagnées de ruptures de stratégies. Il existe aussi un effet géographique indiscutable: la plupart des villes où l’effet territorial est négatif sont situées dans la France du Nord-Est où se concentrent les difficultés structurelles. Mais l’explication ne suffit pas. Comment analyser les performances médiocres de Nice, Toulon, Marseille, Avignon, dans une France méridionale qui passe pour particulièrement attractive? Il est des villes qui attirent particulièrement la main-d’œuvre qualifiée. Il faut aussi attirer les entreprises et cela dépend beaucoup des infrastructures, donc de la gouvernance – on ne comprend pas le succès du technopôle de Sophia Antipolis si l’on oublie qu’à quinze minutes vous disposez d’un aéroport international, celui de Nice. En un mot, chaque territoire doit identifier ses atouts et les valoriser. Beaune a compris que sa proximité d’un nœud autoroutier important lui permettait de devenir un carrefour logistique, ce qu’elle a réalisé. Le Creusot, malgré sa gare de TGV, n’a pas réussi la même opération.

Conflits: L’image des villes n’est-elle pas essentielle?

Celle de Beaune est plus favorable que celle du Creusot. Cela fait partie de la gouvernance, dessiner une image positive de la ville à partir de son histoire et de ses atouts naturels. Encore faut-il que cette image permette d’identifier précisément la ville. Quand vous voyez les publicités réalisées par de grandes villes, vous constatez qu’elles disent toutes la même chose: la ville la mieux reliée, la plus attirante… Cela peut être utilisé pour n’importe quelle ville et est donc insignifiant. Rouen avait créé une communauté d’agglomération intitulée CREA. Elle a dépensé des sommes considérables pour des publicités signées CREA. Mais personne ne connaît le CREA, alors que le nom de Rouen est connu dans le monde entier grâce à Jeanne d’Arc! Le nom a une valeur, il ne faut pas faire n’importe quoi avec lui sous prétexte de changement et de modernité. Quand le président de la région Champagne-Ardenne allait rencontrer des investisseurs potentiels dans le monde entier, tout le monde le situait, et d’une façon positive, grâce au mot «Champagne». Avec le nom «Grand Est», c’est terminé. Et puis Grand Est de quoi?

Conflits: La Champagne est une région…

Les règles sont les mêmes pour tous les territoires, quelle que soit leur échelle: ils doivent se rendre attractifs. La difficulté de la stratégie d’attractivité est qu’il faut se situer sur une ligne de crête: il faut être spécialisé pour être identifié, mais il faut ne pas être trop spécialisé car cela rend dépendant d’un seul secteur économique qui peut toujours entrer en récession. On le voit dans des cas comme Clermont-Ferrand qui bénéficie d’une identité mondiale grâce à Michelin, mais que les contraintes de compétitivité de Michelin fragilisent. Elle doit se diversifier et réussit à le faire grâce à des groupes comme Limagrain.

Conflits: Le fait d’être une métropole ne rend pas obligatoirement attractif. Comment expliquez-vous ce phénomène?

À mes yeux, le modèle centre/périphérie est caduc. C’est l’idée selon laquelle l’espace s’organise en centres dominants et en périphéries qui dépendent des centres. Une vision hiérarchique et rigide où les centres les plus peuplés s’imposeraient. Aujourd’hui la mondialisation et les nouvelles technologies ont tout changé. Plus aucun centre n’est un centre à tout point de vue. Les grandes métropoles se répartissent les fonctions et les activités. Quant aux territoires que l’on qualifie de périphériques, ils peuvent constituer des centres à l’échelle mondiale pour des activités très spécifiques. Regardez Ouarzazate, périphérie marocaine, mais centre mondial pour les activités du cinéma. Ou Carhaix-Plouguer avec son festival des Vieilles Charrues, ou L’Isle-sur-la-Sorgue, en apparence une cité-dortoir dépendant d’Avignon, mais aussi une ville spécialisée dans le commerce d’antiquités avec un salon qui a une notoriété mondiale… Les changements économiques et techniques nous ont fait entrer dans des logiques réticulaires: l’essentiel est maintenant le réseau; quelle que soit sa taille, tout territoire qui réussit à se placer sur un réseau peut constituer un centre, au moins pour les activités de ce réseau. Bien sûr, les logiques centre/périphéries, que je qualifie de logiques radiales, n’ont pas disparu. Des travailleurs continuent à s’installer dans les métropoles parce que leur métier y est localisé et que le marché de l’emploi est large. Mais ces logiques ne sont pas seules et leur importance relative diminue.

Conflits: Loin des métropoles, il y a donc aussi une compétitivité des petits territoires.

