Lors du Forum MD Sahara, le Maroc a renouvelé son engagement pour l’Afrique et sa volonté de jouer un rôle important sur le continent. La teneur des échanges et des interventions a montré une volonté renouvelée de Rabat de peser sur la politique du continent.
Le 4 mars 2023 se tenait à Dakhla, dans le sud du Maroc, la deuxième édition du Forum MD Sahara, organisé par le média Maroc diplomatique. Intitulée cette année « Le Maroc en Afrique : un choix royal pour un continent global et intégré », l’édition 2023 a rappelé que le Maroc est avant tout un pays africain. Déjà constitué en puissance incontournable, le Royaume entend bien devenir la locomotive du continent et sait s’en donner les moyens. La place du Maroc en Afrique doit aussi questionner la politique occidentale à l’heure où les errements européens, et notamment français, ont crispé les relations avec le royaume chérifien. Compte rendu de Ronan Wanlin, présent au Forum MD Sahara.
Par Ronan Wanlin
Le Maroc, un pays africain
Le Forum MD Sahara a été introduit par un extrait vidéo du discours du Roi Mohammed VI prononcé le 31 janvier 2017 devant le 28e sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, alors que le Maroc rejoignait à nouveau l’UA. « Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est Mon Continent, et Ma maison. Je rentre enfin chez Moi, et vous retrouve avec Bonheur. Vous M’avez tous manqué »[1]. Ces mots du souverain marocain étaient les maîtres mots de l’évènement.
Le choix du thème de ce Forum n’était pas anodin : toujours tourné vers l’Afrique, le Maroc veut s’affirmer en chef de file du continent. Ce chef de file a été présenté par différents orateurs comme celui qui saurait garantir « une relation humaine et spirituelle qui va de pair avec une coopération fructueuse et une solidarité infaillible ».
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Le Maroc est avant tout un pays africain. Si le réflexe occidental est d’instinctivement catégoriser le Maroc comme un pays arabe, il ne faut pas oublier qu’il est, et ce depuis des siècles, une nation africaine. Africain par sa géographie et par son histoire. Avant le mandat français, celui-ci s’étendait à l’ouest jusque dans l’actuel Adrar algérien, et au sud, jusqu’à l’actuelle région de Tombouctou au Mali[2].
SEM Youssef Amrani, ancien ambassadeur du Maroc en Afrique du Sud et actuellement ambassadeur du Maroc à Bruxelles a rappelé la vision du Roi Mohammed VI pour l’Afrique : « Créer des espaces régionaux, homogènes, aux circulations fluides et contrôlées, et où dominerait l’entente, mais aussi le dialogue, la coopération, l’esprit de compromis et le bon voisinage ». La récente élection du Maroc en tant que membre du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA jusqu’en 2025 démontre d’ailleurs la reconnaissance par les autres États africains de la pertinence de cette politique[3].
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Martin Ziguélé, ancien Premier ministre de la République centrafricaine a choisi de clôturer son intervention au Forum MD Sahara à propos de l’unité nécessaire de l’Afrique, par des mots saluant l’action marocaine sur le continent. Il a notamment salué « cette clairvoyance […] permettant de prendre de bonnes décisions à même de garantir l’épanouissement de l’Afrique ».
Le discours d’entrée de Souad Mekkaoui, Directrice générale du média Maroc diplomatique et organisatrice de l’évènement, a résumé la pensée globale du Forum : « Parce que l’Afrique est le prolongement naturel et la profondeur stratégique du Maroc, fervent partisan de l’intégration régionale ; Parce que l’engagement du Maroc aux côtés des pays frères et amis de l’Afrique subsaharienne est une réalité des plus palpables ; […] L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique ».
Enfin, il est important de souligner que ce forum s’est tenu à Dakhla, ville phare du Maroc saharien. Ce lieu ne doit rien au hasard. Il est une illustration de l’ancrage de la région dans le maillon africain. Alors que le voisin algérien s’acharne à vouloir arracher ce territoire à la souveraineté du Maroc qui a fait de son intégrité territoriale l’alpha et l’oméga de sa politique étrangère, le Royaume démontre bien sa volonté de placer ses provinces du Sud comme un lieu privilégié d’échanges économiques, sociaux, mais aussi politiques entre États africains.
L’action du Maroc en Afrique
« L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique », tel était le maître mot de l’évènement. Plusieurs intervenants ont affirmé la nécessité d’un leadership. L’Afrique doit se doter d’un leader et force est de constater que le Maroc entend bien présenter le bilan de son action afin de conduire la locomotive d’un continent qui attire toutes les convoitises. L’Afrique doit faire confiance au Maroc, tel était le second grand message du Forum MD Sahara.
