<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La renommée internationale de Jeanne d’Arc

29 décembre 2019

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Photo : Statue de Jeanne d'Arc à Paris, Pixabay (C).

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La renommée internationale de Jeanne d’Arc

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Jeanne d’Arc a libéré la France des Anglais et a permis de restaurer le roi sur son trône. Sa renommée mondiale sert encore les intérêts de la puissance française, même six siècles après sa mort. En 1920, elle est à la fois canonisée par l’Église et fixée comme fête nationale par la République. Un centenaire que Conflits se devait de commémorer. Jeanne, chef de guerre et objet géopolitique. 

Quand l’on dit que Jeanne d’Arc est un phénomène absolument unique dans les annales de l’humanité, cela se vérifie à la permanence de son aura dans le temps à travers le monde. Notre héroïne nationale reste une référence tout à fait actuelle dans nombre de pays. Elle apparaît d’abord comme le symbole de la résistance, soit à un ennemi extérieur, comme la Coréenne Ryu Gwan-Sun luttant contre les Japonais en 1919, soit à une situation propre à un pays donné, comme nos contemporaines Ingrid Betancourt en Colombie ou Dilma Rousseff au Brésil s’opposant à une guérilla locale, pour donner quelques exemples parmi la soixantaine répertoriés.

 

L’intérêt pour Jeanne d’Arc ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte en fait aux origines de son épopée. Car de nombreuses chroniques rapportent avec plus ou moins de bonheur les événements la concernant. Outre les Bourguignons, qui ont parti lié avec l’Angleterre, il faut mentionner la Chronique d’Antonio Morosini, la plus intéressante de toutes, comprenant 23 lettres adressées probablement par un noble vénitien, Pancrace Justiniani, à son père, lui relatant les faits au fur et à mesure qu’il les apprend. La Chronique d’Eberhard Windecke, lui aussi contemporain de Jeanne d’Arc, qui conte ses hauts faits jusques et y compris le sacre de Charles VII à Reims, le 16 juillet 1429. Les Mémoires d’Æneas Sylvius Piccolomini, le futur pape Pie II, fort intéressants, tant par la conviction clairement affirmée de la divinité de la mission que par l’enthousiasme du pontife pour l’admirable et stupéfiante vierge, dont les hauts faits exciteront dans la postérité plus d’étonnement qu’ils ne trouveront de créance. Symptomatique de cette renommée est l’incrédulité que Bertrandon de La Broquière, premier écuyer tranchant du duc de Bourgogne, rencontre à Constantinople : « Le marchand chez qui j’étais logé dit à un des gens de l’Empereur que j’étais à Monseigneur le duc de Bourgogne, lequel me fit demander s’il était vrai que le duc de Bourgogne eut pris la Pucelle, car il semblait aux Grecs que c’était chose impossible. Je leur dis la vérité tout ainsi que la chose avait été, de quoi ils furent bien émerveillés. »

 

1. Jeanne redécouverte grâce aux Anglais et aux Allemands !

 

De très nombreux pays s’intéressent à Jeanne, parfois d’une façon quasiment passionnelle. Nous en avons recensé 90 dans le Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc. Il faut reconnaître aux Anglais et aux Allemands un rôle de premier plan dans la redécouverte de la Pucelle d’Orléans par les Français aux xviiie et xixe siècles. Même si sa présentation de Jeanne est caricaturale, Shakespeare l’honore. Le projet de l’Allemand Guido Görres de publier les actes du procès de Jeanne pousse les autorités à confier à Jules Quicherat le soin de le devancer et de s’attaquer à cette tâche. Les publications sur Jeanne d’Arc, scientifiques ou de divulgation, continuent de voir le jour. Les États-Unis sont à la pointe, certes, mais aussi le Japon, la Russie, la Pologne.

Le secteur romanesque se distingue. Mentionnons parmi les plus importants romans étrangers la Jeanne d’Arc de l’écrivain américain Mark Twain (1895), qui reste un modèle du genre, The Maid of France, being the story of the life and death of Jeanne d’Arc, de l’Écossais Andrew Lang (1908). L’Australien Thomas Keneally imagine Blood Red, Sister Rose, en 1976, et l’Américaine Pamela Marcantel, en 1997, An Army of Angels. A novel of Joan of Arc. L’Allemand Felicitas Hoppe publie Johanna, en 2006, et le moine bouddhiste japonais Otani Chojun, en 2014, La pucelle et le bonze, Jeanne d’Arc et maître Rennyo.

2. Jeanne en musique et au théâtre

 

La pièce de théâtre Jungfrau von Orleans, publiée en 1801 par Friedrich von Schiller, connaît un succès considérable. Abondamment commentée, cette œuvre romantique est imitée aussi bien en France qu’en Italie ou en Allemagne ; mise en musique, entre autres, par Johann Schulz en Allemagne, Manuel Tamayo y Baus en Espagne, Giuseppe Verdi en Italie, Tchaïkovski en Russie, Ignaz Moscheles en République tchèque ; portée au cinéma en RDA et transposée dans des mangas japonais. Au Japon encore, la pièce Jeanne d’Arc, de 2012, correspond parfaitement à l’esprit du théâtre nô. Elle avait été précédée, en 2010, d’une Jeanne d’Arc interprétée par Maki Horikita. En 1987, la Canadienne Lily Ann Green, établie au Royaume-Uni, met en scène Forward to the right : a play of Joan of Arc. L’année suivante, la Norvégienne Juni Dahr fait paraître Jeanne d’Arc Thru le feu, pièce suivie, en 1989, par la tragédie Giovanna d’Arco de l’Italien Emilio Isgrò et par Mistero e processo di Giovanna d’Arco de Roberto de Simone. Le Roumain Mihai Maniutiu représente une Jeanne d’Arc en 2000. Sa compatriote Alexandra Cherciu compose un opéra, Sainte Jeanne d’Arc, monté en 2013-2014.

