Après le renversement d’Ali Bongo par le général Brice Oligui Nguema, le Gabon s’est engagé dans une phase de transition politique et sociale. Alors qu’un nouveau chapitre a été ouvert début avril, état des lieux de la transition en cours.
Nouvel homme fort de Libreville, le général Brice Oligui Nguema a lancé le 2 avril dernier un dialogue national inclusif en vue des élections fixées pour 2025. Ce calendrier établi sur deux années doit permettre de rendre le pouvoir aux civils, ce qui n’est pas encore assuré même si la transition suit son cours. Nombreuses sont les voix de l’opposition à s’élever contre ce chapitre de dialogue inclusif, estimant que les jeux sont truqués dans la mesure où les institutions sont aux mains de militaires nommés par le chef de l’État. Ces nominations concernent non seulement les postes nationaux (gouvernement, députés, sénateurs), mais aussi les fonctions locales (conseils municipaux et départementaux). Sous les apparences du changement, le gouvernement militaire continue de contrôler le pays.
D’autant que de nombreuses personnalités de l’ère Bongo ont été maintenues au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Dans le Parlement de transition, 85 députés et sénateurs sont issus du Parti démocratique Gabonais, le parti politique d’Ali Bongo, contre 60 de la société civile, 6 de l’Union nationale (opposition), 6 militaires, 3 de REAGIR (opposition). Après avoir dissous les institutions au soir du 30 août 2023, le CTRI a nommé par décret les membres des chambres haute et basse du Parlement.
Plus surprenant encore pour les observateurs extérieurs, le retour de Pierre Duro à la tête de la task force chargée de la dette. Celui-ci connait bien ce dossier puisqu’il s’en est occupé en 2022 avant que cette task force ne soit remerciée pour des soupçons de corruption. Qu’il soit nommé est vu par beaucoup comme un retour de l’entourage du clan Bongo.
Le renouvellement politique annoncé est donc particulièrement incomplet. Pour beaucoup de membres de l’opposition, c’est le clan Bongo qui dirige toujours le Gabon.
Vers le renforcement du pouvoir présidentiel
Alors que la première séance de cette assemblée de dialogue national s’est ouverte le 3 avril, le processus s’est achevé le 28 avril, débouchant sur une série de recommandations. Sur les 580 personnes participant aux sessions du dialogue national, plus de 300 ont été nommées par le gouvernement actuel, dont 104 sont des militaires. Le gouvernement a également mis en place à travers tout le pays un système de recueil de doléances, qui a permis de recueillir 38 000 requêtes sur les deux millions d’habitants que compte le pays. Le recueil des doléances s’est fait via des guichets ouverts sur le territoire ainsi que par une plateforme en ligne. Une nouvelle constitution doit être rédigée, qui devrait être soumise à référendum d’ici le mois d’octobre. L’opposition a beau jeu de dire que les conclusions des doléances ne sont pas contraignantes et que la constitution sera taillée sur mesure pour le général Brice Oligui Nguema. D’autant que la charte de transition, promulguée par les militaires après le putsch de l’été 2023, interdit à tous les cadres de la transition de se présenter à la présidentielle de 2025, à l’exception de l’actuel président.
La série de recommandations faites à l’issue du dialogue national renforce le rôle du président : suppression du poste de Premier ministre, non-cumul des fonctions de ministre et de député, maintien du bicaméralisme, transition de deux ans avant une présidentielle et présidentialisation du régime. En conséquence de quoi, une note de la Fondation Jean Jaurès remet en cause cette transition démocratique, estimant « qu’une dictature en cache une autre ».
Un climat social tendu
Aux tensions politiques s’ajoutent des tensions sociales croissantes du fait des promesses non tenues d’amélioration sociale. Les arriérés des retraites ne sont toujours pas payés, les infrastructures du pays demeurent fragiles, notamment en termes de routes et d’hôpitaux, les bourses scolaires ne sont plus attribuées. Le CTRI, qui est chargé du suivi et de l’accomplissement de ces mesures sociales, ne dispose pas des fonds nécessaires à cause d’une situation budgétaire particulièrement tendue. Le pays ayant été suspendu à titre conservatoire des instances de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), il manque de partenaires pour lever des fonds. De même, le putsch a coupé le Gabon de l’Occident qui ne souhaite plus lui apporter d’aides financières.
Face aux difficultés économiques et aux promesses non tenues, une grogne sociale apparait et se développe. En décembre, des employés de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), avaient ainsi appelé à la grève contestant la suppression de leur 13e mois. À la suite de quoi, 7 syndicalistes de la société ont été arrêtés et ont subi des interrogatoires musclés, signe d’une certaine fébrilité du pouvoir. Ce climat social et politique tendu ne favorise pas les investissements internationaux, les investisseurs se montrant de plus en plus méfiants à l’égard d’un Gabon qui ne manque pourtant pas de ressources et d’opportunités.