Gabon : l’épidémie de putsch se poursuit

1 septembre 2023

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Photo : Gabon : un putsch qui a réussi LICENSING; MANDATORY CREDIT/2308301610

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Gabon : l’épidémie de putsch se poursuit

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Avant même le dernier coup d’État au Gabon, Emmanuel Macron avait fait le constat d’une « épidémie de putsch »[1] dans le parler franc qui ne caractérise pas toujours les cercles diplomatiques, et encore ne parlait-il que du Sahel. De fait il y a eu sept coups d’État en Afrique depuis 2020… et tous en Afrique francophone à l’exception du Soudan.

On n’est pas franchement surpris de voir Ali Bongo tomber par les armes[2], on peut juste trouver ironique que ce soit du fait de sa garde prétorienne, cette Garde Présidentielle censée le protéger, et à la tête de laquelle il avait placé son cousin Brice Oligui Nguema (nom à retenir, il risque d’être à la tête du pays pour un moment). Cela dit, c’est aussi la Garde Présidentielle qui a fait tomber le Président Bazoum au Niger il y a quelques semaines, alors que la légitimité démocratique de ce dernier était sans commune mesure avec celle d’Ali, « fils de ». Où l’on voit que jouer la carte du tout sécuritaire comme gage de stabilité est un leurre : quand les forces armées constatent qu’un régime ne tient que grâce à la peur qu’elles inspirent, elles sont tentées de jouer leur propre partition.

Gabon : un putsch particulier

On peut en revanche être surpris que, dans les heures suivant immédiatement le coup d’État, la France se soit contentée, d’après sa Première Ministre, de « suivre la situation avec la plus grande attention ». Il a ensuite fallu que la Chine -parangon de démocratie- appelle « au retour immédiat à l’ordre normal » pour que la France se décide dans un second temps à « condamner » le coup d’État (mais pas « fermement », comme il est d’usage, plutôt du bout des lèvres). Rentre effectivement en jeu dans le calcul des putschistes la possibilité de jouer la Chine ou la Russie contre l’ex-puissance coloniale. Les sino-dollars remplacent aisément l’AFD, la Russie de Wagner offre une alternative de soutien armé aux coopérations militaires : le Kremlin, « préoccupé » et qui « surveille de près » le déroulement de la situation à Libreville, n’a ainsi pas besoin d’être l’instigateur ni même le soutien d’un coup d’État, mais peut se contenter d’en récolter les bénéfices géopolitiques a posteriori de manière opportuniste. La communauté internationale dans son ensemble savait de toute façon le régime gabonais à bout de course, Ali fatigué, et les élections truquées, et ne devrait ainsi pas tarder à entériner, presque soulagée, sa chute.

Couverture de l’album de funk d’Ali Bongo (1978)

L’hypothèse numéro 1 est donc que l’initiative du putsch vienne simplement du chef de la Garde Présidentielle, potentiellement incité par la concurrence au sein du clan Bongo[3]. Et si ce coup d’État fonctionne après plusieurs tentatives ratées[4], c’est grâce à plusieurs facteurs intelligemment pensés :

D’abord la question du timing, c’est-à-dire immédiatement après des élections présidentielles dont le résultat s’apprêtait à être contesté, comme de coutume, par l’opposition comme par la rue[5] : les putschistes (pardon, le « Comité de transition et de restauration des institutions ») peuvent ainsi se présenter comme des gardiens de la démocratie, on en est là : « La constitution a été bafouée, le mode d’élection lui-même n’était pas bon. Donc l’armée a décidé de tourner la page, de prendre ses responsabilités »[6].

Rôle de la Garde républicaine

In fine Brice Oligui Nguema comptait sur le fait que l’illégitimité démocratique d’un pouvoir en place rend presque légitime, ou du moins souhaité par les populations, un coup d’État militaire pour s’en débarrasser. En l’occurrence, il savait pouvoir compter sur l’acceptation tacite d’Albert Ondo Ossa, le candidat unique choisi pour représenter les principaux partis d’opposition ; le directeur de campagne de ce dernier, Mike Joctane, expliquait immédiatement après le coup d’Etat qu’« une partie de l’armée a pris ses responsabilités », sans donc le condamner[7].

De plus, bien que la Garde Républicaine (les bérets verts) semble être à l’origine du putsch, elle a pris soin de montrer l’unité des forces armées du pays en associant lors de la première déclaration télévisée des représentants et de l’armée régulière et de la police.

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Ensuite les putschistes présentent aussi leurs actions comme une opération coup de balai sur la corruption, ce qui leur permet à la fois de jouer sur une exaspération de la population face au népotisme du pouvoir, et d’arrêter la garde rapprochée d’Ali pour motif de « détournement massif des deniers publics »[8].

De fait personne ne va se dresser pour sauver un régime dont la corruption depuis des décennies est largement documentée (notamment les fameux Biens Mal Acquis, cheval de bataille de William Bourdon et Transparency International[9]), et connue de la population gabonaise. Au contraire, très rapidement des groupes de citoyens sont sortis dans les rues des grandes villes du pays pour applaudir les militaires, parlant de « libération », au cri de « les Bongo dehors ! ». C’est ainsi sans crainte que les nouvelles autorités de fait ont rétabli Internet dans le pays, sachant la vox populi et les caisses de résonnances des réseaux sociaux en leur faveur.

