<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le football, entre identités multiples et mondialisation

23 août 2020

Temps de lecture : 6 minutes

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Le football, entre identités multiples et mondialisation

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Le football est le sport le plus répandu à travers la planète. Il épouse toutes les contradictions de notre époque, entre affirmation identitaire et mondialisation uniformisatrice.

Le sport est contemporain du processus de mondialisation enclenché par les révolutions du xixe siècle. Sa diffusion procède de l’« anglobalisation », cette première mondialisation marquée par la domination et l’exportation des produits d’Angleterre. Manier une raquette, courir sur une piste, se disputer un ballon constituent, à la Belle Époque, un moyen de se conformer, voire de prêter allégeance à la culture britannique. Ou d’y résister et de vouloir s’en démarquer. Ainsi, l’exceptionnalisme américain a été porté par le base-ball, le football et le basket-ball dépositaires de l’identité (masculine) américaine en 1914. En France, le Tour de France est vite devenu un hymne à la diversité et à la richesse des terroirs français ainsi qu’à la vigueur de ses classes populaires.

 

Cependant, aucune de ces disciplines sportives n’a atteint la dimension planétaire du football association. Sport populaire séduisant les élites politiques, économiques et parfois intellectuelles, le football a été l’un des constituants d’identités individuelles et collectives bouleversées par les grandes transformations des xixe et xxsiècles, et maintenant, par la mondialisation.

Ces identités sont multiples et se déploient souvent sur différentes échelles. La nation y reste toujours importante comme en témoigne le succès de la Coupe du monde de football, même si, avec la circulation des images et des produits de grande consommation, les identités sportives recèlent aussi un caractère de plus en plus transnational.

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Les identités plurielles du football

Le succès planétaire du football a souvent été expliqué par sa simplicité et son coût modique. Autant d’atouts qui en font un sport d’une très grande plasticité. Après avoir été codifié par des représentants de la upper middle class en 1863, il devient le sport emblématique de la working class deux décennies plus tard. Le devenir de la FA Cup ou Coupe d’Angleterre reste une illustration éclatante de cette histoire. Fondée par des bourgeois pour promouvoir le football association en 1871, elle symbolise la respectabilité gagnée par le prolétariat britannique lorsque le roi George V assiste pour la première fois à sa finale en 1914 devant plus de 100 000 ouvriers.

 

Sur le continent, la diffusion du ballon rond est parfois assurée par des outsiders. En Allemagne, le premier développement du Fussball doit beaucoup à la bourgeoisie juive qui voit dans ce sport un autre lieu d’émancipation. En France, sous la Troisième République, la diffusion du football est pour partie l’apanage des curés sportifs et de leurs patronages. Si l’Église a joué un rôle en Italie, surtout après 1945, c’est d’abord le campanilisme, le culte de la « petite patrie » qu’est le quartier ou la ville, qui a bénéficié au calcio, autant à l’intérieur des cités, qu’entre villes et régions du Nord et du Sud de la péninsule.

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Toutefois, loin de seulement diviser, le football a aussi réuni. Il a contribué à la reconstruction identitaire des deux puissances de la double monarchie. Dans l’entre-deux-guerres, le Wunderteam autrichien a porté haut les couleurs de la faible Autriche. De même, l’équipe du « major galopant » Ferenc Puskas s’est, sous la dictature de Matthias Rákosi, autant parée du rouge communiste que magyar. Une longue liste de pays neufs ou nés de la décolonisation pourrait être citée pour souligner le rôle du football dans le processus de nation building. Qu’il s’agisse de faire vivre la fiction de l’État-nation pendant 90 minutes, d’intégrer des populations marginalisées ou composites, de soutenir un pouvoir autoritaire, les exemples sont légion de l’Algérie à la Zambie en passant bien sûr par l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay.

Le football ou la résilience de la nation à l’âge de la mondialisation

Dans les années 1990, la fin des territoires, la mort de l’État-nation ont souvent été prophétisées. Force est de constater que l’organisation territoriale du football est toujours calquée sur un modèle westphalien assumé : une fédération par État souverain ou, parfois, par territoire autonome. La prolifération étatique des trente dernières années a même multiplié le nombre des fédérations et, passant, des équipes nationales. L’ancienne Yougoslavie est maintenant représentée par les formations croate, macédonienne, monténégrine, serbe, slovène et même, pour des matchs amicaux, kosovare. Alors que la guerre civile yougoslave avait été anticipée en 1990 par les violences du match Dinamo Zagreb-Étoile rouge de Belgrade, la troisième place obtenue par la Croatie lors de la Coupe du monde 1998 a contribué à faire connaître de manière plus positive le pays dirigé par Franjo Tudman.

 

De fait, les phases finales des compétitions internationales ont ouvert leur porte aux petits pays du football. 32 équipes se disputent désormais le trophée mondial, 24 la Coupe Henri Delaunay lors de l’Euro organisé par l’Union des associations européennes de football association (UEFA). Comme cette confédération continentale compte 54 membres, cette ouverture permettra en juin 2016 à des petites nations telles que l’Albanie ou l’Islande de disputer leur premier Euro et à leurs supporters de déployer leurs emblèmes nationaux dans les stades et villes françaises.

