À Patay, l’armée française a vengé Azincourt et obtenu une victoire magistrale sur les Anglais. Après la levée du siège d’Orléans, l’intervention de Jeanne d’Arc a été essentielle pour y emporter la victoire.
La guerre de Cent Ans [simple_tooltip content=’L’expression n’est évidemment pas contemporaine. Philippe Contamine a daté son apparition de la première moitié du xixe siècle. Récemment, d’autres historiens ont parlé d’une « première guerre de Cent Ans » pour le conflit entre Capétiens et Plantagenêts (1159-1259) et John Robert Seeley (1834-1895) voyait dans la période 1689-1815 une « seconde » guerre de Cent Ans – qui serait en fait la troisième.’](1)[/simple_tooltip] (1337-1453) se résume aujourd’hui pour les Français à une période nébuleuse au milieu de laquelle émerge la figure de Jeanne d’Arc. Et ce peuple qui se dit cartésien, l’un des plus sécularisés d’Occident, accepte sans rechigner l’idée qu’une jeune fille inspirée par des « voix » célestes ait pu bouter les Anglais hors de France par la seule magie de son étendard avant d’être brûlée vive pour expier on ne sait quel forfait… Or si l’intervention de Jeanne marque bien un tournant dans le conflit séculaire entre les deux royaumes cousins, la libération du territoire n’est pas achevée quand elle meurt et le dégagement d’Orléans n’est pas le seul fait d’armes où l’armée royale reprend le dessus sur des Anglais jusque-là sûrs d’eux et dominateurs. Le combat de Patay illustre bien ce basculement, amorçant la reconquête totale du royaume en l’espace d’un règne, celui de Charles VII (1422-1461).
1. Le « roi de Bourges »
Celui que Jeanne appelle « gentil dauphin », puisqu’il n’est pas encore sacré sept ans après la mort de son père, Charles VI, règne alors sur un demi-royaume, puisque le nord de la Loire et l’Aquitaine sont aux mains des Anglais ou de leurs alliés bourguignons ou bretons. Installé à Bourges et sur ses terres familiales d’Anjou, le jeune roi – il n’a pas 20 ans quand son père meurt – semble hésitant quant à la stratégie, mais obtient des soutiens de poids : il nomme connétable – chef de l’armée royale – Arthur de Richemont, frère du duc de Bretagne, soucieux de ménager les deux partis, et est soutenu par les États généraux de Chinon, réunis à partir d’octobre 1428, qui lui octroient des recettes pour moderniser l’armée, au moment même où les Anglais installent le siège autour d’Orléans, le principal verrou sur la Loire.
C’est dans ce contexte que Jeanne d’Arc se présente à Chinon le 25 février 1429. L’important ici n’est pas l’entrevue et la crédibilité de la jeune fille, mais plutôt ce qui en résulte : la décision du roi d’aller se faire sacrer à Reims, selon la tradition créée sous les Carolingiens et faisant écho au baptême de Clovis (496), qui oblige tout d’abord à dégager Orléans et les ponts environnants. Si la participation de Jeanne à la libération d’Orléans, définitivement dégagée le 8 mai, est avérée, son rôle dans la campagne qui suit est plus discret – peut-être à cause de la blessure reçue au cours de l’assaut sur le fort des Tourelles, le 7, ou du fait des divergences fréquentes entre ses propositions et les avis des chefs de l’armée royale : Dunois, La Hire et le connétable de Richemont. Ces hommes de guerre expérimentés sont devenus prudents après les désastres militaires du début du siècle, dont la défaite catastrophique d’Azincourt (1415) qui avait livré la moitié de la France aux Anglo-Bourguignons et préparé l’avènement d’Henri VI, né en 1421, officiellement roi de France et d’Angleterre depuis la mort en 1422 de son père, Henri V, et de son grand-père maternel, Charles VI.
