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24 janvier 2024

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FLN / Hamas : la stratégie de la terreur

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L’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas rappelle la stratégie suivie par le FLN durant la guerre d’Algérie. La « guerre d’insurrection », qui vise à semer l’effroi et la terreur afin d’obliger un État à s’engager dans la guerre, cherche aussi à accaparer le monopole du combat en éliminant les concurrents à la rébellion. Le parallèle avec la guerre d’Algérie est criant pour Israël, mais aussi pour la France contemporaine.

Jean-Baptiste Noé, Guy-Alexandre Le Roux

Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.

Le 7 octobre 2023, le Hamas ne s’est pas contenté de tuer des populations civiles : il les a mutilées. Les exactions menées sur les victimes ont défiguré les corps par démembrements, mutilations génitales, amputation, etc. Il ne s’agissait pas uniquement de tuer, mais de semer une terreur indicible, un effroi gravé dans les mémoires. Une opération qui fut notamment permise par les renseignements transmis au Hamas par des Gazaouis travaillant dans les kibboutz : lieu des stocks d’armes, horaires de travail, fonctionnement de la sécurité. Des ennemis de l’intérieur qui avaient pourtant bénéficié de passeports spéciaux pour travailler en Israël.

28 mai 1957, Melouza, 200 km au sud d’Alger. Dans ce village de près de 350 habitants, une partie de la population soutient Messali Hadj, président du Mouvement national algérien (MNA) et opposant au FLN. Au matin du 28 mai, des troupes du FLN prennent le village d’assaut, assassinant la population à coups de fusils, de pelles et de pioches. Les femmes sont violées, les hommes abattus, les corps mutilés. Dans les fermes environnantes, tenues par des Français, ce sont les ouvriers agricoles, acquis aux idées du FLN, qui ont conduit les massacres. Ceux qui partageaient les labeurs et la vie quotidienne des Européens se sont retournés contre eux : bébés fracassés contre les murs, femmes enceintes éventrées, hommes abattus et émasculés[1]. À son arrivée sur les lieux, l’armée française découvre plus de 300 cadavres abandonnés et souillés. Les photos prises comme preuves des massacres, insoutenables, sont interdites de diffusion[2]. Plus tard, le FLN fera croire que la responsabilité du massacre revient à l’armée française. La stratégie de l’insurrection est habile : semer la terreur parmi les sympathisants du MNA pour les forcer à rejoindre le FLN qui veut apparaître comme le seul mouvement de la résistance algérienne, créer un massacre tel que l’armée française soit obligée de réagir, avec violence, afin de démontrer à l’opinion qu’elle tient le pays, créer un traumatisme parmi les Français d’Algérie pour leur faire comprendre qu’ils ne seront en sécurité nulle part, traumatisme d’autant plus grand que ce sont souvent des ouvriers agricoles connus de tous qui ont tué et non pas des combattants anonymes du FLN. Peu importe le nombre de morts, ce qui compte ce sont les images et la terreur.

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Melouza n’est pas un cas isolé. Tout au long de la guerre d’Algérie, de 1945 à 1962, les massacres des populations civiles ont été la norme. À Sétif, à partir du 8 mai 1945, ce sont cinq jours de massacres des Européens, qui se solde par un total de 103 morts. L’objectif visé est atteint : terreur des nationalistes et répression de l’armée qui contribue à séparer les deux populations et à renforcer le mouvement indépendantiste. 1er novembre 1954, Toussaint rouge : une nuit d’attentats et de sabotages menés par le FLN à travers toute l’Algérie. Si le bilan humain est finalement faible eu égard à la suite de la guerre (10 morts), la victoire symbolique est totale. Le FLN a démontré sa capacité d’action et, surtout, il a réussi à imposer ses images, son discours et sa vision. Le succès politique est certain. Les exemples peuvent être multipliés, ils démontrent tous la même chose : le FLN a compris comment mener une guerre d’insurrection, il a défini les objectifs à atteindre et les moyens pour y parvenir, y compris en menant de nombreux attentats en métropole. Comme le Hamas est parvenu à cornériser le Fatah et à prendre la main sur la lutte armée par rapport au Hezbollah, le FLN a su éliminer ses opposants. La guerre externe s’accompagne toujours d’une guerre interne pour la domination politique sur son camp.

Guerre sociale ou guerre culturelle ?

Face aux massacres en Algérie, la réponse politique a été unanime parmi les partis qui gouvernaient. Attachée à la colonisation, qui fut sa grande idée, la gauche républicaine prôna la fermeté face à la terreur et refusa toute indépendance. Pierre Mendès France fut sans appel dans un discours prononcé le 12 novembre 1954 à la tribune de l’Assemblée nationale : « Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la Nation et l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie font partie de la République française, ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. […] L’Algérie, c’est la France, et non un pays étranger que nous protégeons. »

François Mitterrand, ministre de l’Intérieur et de la Justice, défendit lui aussi la fermeté : « La seule négociation, c’est la guerre. » Avant eux, on devait au gouvernement du Front populaire la répression sans faille du nationalisme algérien dans les années 1930. Léon Blum défendait alors la colonisation, tout comme une grande partie de la gauche. En 1945, après les massacres de Sétif, la répression dans le Constantinois fut décidée par un gouvernement issu de la Résistance, composé de socialistes et de communistes. Le PCF condamna les nationalistes algériens impliqués, qualifiés de « provocateurs à gages hitlériens ». Le Parti communiste était clair : il fallait que « les meneurs soient passés par les armes[3] ».