Autre preuve d’intelligence tactique des militaires gabonais, le fait de ne pas avoir pris de front la communauté internationale, comme l’avaient fait par bravade nationaliste sankariste les putschistes du Sahel. Ils ont au contraire pris soin de déclarer avant toute chose que « nous réaffirmons notre attachement au respect des engagements du Gabon à l’égard de la communauté internationale » (traduire « les fonds de la Banque Mondiale et du FMI seront toujours les bienvenus »). De même, aucune rhétorique anti-française n’a été déployée, non seulement car cela prendrait peu auprès d’une opinion publique gabonaise pas (encore ?) manipulée par la propagande russe, mais surtout car la realpolitik oblige à tenir compte à la fois du poids économique de la France (Eramet ne se remplace pas si facilement) et de la présence de plusieurs centaines de soldats prépositionnés dans le pays.

Reste que la France n’est cependant pas à l’abri des accusations d’avoir laissé faire, non seulement parce que ses détracteurs estimeront que ses services de renseignement extérieur auraient été en mesure d’avoir vent d’un projet de la sorte, mais aussi car Ali Bongo, vexé de la réaction française à son élection en 2016, avait non seulement mis des bâtons dans les roues de plusieurs entreprises françaises, mais aussi opéré un rapprochement en direction d’autres partenaires internationaux[10] (dont le Maroc de Mohammed VI, où Brice Oligui Nguema a d’ailleurs été formé[11]).

Une mauvaise passe pour la France

Reste que le timing du coup d’État est très mauvais pour l’exécutif français, qui justifiait le bras de fer avec les nouvelles autorités de facto nigériennes[12] par la volonté de ne pas entériner les coups d’État pour en éviter la contagion… l’impossibilité de se mettre d’accord sur ce point avec les Etats-Unis, qui ont renoncé dans leurs prises de position à demander le rétablissement du Président Bazoum, donne raison aux putschistes qui savent pouvoir jouer de la concurrence entre les puissances, affaiblissant encore la position de la France dans la région.

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Ce dernier putsch africain en date doit servir d’incitation renouvelée à soutenir dans tous les États de l’UA les oppositions légitimes, afin que l’alternative à des pouvoirs sclérosés ne soit pas les forces armées. Ainsi du Tchad, présenté comme le dernier verrou contre le terrorisme au Sahel mais qui ne tient que par la force des armes, ce qui n’est pas viable à long terme, l’Histoire l’a assez prouvé. Ainsi du Congo-Kinshasa, plus grand État d’Afrique subsaharienne, plus grand pays francophone au monde, qui devrait connaître en décembre des élections dont la communauté internationale unie doit s’assurer bien en amont qu’elles respectent les normes démocratiques, afin que le pouvoir civil qui en sorte soit pleinement légitime, et (donc) opérant. Outre la RDC, des élections sont aussi prévues au Liberia en octobre, et au Sénégal et Côte d’Ivoire en 2024 : il s’agit au préalable d’en finir avec la tradition du Big Man, du sauveur gaullien de dernier recours, et miser rationnellement, stratégiquement, sur des mouvements de sociétés civiles africains organisés et mûrs.

[1] Lors de la dernière conférence des ambassadeurs de France réunis il y a quelques jours à l’Elysée.

[2] https://www.revueconflits.com/fabien-blanc-gabon-omar-bongo/ « risque d’implosion politique »

[3] Il sera ainsi intéressant de voir si Omar Denis Junior Bongo, en conflit avec Ali et Noureddin Bongo, accède à un poste important dans un futur proche.

[4] https://www.revueconflits.com/fabien-blanc-gabon-omar-bongo/ (« 7 janvier 2019, tentative de coup d’Etat par des officiers rapidement déjouée par les forces de sécurité »).

[5] « Les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés. »

[6] Depuis l’élection de 2009 -qui aurait dû être remporté par André Mba Obame-, Ali Bongo est un président contesté. En 2016, il avait fallu encore gonfler ses résultats dans la province du Haut-Ogooué (fief des Bongo) pour lui permettre de devancer de peu Jean Ping. En 2023, les élections ont été organisées sans qu’aucun observateur étranger n’ait été accrédité, ni aucun visa délivré aux journalistes étrangers. France 24, RFI et TV5 Monde, très suivis sur place, ont en outre été suspendus.

[7] D’ailleurs dès le 26 août Ondo Ossa avertissait Bongo qu’il n’avait pas la loyauté de l’armée ni de la garde républicaine.

[8] Sachant que Brice Oligui Nguema, le nettoyeur, a été épinglé par l’OCCRP pour avoir acheté trois propriétés dans le Maryland, en 2015 et 2018, pour 1 millions de dollars… en cash.

[9] https://information.tv5monde.com/afrique/gabon-la-justice-francaise-reconnait-letat-comme-victime-dans-le-dossier-des-biens-mal

[10] https://www.revueconflits.com/fabien-blanc-gabon-omar-bongo/ (« les relations entre les deux pays se sont quelque peu distendues » jusqu’à « Veolia, a été saisie par le gouvernement gabonais »)

[11] A l’académie royale militaire de Meknès.

[12] Maintien contre l’avis de la junte de l’ambassadeur Sylvain Itté, notamment.

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À propos de l’auteur
Fabien Blanc

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Fabien Blanc est journaliste. Il travaille sur l'Afrique de l'Est et l'Afrique francophone.
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