L’inattendue victoire de l’Arabie saoudite contre l’Argentine a aussi été l’occasion d’un rapprochement diplomatique entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Preuve que le sport est bien sujet politique.
Par Nicolas Driouech
L’Arabie saoudite a créé la sensation lors de son premier match de Coupe du monde en disposant de l’Argentine de Lionel Messi, le 22 novembre 2022. Un exploit sans précédent qui est, aussi, une victoire géopolitique. Une performance qui a provoqué une liesse incommensurable à l’issue de la rencontre, à la hauteur de l’exploit réalisé par cette nation classée à la cinquante-et-unième place du classement de la FIFA. Le roi Salmane a conséquemment décrété un jour férié pour toute la population active. Mais plus surprenant encore, son homologue qatarien, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, présent au stade, s’est saisi d’un drapeau saoudien avant de l’arborer avec une certaine ferveur. Au-delà de son épilogue sportif, cette rencontre souligne le rapprochement entrevu en janvier 2021 entre Riyad et Doha, après trente mois de rivalité exacerbée.
Ce geste, aussi surprenant soit-il, retranscrit un « message diplomatique » selon Raphaël Le Magoariec, chercheur en géopolitique et spécialiste de la région. En prenant cette initiative, l’émir du Qatar a délibérément souhaité afficher la normalisation des relations entre le Royaume saoudien et le petit émirat du Golfe et affiche ses ambitions sur la scène internationale.
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À l’origine de cette querelle, quatre États voisins (l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte) reprochèrent à la famille Al-Thani son soutien supposé au terrorisme, ses liens étroits avec l’Iran et l’accusèrent a fortiorid’ingérences dans leurs affaires internes. C’était en 2017. Le 5 juin, ces quatre pays, dont l’Arabie saoudite, rompaient leurs relations diplomatiques avec Doha. Il s’ensuivit une crise d’une ampleur inédite dans la péninsule arabique, longue et durable, malgré des tentatives de médiation infructueuses, en partie à l’initiative des États-Unis. À la suite de cette décision commune, le Qatar fut isolé. Le boycott voulu par les États instigateurs obligea le Qatar à trouver des moyens de substitution pour subvenir à ses besoins alimentaires, entre autres. À titre d’exemple, l’émirat dut importer 10 000 vaches laitières des États-Unis afin de ne plus dépendre du lait saoudien[1].
Il fallut attendre 2021 pour voir les tensions entre les pays de la région s’apaiser. C’est par une accolade symbolique entre l’émir et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, communément appelé « MBS », lors du sommet du Conseil de coopération du Golfe[2] (CCG), le 5 janvier de la même année, que cette démarche fut entreprise. Un accord de réconciliation fut alors signé par les six membres du CCG, mettant fin aux sanctions visant le Qatar. Depuis lors, les signes d’apaisement n’ont fait qu’augmenter, offrant de nouvelles perspectives à la région tout en laissant subsister une certaine ambiguïté quant aux motivations de l’Arabie saoudite d’entreprendre une telle démarche.
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Ce rapprochement est ostensible depuis le début de la compétition. Lors de la cérémonie d’ouverture à Al-Khor, « MBS » se trouvait aux premières loges, assis à côté de Gianni Infantino, président de la FIFA. Une place de choix, appréciée par le principal intéressé. Ce dernier n’a pas hésité à exprimer sa gratitude à l’égard de son hôte qatarien par le biais d’un message obséquieux « Avant de quitter votre pays, je tiens à vous exprimer mes remerciements les plus sincères et mon appréciation envers l’hospitalité chaleureuse que ma délégation et moi-même avons reçue ». Preuve de la volonté d’apaisement affichée côté saoudien, le prince héritier avait déjà ordonné à ses ministres d’apporter à son voisin qatarien toute l’aide nécessaire ainsi que les infrastructures dont il pourrait avoir besoin durant cette Coupe du monde.
Dans ce processus de détente, il y a un grand perdant. Il s’agit des Émirats arabes unis, dont le président et émir d’Abu Dhabi Mohammed ben Zayed (MBZ) n’était représenté que par son Premier ministre lors du match inaugural entre le Qatar et l’Équateur, comme il ne s’était pas rendu au sommet d’Al-Ula, au cours duquel avait été acté le réchauffement des relations avec le Qatar. Il convient de rappeler que les Émirats arabes unis furent les principaux intégrateurs du blocus contre le Qatar, lequel soutenait la volonté de Riyad d’imposer un leadership bi-latéral aux côtés d’Abu Dhabi[3].
Le sport, vecteur de puissance pour les États
Vint alors l’épisode du drapeau saoudien à la fin de la rencontre entre l’Arabie saoudite et l’Argentine. Une image impensable au moment du blocus, loin des oppositions qui ont rythmé la relation bi-latérale entre les deux pays ces dernières années. À l’évidence, cet événement sportif planétaire, suivi par quelque trois milliards de personnes, offre aux acteurs étatiques un terrain propice à mettre en scène des messages géopolitiques au spectacle du monde entier. À l’ère des réseaux sociaux, cette image ne pouvait que faire le tour du monde. Selon Stéphane Paquin, « les très grandes capacités de diffusion et de collecte d’informations permettent de défendre et de promouvoir les intérêts nationaux [4]». Dans ce cas précis, le message affiché par l’émir du Qatar est explicite. Il est d’autant plus symbolique, car il se veut fédérateur, soulignant la volonté de l’émirat qatarien de faire de cette Coupe du monde un moment d’unité pour les pays du monde arabe.
Ainsi, le Qatar utilise « sa » Coupe du monde à bon escient, notamment dans l’optique de renforcer son influence dans la région. L’élimination prématurée de son équipe nationale ne fera pas oublier que la raison qui a motivé la candidature du Qatar pour l’organisation de cette compétition est sa volonté d’étendre son pouvoir d’influence et de persuasion et par voie de conséquence, s’installer durablement sur l’échiquier mondial. L’Arabie saoudite quant à elle fait un pas de plus vers son plan « Vision 2030 », conçu pour lui permettre de développer un nouveau modèle économique plus libéral, au sein duquel le sport joue un rôle prépondérant.
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[1] Rachid Chaker, « La crise du Golfe de 2017 : un an après », Politique étrangère, 2018/3, pp. 77-87.
[2] Conseil fondé le 25 mai 1981, lors du sommet d’Abu Dhabi. Il a pour but de rapprocher ses membres (l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar, Oman et le Koweït) sur les plans politique, militaire et économique.
[3] Fatiha Dazi-Héni, L’Arabie saoudite en 100 questions, Tallandier, 2017.
[4] Stéphane Paquin, « La diplomatie à l’ère d’internet et des médias sociaux », La puissance par l’image, (dir. Christian Lequesne), Presses de Sciences Po, 2021, pp. 33-57.