Les compétitions entre équipes nationales sont en effet aujourd’hui un lieu d’appropriation et de déploiement des couleurs nationales via un carnaval sportif transcendant souvent les catégories sociales, ethniques et les sexes. Peut-être, dans un monde où les conflits interétatiques sont devenus très rares, la vie plus sûre, au moins dans les pays industrialisés, ces manifestations sportives consentent de mettre en jeu si ce n’est le destin, au moins la fierté nationale. D’où en France, par exemple, la liesse de 1998 mais aussi l’opprobre de 2010. Mais ne nous trompons pas. La commercialisation du jeu n’est pas étrangère à la popularité de la nation footballistique. Selon la FIFA, la Coupe du monde 2014 a été suivie par 3,2 milliards de téléspectateurs qui ont généré un revenu télévisuel de plus de 2 milliards d’euros. La célébration sportive de la nation est aussi celle de la consommation.

 

Entre transnationalisme et revendications identitaires

Le commerce des maillots des équipes nationales fait partie des recettes escomptées de telles compétitions. Pendant la Coupe du monde 2014, ADIDAS a vendu plus de deux millions de tuniques de l’équipe allemande, la Nationalmannschaft, sur le territoire national. Toutefois, le maillot mêlant de manière presque indissociable l’aigle impériale allemande et les trois bandes de la firme transnationale est en vente dans tous les malls commerciaux de la planète. Les tenues des équipes nationales allemande, anglaise, argentine, brésilienne et italienne sont ainsi arborées par des millions de personnes n’ayant aucunement la nationalité des pays qu’elles représentent. La gloire sportive, l’esthétique du maillot, la Sports Brand qui le conçoit et produit, les piètres performances de sa propre équipe nationale sont autant d’éléments amenant le consommateur-supporter à acquérir un bien souvent coûteux. Parfois, il est question d’une revendication identitaire plus profonde. De nombreux jeunes de nationalité française et d’origine immigrée portent fièrement, qui le maillot du Portugal, qui celui de l’Algérie, qui celui du Maroc. Une autre manière d’affirmer des origines et de se mettre en retrait de la communauté sportive et/ou nationale.

 

Mais le marché des maillots ne se limite pas aux équipes représentant des nations. Il reste aussi très profitable pour les plus grands clubs européens. Se constituent ainsi des communautés transnationales, allant de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Amérique du Nord et l’Europe, de supporters de Barcelone, du Real Madrid, de Chelsea ou de Manchester United. On est frappé de voir jusqu’où s’exprime cette forme allégeance sportive portée par la télévision, Internet et les réseaux sociaux. Les combattants des guerres civiles africaines revêtent parfois le maillot d’un de ces clubs, produit de contrefaçon chinoise, pour aller au combat. Dans des contrées plus pacifiées, le supportérisme est d’abord une forme d’affirmation identitaire juvénile et masculine dont les supporters, dits ultras, sont la manifestation la plus aiguë. Sous diverses dénominations (barras bravas et torçidas par exemple en Amérique du Sud), ils sont l’incarnation même de la mondialisation portée par le sport. Rien ne ressemble plus à un groupe ultra qu’un autre groupe ultra (même rituels, mêmes affiches, mêmes slogans, mêmes violences réelles ou suggérées) alors que tous prétendent défendre une identité unique, menacée et menaçante. Notons cependant que ces mouvements prennent une couleur politique dans les pays d’Afrique du Nord où l’expression des jeunes est muselée ou dans les pays de l’Europe centrale et orientale où le football porte aussi le nationalisme de groupes extrémistes.

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L’allégeance à une identité sportive est aujourd’hui fortement clivée et illustre bien les dilemmes de la mondialisation. D’un côté, le football dessine un espace transnational dans lequel on peut supporter et une équipe nationale et un club qui ne sont ni celle du pays, ni celui de la ville ou de la région où l’on habite. Une situation favorisée par le caractère multiculturel des équipes nationales européennes et le recrutement multinational de la plupart des clubs depuis l’arrêt Bosman qui a libéré, en 1995, la circulation des footballeurs professionnels. D’autant que ces clubs sont souvent détenus par des propriétaires étrangers. D’un autre côté, le ballon rond constitue l’un des autels où l’on célèbre le culte de la nation, même si celui-ci ne dure que le temps d’un match ou d’une compétition. Il est aussi le réceptacle d’identités locales et de rites de passage que les sociétés sécularisées et démilitarisées ont abolis.

 

Cette situation risque de perdurer comme en témoignent les évolutions qui se dessinent. La Premier League anglaise est en train d’écraser économiquement ses concurrentes. Dopés par des droits télévisés prohibitifs, ses clubs petits et grands peuvent recruter à tout-va. À terme, on peut imaginer que ses dirigeants veuillent créer la ligue tout à la fois nationale et globale, ressuscitant par-là l’anglobalisation ! Il convient également de ne pas sous-estimer le plan de développement du football lancé en 2015 par le président chinois Xi Jinping, dans lequel on retrouve le jeu ambivalent des identités sportives à l’âge de la mondialisation. S’il s’agit de faire de la Chine l’une des grandes nations du football en 2050, ce dessein n’en passe pas moins par l’importation à prix d’or de joueurs et d’entraîneurs européens et sud-américains. Une aubaine dans un pays où les fans de football adorent revêtir des maillots d’équipes nationales et de clubs étrangers, des tenues toutefois produites dans l’Empire du Milieu.

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Paul Dietschy

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