Déjà avant sa réintégration au sein de l’Union africaine en 2017, le Maroc avait déjà conclu plus de 1 000 accords avec les autres pays africains, dont 949 entre 2000 et 2017. Le Roi Mohammed VI, dont les visites sont rares, en avait mené 46 dans 25 pays d’Afrique. L’action du Royaume était alors principalement axée sur la formation de la jeunesse africaine qui a pu profiter de milliers de bourses au Maroc, ainsi que sur le maintien de la paix et la lutte pour la sécurité et la stabilité du continent. Il est également important de rappeler les divers projets stratégiques comme les Unités de production de fertilisants mises en place avec l’Éthiopie et le Nigeria, l’Initiative pour l’Adaptation de l’Agriculture africaine au changement climatique lors de la COP 22, ainsi que le projet de Gazoduc Africain Atlantique avec le Nigeria.
Dans le contexte énergétique mondial actuel, ce dernier projet, qui permettra d’alimenter en énergie 14 pays, démontre la pertinence et la nécessité des visions à long terme et de la stabilité des politiques stratégiques afin d’assurer les besoins vitaux des États, mais également afin de développer l’intégration industrielle du continent.
Le Maroc pouvait déjà présenter son bilan sans rougir, ce qui a permis à Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de présenter les récentes actions de son pays au travers d’une lettre lue par la Directrice des Affaires africaines au ministère des Affaires étrangères, Mme Lamia Radi. Devant l’assemblée de diplomates, experts, responsables locaux et hommes politiques marocains aussi bien qu’africains, elle a rappelé que les avancées économiques du continent ont été aidées par « la forte présence des entreprises marocaines en Afrique, faisant du Royaume le deuxième investisseur africain dans le continent et le premier dans la région d’Afrique de l’Ouest ». Le ministre des Affaires étrangères a également rappelé l’attachement de son pays aux idéaux panafricains qui doivent être orchestrés selon les Hautes Orientations du Roi, dont la plus importante semble être la coordination entre les pays d’Afrique.
La présence marocaine en Afrique est matérialisée par des investissements conséquents dans des secteurs stratégiques. Le secteur bancaire est un de ces principaux secteurs clefs. L’Attijariwafa Bank, la Banque populaire ou encore BMCE Bank of Africa, trois Banque Nationale, sont présentes dans presque tous les pays du continent. Les télécoms sont également largement déployées à travers l’Afrique, tandis que l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), leader mondial, joue un rôle prépondérant dans la sécurité alimentaire en fournissant au continent des engrais et en formant les agriculteurs de tous les pays. Cette coopération Sud-Sud doit aujourd’hui faire face à un défi de taille : gestion du capital humain, développement et gestion des infrastructures logistiques et énergétiques, modalités douanières. Sur ce dernier point, le port de Tanger Med, le plus important du continent au regard des volumes (138 millions de tonnes de marchandises par an), est le port le plus connecté aux autres installations portuaires d’Afrique (180 ports dans 70 pays du monde). Il a permis la suppression de nombreuses dépenses pour les États et industriels africains.
Un partenaire économique et politique indispensable pour les pays du Nord
Deuxième pays le plus industrialisé du continent derrière l’Afrique du Sud (1), devant l’Égypte (3), la Tunisie (4), l’Algérie (11) et la Lybie (28)[4] au Maghreb, le Maroc est un partenaire économique clef pour l’Afrique, mais également pour l’Europe. L’ancienneté des échanges entre les deux continents est due non seulement à la position géographique du Maroc, dont les façades atlantique et méditerranéenne servent de pont entre nos continents, mais aussi à une histoire commune depuis des siècles. La géographie du Maroc lui a également permis de devenir un spécialiste dans la gestion des flux migratoires. Son Islam du « Juste milieu » et la qualité du Roi de « Commandeur des croyants » assurée par la constitution du pays, lui assure une influence particulière dans la lutte contre la radicalisation religieuse. Si le Maroc n’est pas un État européen, il est un invité de fait des grands enjeux du vieux continent.
Le Forum MD Sahara a mis en lumière un autre élément clef dans la relation Afrique-Maroc. Cet élément doit intéresser les pays européens et notamment la France qui, malgré les errements récents de l’Élysée et de la majorité présidentielle, pourrait encore s’appuyer sur des partenaires de confiance en Afrique. En effet, tout n’est pas affaire d’investissement et de sommes sonnantes et trébuchantes. Le Royaume chérifien n’est pas qu’un investisseur, il se veut un modèle pour l’Afrique. Le renouveau du développement du pays, l’amélioration de la plupart de ses indicateurs sociaux et sa vision politique sont suivis de près par les pays africains. Les investissements marocains vont également servir de modèle à l’Afrique. En effet, le Maroc a développé un modèle d’investissement bilatéral : le Traité bilatéral d’investissement (TBI).
