<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Géopolitique de l’Iran. Ardavan Amir-Aslani, Gil Mihaely

9 novembre 2021

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Géopolitique de l’Iran. Ardavan Ami-Aslani, Gil Mihaely. Crédit photo : Unsplash

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Géopolitique de l’Iran. Ardavan Amir-Aslani, Gil Mihaely

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Histoire, géopolitique et actualité de l’Iran, avec Maître Ardavan Amir-Aslani et Gil Mihaely. Une émission pour comprendre l’histoire de ce pays, son rôle au Moyen-Orient et son influence dans la région.

Cet entretien est la retranscription d’une partie de l’émission podcast réalisée avec Me Ardavan Amir-Aslani et Gil Mihaely. L’émission est à écouter ici.

Jean-Baptiste Noé : L’Iran est un nom récent mais un pays multimillénaire, dès avant Alexandre le Grand il y avait la Perse. Est-ce que cette tradition historique se retrouve aujourd’hui en Iran alors que le pays a changé d’un point de vue religieux et culturel ?

Ardavan Amir-Aslani : Les Iraniens vivent dans leur temps, sont conscients de leur Histoire, du passé et du présent. Le terme de Perse est une expression occidentale pour parler d’Iran, les Iraniens se sont toujours appelés iraniens. Iran signifie « lumière des Aryens ». C’est un des seuls États souverains à vivre dans les mêmes frontières depuis des millénaires.

JBN : D’où viennent-ils ?

AAA : C’est un mélange d’un certain nombre de peuples, Perses, Mèdes. Les Iraniens se sont construits autour de la culture iranienne, de l’idée d’iranité. Il y a des Turkmènes, des Arabes, des Azerbaïdjanais, des Baloutches, mais tous se retrouvent dans l’iranité, la culture iranienne.

JBN : Il y a des confrontations comme des échanges avec l’Iran très tôt, Alexandre la conquiert… L’Iran a-t-elle pris et a-t-elle donné des éléments à l’occident ?

AAA : Bien sûr, l’occident s’est découvert occident au contact de l’Iran. Hérodote, ressortissant de l’Empire perse, a écrit les guerres entre Grecs et Perses. La Grèce s’est rendu compte de sa différence, qu’il y avait plus oriental qu’elle. Dans l’Ancien Testament, la nation la plus ancienne citée est l’Iranienne, avec le livre d’Esther… Le seul « goy » qualifié de Messie dans la Torah est Cyrus, qui a affranchi les esclaves juifs de Babylonie et leur a rendu l’arche d’alliance etc.

JBN : Et l’arrivée des Arabes ?

AAA : L’arrivée des Arabes au début du VIIe siècle est une invasion, et ils ont mis 150 ans à convertir les Iraniens à l’islam, à la force de l’épée, mais l’Iran s’est doté de son propre clergé, chiite, qui est une religion différence du sunnite, imbibée de Perse profonde.

JBN : Qu’est-ce qui différencie l’islam chiite et sunnite ? Dans la pensée et les pratiques ?

AAA : Le chiisme n’existe que là où existait l’empire perse, Irak, Afghanistan jusqu’en Inde. Le débat est doctrinal sur la succession du prophète : les chiites considèrent qu’il a désigné comme successeur son genre Ali, les sunnites considèrent que ce n’est pas le cas et que l’oumma devait respecter des règles de succession tribale. Le chiisme est l’école de droit la plus moderne de l’islam, c’est une autre interprétation de la loi.

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JBN : Avec la révolution de 1979, on a une vision d’un islam rétrograde et violent, pas moderne…

AAA : Oui, sans doute, puisque le port du foulard est obligatoire et il y a une forme de charia. Cependant, l’Iran est une vraie démocratie, les femmes ont le droit de vote et occupent des fonctions ministérielles et législatives. Dans sa façon d’être, de traiter les libertés publiques, elle est plus magnanime que le wahhabisme, rien à voir avec l’Arabie Saoudite.

JBN : Comment s’imbriquent les pouvoir politique et religieux en Iran ? Qui a le pouvoir réel ?

AAA : C’est particulier. Les fonctions de pouvoir réelles, militaires, des médias etc. sont concentrées entre les mains du Guide de la Révolution qui n’est pas élu. Le président est élu mais c’est à peine un premier ministre de la IVe République.

JBN : Par rapport à ses voisins, l’Iran est-elle un facteur de stabilisation par l’arc chiite ou de déstabilisation ?

