France – Italie : se connaitre davantage pour mieux se comprendre. Entretien avec l’ambassadeur Christian Masset

29 juin 2023

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Giorgia Meloni et Emmanuel Macron June 20, 2023. (Ludovic Marin, Pool via AP)/PAR142/23171606059916/POOL PHOTO/2306201855

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France – Italie : se connaitre davantage pour mieux se comprendre. Entretien avec l’ambassadeur Christian Masset

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France et Italie ont accentué leurs échanges et leurs liens par le traité du Quirinal. Les sujets de coopération entre les deux pays sont nombreux et parfois aussi les sujets de friction. Analyse de la relation entre Paris et Rome avec Christian Masset, ambassadeur de France en Italie.

Christian Masset est ambassadeur de France en Italie depuis septembre 2017.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Depuis quelques années, les relations entre la France et l’Italie sont devenues très complexes. Les échanges économiques entre les deux pays ne cessent de croître, de nombreux Français vivent et travaillent en Italie, il y a de nombreux dossiers de coopération de chaque côté des Alpes, mais des nuages s’accumulent aussi, avec parfois des moments électriques et des tensions vives, comme votre rappel temporaire en février 2019. À quoi attribuez-vous ces tensions ? Y a-t-il des divergences de fond sur certains dossiers clefs ou bien est-ce davantage dû à des disparités de forme, les gouvernements de Paris et de Rome n’ayant pas nécessairement les mêmes objectifs politiques à court terme ?   

La relation entre la France et l’Italie est très dense, étroite et couvre tous les champs de notre action. Il est donc naturel que dans une relation si proche, il y ait aussi parfois des tensions entre voisins et amis. C’est aussi le paradoxe de notre proximité : nous sommes parmi les pays européens les plus proches culturellement, et nous pouvons donc croire – à tort- que nous sommes identiques, à quelques nuances près, en pensant que nous n’avons pas besoin de nous connaître davantage pour nous comprendre. Ceci peut conduire à des incompréhensions parfois. Mais dans le même temps, chacun des deux pays a conscience des liens étroits qui l’unissent à l’autre : nous sommes notamment le deuxième partenaire commercial l’un pour l’autre et l’Italie fait partie des 5 premiers pays investisseurs en France. L’Italie est aussi l’un des tout premiers partenaires pour la culture, dans les co-productions cinématographiques ou dans l’édition. Les exemples sont innombrables. Ce sont des éléments qui, dans la durée, structurent la relation sur le terrain, de la part de ceux qui la vivent au quotidien, des entrepreneurs aux chercheurs en passant par les étudiants ou les artistes. Il est naturel qu’il puisse y avoir parfois des soubresauts, pour des raisons politiques ou historiques, mais la proximité entre nos pays reste une constante dans les domaines concrets où elle s’exerce, de l’économie à la recherche, en passant par la culture, la défense ou l’enseignement. 

Le Traité du Quirinal, signé le 26 novembre 2021, est d’une grande importance diplomatique puisqu’il se veut le pendant italien du traité de l’Élysée avec l’Allemagne. Près de deux ans après sa signature, quel bilan peut-on dresser de ces premières d’applications ? Estimez-vous que les objectifs visés par la France ont été atteints ?

Il ne s’agit pas de faire des comparaisons puisque la relation franco-allemande est unique. Le traité du Quirinal, dès qu’il a été proposé par les gouvernements italien et français, partait du constat que nous avons de nombreuses convergences et une relation d’une densité exceptionnelle, et qu’il fallait en tirer parti pour transformer ces convergences en action et positions communes. Le traité est formellement entré en vigueur en février dernier. Les accomplissements sont en cours, mais plusieurs d’entre eux sont remarquables : la mise en place d’un service civique franco-italien et la création d’un Conseil jeunesse, dont la première réunion s’est tenue il y a quelques semaines à Rome entre les ministres compétents, le lancement, dans le domaine de la culture, du « Nouveau grand tour » pour la deuxième année, qui permet à 100 artistes italiens, français et européens de faire des résidences croisées dans les deux pays, la signature d’une feuille de route capacitaire conjointe dans le domaine de la défense, les premières consultations entre ministres de l’économie, l’augmentation considérable du nombre de double-diplômes franco-italiens ou encore la création de campus de métiers conjoints entre régions, lycées et universités françaises et italiennes, entre la Lombardie et le Piémont et les régions Bourgogne-Franche Comté et Auvergne-Rhône Alpes. Autant d’exemples qui traduisent la dynamique positive qu’a lancée ce traité, et qui est appelée à se poursuivre. 

Les échanges économiques entre la France et l’Italie sont en croissance continue, si bien que l’écart se réduit par rapport aux échanges France – Allemagne. Quels sont pour vous les facteurs de l’intensification de ces échanges et quel pourrait être le rôle de la diplomatie française pour maintenir cette bonne croissance ? 

Vous avez raison de le souligner, nos relations économiques n’ont jamais été aussi denses. Chacun de nos deux pays compte environ 2 000 entreprises des deux côtés des Alpes. Nos échanges représentent plus de 100 mds d’euros en valeur, et ils ont augmenté de plus de 20% depuis la période pré-covid. Dans le même temps, il faut souligner le dynamisme des investissements, qui tendent à s’équilibrer de plus en plus entre nos deux pays : 2022 a été une année record pour l’Italie qui a lancé 139 nouveaux projets d’investissement sur le territoire français. C’est + 45% en un an et plus d’un doublement en cinq ans. 