Si la répression fut violente et intransigeante, au moins dans les mots, elle s’accompagna d’une volonté plus grande d’intégration des populations algériennes. Pour Pierre Mendès France, les racines du problème étaient économiques et sociales. Pour lui, la pauvreté engendre le terrorisme et la violence et nourrit la rébellion contre la France. En développant l’Algérie, la pauvreté pouvait disparaître et avec elle les causes de la rébellion. Il fallait donc plus d’équipements sociaux, d’écoles, de services publics. Cette idée était partagée également par Jacques Soustelle[4] qui affirmait que le développement économique et social favoriserait l’intégration des populations algériennes dans le corps français. Le député poujadiste Jean-Marie Le Pen voyait même dans le jeune Algérien l’avenir de la nation française : « Ce qu’il faut dire aux Algériens, ce n’est pas qu’ils ont besoin de la France, mais que la France a besoin d’eux. C’est qu’ils ne sont pas un fardeau ou que, s’ils le sont pour l’instant, ils seront au contraire la partie dynamique et le sang jeune d’une nation française dans laquelle nous les aurons intégrés. […] Je m’étonne de la répugnance qu’éprouvent de très nombreux Français de Métropole à l’idée qu’il y a en Algérie six millions d’hommes jeunes ; car ces jeunes hommes seront peut-être, si nous le voulons, le fer de lance de la France africaine. Si nous sommes capables d’atteindre cet objectif, alors le jeune Algérien ne sera pas celui à qui l’on vient donner l’aumône, il deviendra celui à qui l’on demande. Et c’est vrai, la France a besoin de l’Algérie, peut-être plus que l’Algérie n’a besoin de la France[5]. »

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Toute autre fut l’analyse du général de Gaulle, pour qui les causes de la guerre n’étaient pas économiques et sociales, mais culturelles. Dans ce cas, la stratégie conduite par le FLN était une guerre révolutionnaire qui visait à la subversion de son ennemi par la terreur et la guerre de propagande. Cette guerre ne pouvait se gagner par davantage d’aides sociales, mais par un objectif politique clairement défini (en l’occurrence, opérer le « désengagement » de l’Algérie) atteint par une stratégie militaire visant à réduire le FLN. Le militaire étant au service du politique, la victoire militaire ne pouvait être obtenue si les objectifs politiques fixés n’étaient pas atteints. Ce constat s’applique à toutes les périodes. Il n’y a de victoire militaire que s’il y a victoire politique. Pour de Gaulle, l’objectif politique était d’obtenir rapidement l’indépendance de l’Algérie (ce qu’il obtint en quatre ans, 1958-1962, alors que le problème algérien durait depuis 1945) afin de recentrer la France sur des objectifs qu’il estimait prioritaires, à savoir l’obtention de l’arme nucléaire et le retour dans le concert des nations. Pour lui et pour ses soutiens, l’objectif politique fut atteint, grâce notamment à une victoire militaire sur le terrain. Une vision que ne partageaient pas les partisans de l’Algérie française, qui avaient d’autres objectifs politiques.

Il y avait donc, dans cette crise algérienne, divergence d’analyse et de compréhension des événements. Ceux qui pensaient que l’Algérie pouvait et devait rester française voulurent apporter une solution sociale à la crise (Mendès France et Soustelle) ou éradiquer le FLN, jugé responsable des troubles sociaux (OAS). De l’autre côté, d’autres estimèrent que la France n’avait pas d’intérêt à conserver l’Algérie, mais surtout que l’existence même d’une Algérie française était impossible compte tenu de la différence culturelle entre les peuples. Ils cherchèrent à se dégager d’une situation qu’ils estimaient insoluble. Le problème ne datait pas des années 1950. Dès 1830-1840, au cours de ses voyages effectués en Algérie, Alexis de Tocqueville avait constaté le différentiel de vue entre partisans et opposants à la colonisation de l’Algérie, qui était, déjà, une ligne de démarcation entre ceux qui croyaient à l’intégration et ceux qui n’y croyaient pas[6].

Le même conflit d’interprétation est aujourd’hui à l’œuvre sur l’analyse de la guerre menée par le Hamas. S’agit-il d’une guerre de décolonisation, le Hamas cherchant à chasser Israël pour obtenir un État indépendant, ou d’une guerre de civilisation, le Hamas cherchant d’abord à éradiquer Israël, l’obtention d’un État indépendant n’étant que secondaire ?