Gil Mihaely : L’Iran est une puissance, elle a pu être une superpuissance, facteur d’instabilité ou de stabilité c’est subjectif. C’est une grande nation, y compris militairement, qui se comporte en tant que telle. Dans l’histoire plus courte, cet empire s’impose dans les années 1820, dans le Caucase et toute une série d’événements font qu’un vide dure jusque dans les années 1950 : pendant tout ce temps, elle n’a guère d’importance. On trouve toutefois alors des gisements de pétrole, mais dans un vide géopolitique. Il y a des constantes dans la durée. A l’époque du Shah, l’Iran a pris trois îles que les Émirats Arabes Unis réclament dans le détroit d’Ormuz, avec le soutien… d’Israël. Aujourd’hui, quand Israël renoue avec les Émiratis, ceux-ci sont toujours hostiles à l’Iran mais il y a Israël face à eux. C’est un jeu de puissances, digne du XIXe siècle, de plus en plus normalisé. Depuis 1979, au-delà des jeux géopolitiques de pouvoir, dont on n’a pas à juger de la légitimité, c’est juste comme ça, c’est une puissance avec ses ambitions et intérêts, il y a une dimension idéologique très forte, vis-à-vis d’Israël comme de l’Arabie Saoudite. Du jour au lendemain, des alliés proches sont devenus de pires ennemis : Israël discute plus facilement avec les Palestiniens qu’avec eux aujourd’hui, les Palestiniens ne demandant pas la destruction d’Israël. Que vaut l’Iran pour Israël ? Jamais un premier ministre israélien ne serrera la main du guide spirituel de l’Iran. Pourtant ce sont les deux sociétés les plus proches du Moyen-Orient. Les femmes en tchador en Iran ont des marges de manœuvre plus grandes que des femmes en mini-jupe d’autres pays, elles sont beaucoup à être ingénieures diplômées. L’Iran est une véritable nation, une démocratie pas libérale mais bien une démocratie : vu l’ancrage de la souveraineté du peuple, elle pourrait aisément devenir une démocratie libérale. Le Liban, au contraire, n’a pas de nation qui dépasse les intérêts particuliers des communautés qui le peuplent. J’espère que cette parenthèse idéologique de 1979 va se refermer.

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JBN : Qu’est-ce qui a amené à la révolution de 1979 ? Ça s’est fait très rapidement, ce passage d’un pays aligné sur les États-Unis à un pays anti-américain, qui prend des Américains en otage…

AAA : Il faut mettre en perspective ce qui s’est passé en 1953. Le gouvernement laïc de Mossadegh a été renversé par un coup d’État organisé et financé par les Américains et les Anglais placés dans le personnel de l’ambassade. On a voulu moderniser le pays à la vitesse grand V, au mépris des centres de pouvoir traditionnels (clergé, propriétaires terriens, bazar…) en les remplaçant par d’autres. Mais la révolution a une base nationale, c’est la nation iranienne. Il y a un siècle, aucun des pays qui entouraient l’Iran n’existait, l’occupation des îles d’Ormuz a été négociée, l’Iran a renoncé à ses prétentions sur le Bahreïn. Le peuple iranien a une vision longue de l’histoire. Le pouvoir émirati a reconnu Israël et vice-versa, mais pas le peuple émirati, dont 80% est contre selon un sondage ; dans le même temps, 80% des Iraniens n’ont pas de problème avec Israël, seule la théocratie chiite s’y oppose, Israël ayant été alliée avec le régime impérial. Le peuple iranien dans son ensemble n’en veut pas au peuple israélien. Il n’y a pas de conflits, de frontières communes, de commerce, d’enjeux : ce n’est qu’idéologique, l’enracinement de la théocratie iranienne. Dans la guerre abominable entre Iran et Irak, Israël soutenait logistiquement l’Iran. L’enjeu actuel n’est pas autour des Émirats Arabes Unis, ça n’a aucune importance. L’Iran aujourd’hui veut retrouver sa juste place dans le concert des nations, ce que les Israéliens refusent alors qu’ils savent l’importance de l’Iran. C’est le 10e pays en termes d’articles scientifiques, il a remporté deux médailles Fields en 2020 (une femme notamment). C’est une lutte non déclarée dans la région, Israël craint un Iran qui se rapprocherait de l’occident alors que c’est elle qui est l’alliée de l’occident. L’autre problème avec Israël est que cette dernière est menacée militairement par l’Iran et ses alliés. Que l’on aime ou pas Israël, Israël est une réalité qui doit être actée, sans quoi on ne peut s’entendre sur rien, et il n’y a pas non plus de sortie pour l’Iran.

JBN : L’Iran est l’une des premières régions dont on a exploité le pétrole. Elle a un rôle essentiel dans les gisements pétroliers et gaziers mais aussi dans le transit via oléoducs et gazoducs…

GM : L’Iran joue un rôle important depuis les années 1910. Jusqu’en 1928 Bakou faisait partie de l’empire perse et il y avait là de l’asphalte, du pétrole qui s’exfiltre depuis des millénaires. La société iranienne a des capacités scientifiques et intellectuelles extraordinaires, mais la ressource principale ce sont les hydrocarbures, le gaz et le pétrole, qui sont le levier principal dans l’alliance en cours de négociation avec la Chine. Cela fait débat : certains ne veulent pas en finir avec une possible entente avec les États-Unis. L’État pourrait petit à petit passer sous le contrôle des Gardiens de la Révolution. Ceux-ci ne sont pas monolithiques, il y a des courants de pensée, des concurrences, des clans, des groupes, mais on voit comment ils peuvent tenir cet État pendant très longtemps. Si demain tout cela est derrière nous et qu’on ouvre une ambassade à Tel-Aviv, ça ne va pas choquer beaucoup de monde. Si demain, des journalistes israéliens font des micros-trottoirs sur le bazar ils n’auront pas de problème, mais il n’empêche que les Gardiens tiennent le volant et ça trouble le jeu.

