On attendait plus de succès de l’Union européenne dans cette crise sanitaire, mais le miracle n’a pas eu lieu. D’une efficacité contestable en temps normal, l’UE n’a pas su gouverner par gros temps. Bousculée par la pandémie, elle a perdu sa crédibilité sanitaire, dégradé sa stature géopolitique et abandonné en route quelques dogmes, comme la libre circulation.
L’UE n’a même pas su se montrer solidaire des pays les plus démunis. Elle sort de cette année de crise plus divisée que jamais, toujours aussi dépendante de ses fournisseurs non européens.
Conçue par la Commission européenne, la lutte contre la Covid-19 a été tardive et chaotique, marquée par l’autisme de la bureaucratie bruxelloise et la cacophonie entre les Vingt-Sept. Le fiasco est patent. L’UE avait pourtant des atouts : des laboratoires d’excellence, une logistique de qualité, des moyens financiers importants. Cela n’a pas suffi. En dépit de l’autosatisfaction d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, l’UE a été à la traîne. Aux États-Unis, la mobilisation politique et financière avait démarré sous Donald Trump. Poursuivie par Joe Biden, cette stratégie ambitieuse a permis aux Américains de lancer très vite leurs grands labos dans la bataille des vaccins. À des degrés divers, la Chine (avec ses vaccins Sinopharm et CoronaVac), la Russie (Spoutnik V) et le Royaume-Uni (avec l’anglo-suédois AstraZeneca) ont procédé de la même façon. Ils ont donc obtenu des vaccins de façon massive. Cela n’a pas été le cas de l’UE qui avait d’abord voulu « extraire le vaccin des lois du marché », selon l’idée généreuse exprimée par Emmanuel Macron. Le résultat de cette stratégie laisse pantois : l’Amérique a le quasi-monopole des vaccins en Europe ; le français Sanofi est devenu sous-traitant pour le conditionnement de l’américain Pfizer ; la Chine et la Russie inondent le monde de leurs vaccins. Les Vingt-Sept ont préféré déléguer leur stratégie de vaccination à la Commission européenne. L’UE a alors découvert l’existence de la Chypriote Stella Kyriakides, la commissaire à la Santé, une bien modeste personnalité pour créer cette « Europe de la santé ». Désigné « monsieur vaccins » de l’Europe, le commissaire européen à l’Industrie Thierry Breton a mené la négociation avec les laboratoires pendant presque quatre mois, ralenti par la pusillanimité des responsables politiques et les lenteurs de la bureaucratie européenne. Ni l’enveloppe financière (2,7 milliards d’euros) ni la mobilisation industrielle n’ont été suffisantes. Commentaire désolé de Stéphane Bancel, président-fondateur de Moderna : « L’équation industrielle ne colle pas avec la lenteur de l’administration européenne. »
Entre août 2020 et janvier 2021, les promesses d’achat de vaccins par la Commission ont concerné six laboratoires, mais les premiers mis sur le marché ont été Pfizer-BioNTech, Moderna et AstraZeneca, alors que plusieurs États – comme le Royaume-Uni ou les États-Unis – prenaient l’UE de vitesse : ils captaient préventivement les stocks de vaccins, notamment au moment des difficultés de production chez Pfizer-BioNTech. Privée de produits, l’UE est devenue la variable d’ajustement des industriels.
La pandémie a aussi atomisé la solidarité européenne, notamment sur le dossier du vaccin russe Spoutnik V, que Thierry Breton voulait refuser, au nom de raisons plus idéologiques que sanitaires : « L’Union européenne n’a pas besoin du vaccin russe Spoutnik V, elle pourra atteindre une immunité collective d’ici le 14 juillet avec les vaccins disponibles, si leurs calendriers de livraison sont respectés. » Plusieurs États n’ont pas vraiment cru ces belles paroles. Six membres (Autriche, Bulgarie, Croatie, Lettonie, République tchèque, Slovénie) contestaient aussitôt la répartition inégale des vaccins, cinq suspendaient, pour un temps, l’AstraZeneca, quatre (Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Pologne) n’en faisaient qu’à leur tête en décidant d’agréer les vaccins russe ou chinois. Parmi les poids lourds de l’UE, l’Italie décidait d’implanter sur son sol une usine de fabrication du Spoutnik V et Berlin se disait prêt à le commander. « L’Allemagne devrait agir pour elle-même », confirmait Angela Merkel. D’autres pays n’attendaient que cette décision pour adopter à leur tour le « vaccin Poutine ».
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