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Ces projets ont permis de créer ou de sauvegarder 2 656 emplois l’an dernier. Pour notre part, dans le domaine de la diplomatie économique, nous avons pour double mission de montrer que la France est un pays ouvert aux investissements et qui a un environnement favorable où s’épanouir, tandis que parallèlement nous accompagnons, avec l’aide des opérateurs (au premier chef Business France, mais aussi la CCI franco-italienne), les entreprises françaises qui souhaitent s’implanter en Italie. 

Nous avons aussi plus d’entreprises en commun, comme le champion européen STMicroelectronics, Essilor Luxxotica, Stellantis ou Thalès Alenia Space. Nous encourageons aussi le dialogue et les initiatives pour que les deux écosystèmes se connaissent mieux : je pense aux forums annuels Medef-Confindustria, mais aussi à des initiatives encouragées par le traité du Quirinal, comme le soutien aux entreprises franco-italiennes à travers un dispositif mis en place par la CDP et la BPI ou l’accompagnement de start-up des deux côtés des Alpes. Nous encourageons également la création de forums économiques franco-italiens dans les régions, comme le club France-Mezzogiorno qui a tenu sa deuxième édition cette année. 

Nos deux pays ont vocation à poursuivre leur dialogue des œuvres à travers les musées, les expositions et les festivals. Je pense notamment à l’accord de long terme passé entre la Triennale de Milan et la fondation Cartier pour l’art contemporain, exemplaire à bien des égards.

Autre source d’échanges entre nos deux pays, l’art et la culture. L’ouverture de l’exposition Capodimonte au Louvre, avec l’inauguration du président Sergio Mattarella pourrait-elle inaugurer d’autres échanges de ce type entre les grands musées nationaux des deux pays ? 

Capodimonte au Louvre est un événement exceptionnel, d’abord car c’est la première fois que le Louvre consacre une exposition à un autre musée. Et il l’a fait de façon tout à fait remarquable non pas en réservant un lieu d’exposition à part, mais en insérant les œuvres exceptionnelles de Capodimonte au milieu de leurs « sœurs », dans des lieux emblématiques tels que la grande Galerie, en les faisant dialoguer directement. 

Au-delà, c’est aussi un vrai hommage rendu à la ville de Naples, avec tout un programme culturel pendant six mois fait de pièces de théâtre, de films, de lectures. En visitant cette exposition, on ressent à quel point il était naturel que ces œuvres se retrouvent côte-à-côte, tant notre histoire et nos cultures sont imbriquées. C’est « cette histoire qui nous dépasse » comme l’a dit le Président de la République. Des collaborations existent entre musées italiens et français : je pense par exemple à l’exposition sur le Pérugin à la galerie nationale d’art de l’Ombrie, dans sa ville natale de Pérouse, qui recevait le mois dernier pour l’occasion l’un des chefs-d’œuvre du maitre, « Les noces de la vierge » que l’on peut voir d’habitude au musée des beaux-arts de Caen. De Léonard de Vinci à Modigliani, tant d’artistes italiens ont vécu entre les deux pays – et les exemples d’artistes français ayant fait de même en Italie sont innombrables. 

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Un autre dossier compliqué entre la France et l’Italie est celui du tunnel ferroviaire Lyon – Turin. L’Italie estime que la France ne manifeste pas une réelle volonté de mettre en service l’infrastructure dans les temps prévus. Est-ce que ce tunnel ferroviaire demeure un objectif pour la France ? 

Sur ce sujet, nos autorités sont très claires. Il s’agit d’un projet majeur et prioritaire. Les travaux sont pleinement engagés et leur financement assuré par les deux États, tandis que l’UE apportera une contribution essentielle. Selon le rapport de l’observatoire transalpin de l’Agence alpine des territoires, publié en décembre 2022, c’est environ 1,5 million de poids lourds qui ont circulé dans les tunnels routiers franco-italiens des Alpes du nord en 2021.  Ce tunnel ferroviaire permettra de réduire la circulation de poids lourd par le transfert de charge sur le rail, contribuant ainsi à réduire l’impact écologique du transport routier et permettant la création d’une alternative durable et concrète à la route. Elle permettra aussi l’extension du réseau à grande vitesse pour les voyageurs. 

Si depuis mars 2022 les regards européens sont essentiellement tournés vers l’Ukraine, la Méditerranée reste une zone majeure de défis pour l’Europe. Voies migratoires, gisements de gaz en Méditerranée orientale, instabilité de la Lybie… les sujets ne manquent pas. Comment la coopération franco-italienne peut-elle s’accorder pour une gestion commune de ces dossiers ? 

La France et l’Italie sont deux grands pays méditerranéens. Ils coopèrent déjà étroitement sur l’ensemble des sujets que vous citez. Le traité du Quirinal rappelle d’ailleurs dans son préambule la priorité que constitue la stabilité et la prospérité à long terme de la Méditerranée, et nous engage à agir ensemble en faveur de sa sécurité, de la promotion des biens communs entre les deux rives et de la protection de son environnement. Sur la plupart des sujets qui concernent la Méditerranée, nous voulons que l’Union européenne prenne toute sa part parce qu’elle est l’échelle pertinente pour apporter des solutions. 

Sur le volet migratoire par exemple, cela implique une vision commune dans le renforcement des frontières extérieures et la lutte contre les trafics d’êtres humains, et nous sommes là-dessus tout à fait convergents. Cela veut dire aussi une coordination plus étroite dans nos dialogues respectifs avec les pays de la rive sud, par exemple avec la Tunisie ou la Libye, mais aussi des actions menées conjointement avec ces pays pour renforcer la stabilité et la sécurité. Ce n’est qu’en additionnant nos forces et notre expertise que nous nous renforçons mutuellement dans notre approche de l’aire méditerranéenne. 

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Christian Masset

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