JBN : Le nucléaire est un casus belli entre Iran et US. Cette question est cruciale pour le gouvernement actuel, mais quelle en est l’importance, comment placent-ils cela dans leur réflexion stratégique et leur idée de projection de l’Iran dans la région ?

AAA : Il y a toujours eu un double regard sur la question. Le Pakistan est un pays nucléaire déclaré, l’Inde aussi, et plus d’une fois on a craint une guerre nucléaire. Brésil, Argentine etc. ont fait de même. Le problème nucléaire iranien n’est pas celui des centrales, mais la question israélienne : tant qu’il y aura des dirigeants iraniens qui considèrent que l’État israélien doit disparaître, ça porte problème. Le problème n’est pas l’arme mais l’usage que l’autre peut penser que l’Iran va en faire. Pourtant, malgré leur caractère autocratique et messianique, les dirigeants iraniens sont rationnels, ils savent que larguer une bombe, c’est s’en prendre une en retour, ils n’ont aucune envie de détruire Israël puisque leur propre pays subirait la guerre nucléaire. Mais un Iran nucléaire représenterait un changement massif dans la région. Aujourd’hui, seul Israël a cette arme et se considère comme légitime en tant que démocratie, or à ce titre elle domine la région. Pour moi, l’Iran devrait avoir l’arme nucléaire, elle est légitime, mais dans un autre cadre qu’aujourd’hui : l’Amérique regarde l’Iran à travers le prisme d’Israël et du Likoud, elle a coupé avec 70 ans de politique internationale qui refusait de reconnaître Jérusalem comme capitale. De facto, l’Amérique a toléré tout ce qu’a fait Israël ces dernières années : tous les regards iraniens vers l’occident passent par Jérusalem, c’est de la realpolitik. Cela empêche de faire le saut de la foi. Il s’agit juste de baisser le ton par rapport à Israël : tant que ce ne sera pas le cas, la question iranienne ne sera pas résolue et l’Iran restera ostracisée.

GM : Les US ont un lien fort avec l’Arabie Saoudite depuis 1945, de même qu’avec l’Iran sous le shah. Les US n’ont pas oublié la révolution de 1979, ils utilisent Israël comme paravent, ils ont leur propre stratégie et essayent, dans leur propre stratégie, de laisser Israël en première ligne. Même sous Obama, il y avait une opposition interne aux US entre ceux qui se méfient à fond de l’Iran sans même mentionner Israël. Donc Israël a bien un poids, mais pas à ce point.

JBN : Aujourd’hui l’islam est surtout tenu par l’Arabie Saoudite, le wahhabisme. L’Iran peut-elle jouer un rôle dans la rénovation de la pensée musulmane et des problèmes avec l’islamisme ?

AAA : J’en suis convaincu. Aujourd’hui, malgré les restrictions en Iran, le chiisme est une religion moderne sur la question féminine, l’économie… L’islam wahhabite, sunnite, a vécu sa Renaissance avant son Moyen Âge, où il est actuellement. Le wahhabisme a l’avantage du portefeuille de l’Arabie Saoudite, qui fait progresser l’islam sunnite. Le Pakistan, de modéré, est devenu ce qu’on connaît aujourd’hui. Il faut retirer au wahhabisme son monopole sur les lieux sacrés de l’islam et permettre à cette version modérée de l’islam, qui a un clergé et peut donc se modérer par le haut contrairement au sunnisme.

GM : Les sunnites peuvent-ils être à l’écoute de cela ?

AAA : Je pense que oui. Aujourd’hui, les musulmans, très majoritairement sunnites, souffrent de l’incompétence de leurs dirigeants et ils ont une excellente image de l’Iran, qui a dit non à l’Occident et qui a un grand prestige face à l’Amérique. La seule guerre qu’Israël n’a pas gagnée c’est celle contre le Hezbollah et le chiisme en 2006 : le prestige chiite peut amener à un changement.

JBN : Quel est le rapport des chiites au Coran ? Le texte est-il figé ou y a-t-il des interprétations ?

AAA : Le texte est le même, mais le clergé chiite, chance du chiisme, peut l’interpréter. Les textes chiites sont bien plus nombreux que ceux des sunnites qui se limitent à la tradition du prophète. La réforme, selon les sunnites, s’est arrêtée aux premiers siècles.

JBN : Des films iraniens ont de plus en plus de succès en France. Cela donne une vision plus réelle de la culture iranienne aux Français d’aujourd’hui. Quels artistes iraniens donnent une vision authentique ?

AAA : Une séparation est un excellent film, on y voit les droits des femmes, les institutions, le peuple iranien dans ses joies et ses souffrances. L’Iran est un pays devenu un empire non pas pour des raisons militaires mais pour des raisons culturelles, c’est sa beauté civilisationnelle qui assure son rayonnement, pas la force de ses armées.

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