Une fois Orléans libérée, les Français s’emploient à écarter les troupes anglaises encore présentes en Gâtinais et à sécuriser tous les passages sur la Loire, pour éviter que l’ennemi ne profite du départ de l’armée royale pour lui couper la retraite vers le Berry en prenant le contrôle du fleuve ; c’est chose faite du 12 au 16 juin. Alors se présente une armée anglaise de secours, partie de Paris à l’annonce de l’échec du siège d’Orléans, qui rallie les troupes vaincues les jours précédents. Les Anglais cherchent un terrain pour offrir la bataille selon les dispositions qui leur ont si bien réussi depuis un siècle : une haie d’archers équipés du « longbow » (grand arc) d’origine galloise, installée sur une éminence et abrités derrière des pieux fichés dans le sol pour disloquer les charges de cavalerie ou désorganiser l’infanterie, avec l’appui de chevaliers combattant à pied ou à cheval selon les besoins. C’est ainsi que des armées aventurées, souvent inférieures en nombre, avaient triomphé de la légendaire chevalerie française à Crécy (1346), Poitiers (1356) ou encore Azincourt. Des archers régulièrement entraînés pouvaient tirer au moins 10 flèches ajustées à la minute, jusqu’à une distance comprise entre 250 et 300 mètres – où seuls les chevaux non protégés pouvaient être blessés, les flèches pouvant percer des cottes de mailles jusqu’à 150 mètres et des armures jusqu’à 60.
2. L’arroseur arrosé
Selon les historiens anglais, l’armée se retirait à Janville en ce 18 juin et fit halte vers midi le long de la route au sud du village de Patay, à quelque 20 kilomètres au nord-ouest d’Orléans. C’est là que des éclaireurs français la découvrirent, par hasard [simple_tooltip content=’Pour l’anecdote, c’est un cerf qui semble avoir conduit les troupes anglaises à révéler leur présence.’](2)[/simple_tooltip]. Patay est donc une bataille de rencontre, entre deux armées pas vraiment installées pour le combat. Informés, les chefs français hésitent sur la conduite à tenir, mais Jeanne d’Arc, selon son habitude, les pousse à attaquer sans attendre.
Avant que les Anglais aient fini de prendre leurs dispositions, l’avant-garde française, forte d’environ 200 combattants, parmi lesquels La Hire, Ambroise de Loré et Poton de Xaintrailles, fond sur les archers qui, contrairement aux batailles précédentes, n’ont pas pu protéger leurs flancs dans cet espace dégagé – nul bois, ruisseau ou marécage pour empêcher la cavalerie de déborder leur position. La chevalerie française n’a donc aucun mal à les attaquer de plusieurs côtés et à les tailler en pièces. La deuxième ligne ne résista guère plus au corps de Dunois et Alençon ; Jeanne, qui commandait l’arrière-garde avec Richemont, n’eut pas à s’engager, car le commandant anglais, John Fastolf, préféra assurer la retraite avec ce qui lui restait de troupes. Assimilée à une fuite, cette prudence lui valut une disgrâce de la part du duc de Bedford et une réputation qui inspirera à Shakespeare le personnage de Falstaff [simple_tooltip content=’ Présent dans les pièces Henry IV et Les Joyeuses Commères de Windsor.’](3)[/simple_tooltip], hâbleur et froussard.
De nombreux officiers anglais furent, eux, capturés, à commencer par le célèbre John Talbot. Mais les pertes en hommes sont plus décisives : entre 2 000 et 2 500 tués, soit la moitié des effectifs engagés, alors que les Français ne semblent pas avoir perdu plus d’une centaine d’hommes. Le corps des archers est durablement affaibli, car l’entraînement de ces tireurs d’élite est très long.
Patay fut donc une bataille atypique, presque anachronique puisqu’elle pouvait laisser croire que la cavalerie lourde gardait son rôle décisif. Si Jeanne d’Arc n’y joue aucun rôle actif, la bataille confirme le nouvel élan psychologique que son intervention provoque et ruine l’aura d’invincibilité des troupes anglaises ; le sacre de Charles, un mois après Patay, après avoir traversé des terres ennemies, renforce la légitimité historique du Valois. La capture et la mort de Jeanne, en 1431, année où Henri VI est sacré à son tour, mais à Paris, auraient pu briser cet élan, mais Charles VII saura se réconcilier avec le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, et reprend Paris en 1436 ; il réorganise aussi l’armée en créant notamment les francs-archers, inspirés des fantassins anglais et ancêtres d’une infanterie « nationale ». Dotée d’une artillerie mobile et puissante, conçue par les frères Bureau, la nouvelle armée royale prendra l’ascendant dans les sièges de la reconquête et dans les ultimes batailles rangées, comme Formigny (1450) et Castillon (1453), où meurent Talbot et deux de ses fils. La France a bien gagné la guerre de Cent Ans, quand l’Angleterre plonge à son tour dans une guerre civile : la guerre des Deux Roses (1455-1485).