Oui, tout dépend de l’action des habitants et du rôle que peuvent jouer des acteurs dynamiques. Il existe un patriotisme local beaucoup plus fort que dans les grandes villes; dans ces dernières, la technostructure qui dirige fait écran, elle décourage fréquemment les initiatives. Ajoutons qu’il s’agit souvent d’une question de vie ou de mort pour des territoires qui sont peu diversifiés. Regardez Espelette. Ce petit bourg du pays basque avait souffert de l’émigration rurale et comptait moins de 1200 habitants dans les années 1960. La culture du piment, sa spécialité ancienne, était tombée au plus bas, il n’y avait plus qu’une dizaine de producteurs. Ils refusèrent de s’abandonner, organisèrent une fête du piment, se firent connaître par les grands cuisiniers, obtinrent après bien des rebuffades de bénéficier d’une AOC. Aujourd’hui, le nombre de producteurs est remonté à près de 200 et la population dépasse 2000 habitants. Simplement, les petits territoires doivent absolument utiliser les outils modernes de communication. Sinon leurs spécialités restent inconnues, ils ne réussissent pas à se brancher sur un réseau. J’ajoute que les métropoles ne réussissent pas toujours à initier des projets qui réussissent. La loi les contraint à établir des schémas qui ne servent pas à grand chose, qui sont dépassés avant même d’être publiés. C’est le cas des SCOT, schémas de cohérence territoriale [simple_tooltip content=’On parlait autrefois de schémas directeurs établis au niveau des «ensembles territoriaux» définis par le préfet comme le Grand Lyon, la communauté Poitiers-Châtellerault…’](1)[/simple_tooltip], qui sont le résultat de six ans de travail préalable, travail fondé sur les chiffres de l’INSEE de l’époque, déjà eux-mêmes en retard de plusieurs années. Ils n’intègrent pas de nombreuses dynamiques territoriales qui se sont développées entre-temps. Et ils ne sont pas à l’origine des projets les plus réussis, que ce soit Sophia Antipolis, Le Puy du Fou ou le Futuroscope…

Conflits: Les métropoles ne trouvent pas grâce à vos yeux.

Les métropoles existent, elles sont plus ou moins agréables à vivre, plus ou moins performantes. Ce que je condamne c’est l’idéologie de la métropolisation. C’est une régression de la civilisation. Arnold Toynbee expliquait que la mort des civilisations s’explique par deux types de schisme, dont les schismes verticaux: dans ce cas, il n’y a plus de solidarité entre les territoires. En créant ce statut de métropole, on instaure un divorce entre elles et le reste du pays. Je sais que l’on parle de coopération entre métropoles et territoires, mais c’est de la rhétorique, les métropoles s’enferment derrière leurs barrières administratives.

Photo : RevueConflits

Conflits: Cette analyse vous rapproche de Christophe Guilluy.

Il a raison sur un point: les autorités ont bien décidé que la France devait être divisée en deux. Dans les métropoles, il n’y a guère plus de classe moyenne, essentiellement les classes les plus aisées et des travailleurs peu qualifiés pour faire fonctionner les services du quotidien. Mais je crois que ceux qui ont conçu les textes législatifs sont prisonniers de leur idéologie de la métropolisation et que le rapport de classe n’explique pas tout. J’attribue plus d’importance à la volonté de l’énarchie de reprendre le contrôle de la décentralisation. La métropolisation instaure une autre forme de centralisation. D’abord les métropoles restent très dépendantes des financements de l’État central qui peut ainsi les contrôler. Ensuite il existe une véritable centralisation au sein des métropoles: déjà, dans celle de Lyon, certaines communes ne seront plus représentées au conseil communautaire à partir de 2020. Pour les autres métropoles, la décision sur le mode d’élection a été repoussée, mais le risque existe d’une même éviction de certaines communes. C’est l’inverse de ce qui se passe dans le Grand Londres où les quartiers, les borroughs, gardent une très large autonomie. La loi métropole instaure un divorce territorial. Autrefois, la solidarité territoriale s’organisait à l’intérieur du département. Mais les métropoles font éclater les départements. Que devient le Rhône à partir du moment où existe le Grand Lyon? Cela fait aussi reculer la citoyenneté: autrefois, le conseil municipal se réunissait, discutait de ses problèmes, cherchait des solutions… Aujourd’hui, si tout est décidé au niveau de la métropole, c’est un recul de la démocratie locale. Le pouvoir risque d’être entre les mains d’une technostructure.

Conflits: Vous êtes un défenseur du département.

Oui, car le département est une structure très ancienne. La Révolution a finalement reculé devant son projet de diviser la France en 80 carrés de taille identique. Dès lors, les départements se sont moulés dans le cadre des anciennes provinces ou des structures religieuses. On croit qu’ils sont nouveaux car on a changé les noms: mais le Morbihan c’est l’ancien évêché de Vannes, l’Aveyron c’est l’ancien Rouergue, la Dordogne le Périgord… Et souvent cela vient des divisions de la Gaule romaine, le Morbihan c’est aussi le territoire des Vénètes. Ce n’est pas un hasard si la population est particulièrement attachée au département. Pendant ce temps, beaucoup de responsables de l’administration se demandent tous les matins comment le supprimer…

À propos de l’auteur
Pascal Gauchon

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