 

Dans le domaine de la musique, pour nous cantonner aux années récentes, Janne Da Arc est un groupe rock japonais. Une comédie musicale Jeanne la Pucelle est donnée à Montréal en 1997. Johanka z Arku est une autre comédie musicale, représentée à Prague en 2001. Jeanne d’Arc est un album du groupe allemand Tangerine paru en 2005, la même année que Joanni de l’Anglaise Kate Bush et de Joan of Arc, album de « power metal » italien. Le groupe japonais Exist+race publie Orleans no shoujo en 2010. Le groupe canadien Arcade Fire chante « Joan of Arc » en 2013, et Madonna interprète en 2015 « Joan of Arc » dans son album Rebel Heart.

La statuaire n’est pas en reste. Signalons que le sculpteur russe Boris Lejeune réalise actuellement une grande statue de Jeanne qui doit être installée à Saint-Pétersbourg. Il faut indiquer la statue absolument unique d’une Jeanne d’Arc sous forme de pietà réalisée, en 2006, par Daniel Balan : Jeanne, assise sur un tronc d’arbre, tient un soldat mourant sur ses genoux. Elle se trouve à Fort Drum, près de New York, à la caserne de la 10e division de Montagne, flanquée de citations des généraux MacArthur et Patton sur le courage et l’intégrité morale à la guerre. D’ailleurs, l’installation d’une statue de Jeanne d’Arc à New York, en 1915, en présence du président des États-Unis, la parution du film Joan the Woman de Cecil B. DeMille, en 1916, contribuent à sensibiliser l’opinion américaine quant à l’entrée du pays dans la grande guerre. Et, fait remarquable, les soldats américains embarqueront en 1917 au cri de Joan of Arc ! Joan of Arc !

Les artistes du septième art ont, de fait, porté Jeanne d’Arc à l’écran plus que n’importe quel autre personnage. 142 films ont été tournés à ce jour pour le cinéma, la télévision ou la vidéo, principalement par les États-Unis (42) et la France (40), mais aussi l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Espagne, la Grande-Bretagne, Israël, l’Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Russie.

L’influence et la renommée de la Pucelle d’Orléans s’apprécient encore dans des panégyriques particulièrement louangeurs et qui nous touchent d’autant plus qu’ils sont prononcés par des étrangers : le cardinal suisse Mermillod en 1863, le Belge Deploige en 1921, l’évêque américain Mgr Ireland en 1899, le théologien anglais Wyndham en 1909, l’évêque américain Wright en 1966, l’archevêque de Birmingham Mgr Couve de Murville en 1985, le nonce apostolique Mgr Tagliaferri en 1996, le nonce apostolique Mgr Baldelli en 2001, l’archevêque de Barcelone Mgr Martinez-Sistach en 2005, le nonce apostolique Mgr Ventura en 2012, l’archevêque de Tarragone Mgr Pujols Barcells en 2013…

Faut-il préciser que ce sont des étrangers qui ont conféré à notre héroïne l’aura de bienheureuse puis celle de sainte catholique. Saint Pie X déclare à l’issue de la cérémonie de béatification, en 1909 : « Vous direz aux Français qu’ils fassent leurs trésors des testaments de saint Remy, de Charlemagne et de Saint Louis, qui se résument dans ces mots si souvent répétés par l’héroïne d’Orléans : Vive le Christ qui est roi de France. » Quant à Benoît XV, qui canonise Jeanne le 16 mai 1920, il voit en elle « le trait d’union entre la patrie et la religion, entre la France et l’Église, entre la terre et le ciel ». Le pape émérite Benoît XVI devait consacrer l’intégralité de l’audience générale du 26 janvier 2011 à évoquer la figure de cette « femme forte », relevant que « de ses propres paroles nous apprenons que la vie religieuse de Jeanne mûrit comme expérience mystique à partir de l’âge de 13 ans ».

Nous n’avons fait qu’effleurer le sujet. Mais cette présentation suffit à prouver la diversité de la palette johannique, tant du point de vue de l’expansion géographique, que des domaines touchés. À travers Jeanne, c’est la puissance culturelle française qui s’exporte.

 

Mgr Dominique Le Tourneau est également l’auteur du Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc, DDB, 2017.

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À propos de l’auteur
Dominique Le Tourneau

Dominique Le Tourneau

Prêtre et canoniste, chapelain de Sa Sainteté, Mgr Dominique Le Tourneau a publié de nombreux ouvrages de droit canonique et d'histoire de l’Église.

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