Le Professeur Jean-Yves de Cara, dans son intervention au Forum MD Sahara, a finement analysé sa particularité qu’il qualifie d’ « approche classique, mais renouvelée ». Classique, car des codes d’investissement au Maroc comme dans d’autres pays d’Afrique avaient déjà été adoptés dans les années 1980. Renouvelé car il « consacre le traitement de l’investissement selon les évolutions du droit en précisant les concepts de ‘traitement juste et équitable’, de ‘non-discrimination’, et en délimitant la notion de la ‘clause de la nation la plus favorisée’, […] et en établissant enfin le principe de la responsabilité sociale et environnement de l’investisseur ». En résumé, le TBI « consacre les évolutions du droit et […] innove dans le droit des investissements ». Cette contribution est novatrice en Afrique et va constituer un modèle généralisable à tous les États africains. Alors que l’Afrique attire toutes les convoitises du monde avec 83 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE), représentant 5,2% des flux d’investissements dans le monde[5], et que le Maroc propose, avec ce TBI, une réforme des traités bilatéraux d’investissement sur le continent (mais aussi dans les pays arabes et la zone de libre-échange continental africain (Zlecaf). Les pays et les institutions qui ont su nouer un partenariat stratégique gagnant-gagnant avec le Maroc auront certainement une porte d’entrée d’exception dans le grand jeu africain.
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Les errements diplomatiques d’Emmanuel Macron et sa désastreuse gestion de la politique étrangère française vis-à-vis de l’Afrique et du Maroc est de plus en plus questionnés[6]. La réponse cinglante et singulière du Palais royal au Président de la République qualifiant les relations France-Maroc de « ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée »[7] démontre que la politique française est loin de pouvoir profiter pleinement du hub vers l’Afrique que représente le Maroc.
Il suffirait pourtant de peu pour que les choses changent. Quelques mois en arrière, l’Espagne n’était pas en odeur de sainteté à Rabat après avoir notamment accueilli pour des soins médicaux le Président autoproclamé de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Brahim Ghali, en avril 2021. Rappelons que la RASD et le Front Polisario, marionnettes algériennes, se battent contre le Maroc pour lui arracher les territoires au sud de Tan-Tan, de Laâyoune à Lagouira. Il a suffi à l’Espagne d’éclaircir sa position sur la marocanité du Sahara occidental pour retrouver les bonnes grâces de Mohammed VI et profiter du potentiel politique et économique incontournable du Maroc. L’exécutif français ne semble pas considérer le poids de l’histoire et des relations bilatérales anciennes, quasi amicales, entre Paris et Rabat, gageons qu’il saura au moins considérer ses intérêts rapidement.
Avec ce Forum MD Sahara, le Maroc et ses partenaires africains envoient un message clair : la coopération Sud-Sud est une réalité, le train est en marche et n’attendra pas les retardataires.
Notes
[1] Texte intégral du Discours prononcé par SM le Roi Mohammed VI devant le 28e sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/texte-integral-du-discours-prononce-par-sm-le-roi-mohammed-vi-devant-le-28eme-sommet
[2] Lugan, Bernard, Histoire du Maroc Des origines à nos jours, Paris, Ellipses, 2011, p.162
[3]Trente-cinquième session ordinaire de la Conférence de l’Union, 5 et 6 février 2022, Addis-Abeba, Éthiopie p. 77https://au.int/sites/default/files/decisions/41583-Assembly_AU_Dec_813-838_XXXV_F.pdf
[4] Groupe de la Banque africaine de développement, Indice 2022 de l’industrialisation en Afrique, https://www.afdb.org/fr/documents/indice-2022-de-lindustrialisation-en-afrique
[5]https://news.un.org/fr/story/2022/06/1121472#:~:text=En%202021%2C%20les%20investissements%20directs,CNUCED)%20publi%C3%A9%20le%209%20juin.
[6] https://www.revueconflits.com/le-maroc-un-partenaire-necessaire-pour-la-france-entretien-avec-ali-moutaib/
[7] https://atlantico.fr/article/decryptage/mais-pourquoi-tant-de-tensions-avec-le-maroc-diplomatie-france-paris-rabat-emmanuel-macron-mohammed-vi-negociations-relations-palais-royal-elysee-jean-baptiste-noe