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Durant toute la guerre, le FLN avait justifié son combat par une légitimité morale au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En invoquant ce principe qui n’était encore qu’abstrait, il gagnait des soutiens à l’extérieur ou du moins neutralisait les indécis. Le FLN avait un projet d’État, il cherchait la légitimité. Le Hamas a une démarche bien différente. Contrairement à ce qu’avait espéré une partie de la gauche israélienne, il n’a pas été éprouvé par le pouvoir à Gaza et n’a même pas cherché à développer la région car, dans son essence, il mène une guerre de civilisation. Son objectif n’est pas de garantir un État aux Palestiniens mais d’éradiquer l’État d’Israël. L’accession au pouvoir en 2006 n’était qu’un échelon plus ou moins nécessaire à son unique vocation, expulser l’ensemble des juifs de l’ancienne Palestine ottomane. Si la méthode du massacre est la même que celle du FLN pour achever de bâtir un mur anthropologique entre Arabes et juifs, l’objectif recherché est différent.

Guerre révolutionnaire, guerre asymétrique

Dans la guerre révolutionnaire, le soutien de l’opinion publique est fondamental. Les symboles, les images, les photographies sont mis au service de la construction d’un discours qui doit présenter l’autre comme un criminel et soi comme une victime. Les images d’enfants abattus par les bombes, des hôpitaux attaqués, des femmes pleurant les corps des défunts sont autant d’images nécessaires pour déshumaniser l’adversaire afin de le présenter comme un monstre qui ne respecte pas les lois de l’humanité. En installant des roquettes sur les bâtiments civils, le Hamas cherche à utiliser la réponse israélienne pour produire des images négatives de Tsahal. Nécessité alors pour l’autre camp de bâtir un contre-récit symbolique qui vienne détruire le choc des photos adverses. En montant les différentes vidéos prises le 7 octobre et en diffusant ce film à la presse et aux responsables politiques, Israël a tenu à montrer les horreurs des crimes et des corps mutilés afin de contrecarrer le discours du Hamas. Puisque l’émotion est l’un des piliers de la guerre révolutionnaire, il s’agit de la susciter à son profit et de manier l’émotion mondiale pour obtenir un soutien international.

La même problématique s’est posée à la France durant la guerre d’Algérie. Les photos des corps mutilés des victimes du FLN ont parfois été diffusées à la presse. Aujourd’hui, c’est le terme de « terroriste » qui est employé sans distinction et sans réflexion sur ce qu’il définit réellement[7], c’est-à-dire non pas dans une optique scientifique, mais avec un objectif polémique. Le terroriste étant, par définition, le mauvais, accoler l’épithète à un groupe permet de le discréditer ipso facto. C’est la première asymétrie de ce type de guerre, qui repose non sur une asymétrie en termes d’armement, mais sur une asymétrie d’images et de représentations.

La seconde asymétrie est celle de la morale. Conduite par des populations non issues du cadre intellectuel chrétien, leurs règles morales et humaines sont autres. Pratiquant une violence extrême, le révolutionnaire du FLN, comme celui du Vietminh et du Hamas, fit usage d’armes de guerre psychologique que la morale occidentale réprouve. Fallait-il alors, pour l’armée française en Algérie, demeurer dans son champ moral en refusant l’usage de ces pratiques, au risque d’une infériorité tactique, ou estimer qu’elle devait s’aligner au niveau de l’adversaire en utilisant contre lui les armes que celui-ci portait ? Le débat fut vif dans les années 1950-1960 et le demeure encore aujourd’hui. Il se pose, dans les mêmes conditions, à l’armée israélienne comme à l’armée française engagée en Afrique. L’asymétrie de la guerre ne porte pas tant sur les armements que sur le cadre moral et éthique dans lequel les soldats et les politiques évoluent. Ce débat existait déjà à l’époque médiévale (interdiction de l’arbalète contre les chrétiens, mais autorisation contre les sarrasins) ; il est l’une des grandes constantes de la réflexion sur la guerre.

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Répercussions politiques identiques en Occident

Les actions du FLN et du Hamas eurent et ont des répercussions politiques immédiates en Occident et leurs soutiens sont à peu près les mêmes. Le mouvement Black Lives Matter a relayé des images célébrant l’arrivée de combattants en deltaplane. De même, on peut être étonné de voir des militants LGBT ou féministes applaudir l’action du Hamas. En France, si LFI ne condamne pas l’organisation, ce n’est pas seulement en raison d’une démarche électoraliste. Les adeptes de la déconstruction ou de l’antiracisme sont faits d’une matrice similaire, produite par les intellectuels français des années 1950-1970. On retrouve le travail des structuralistes et des poststructuralistes très engagés dans la décolonisation et non hostiles au FLN en leur temps. Leur idée maîtresse définit l’homme comme un être de structures, les Européens ayant créé des structures de domination qu’il fallait détruire. Ces deux courants intellectuels parents s’opposaient politiquement aux socialistes et aux communistes attachés à l’Algérie française. Le décolonialisme était d’autant plus fort chez ces écrivains que les plus influents étaient nés en Algérie : Althusser, Derrida et Lyotard.

Le cas de Jacques Derrida, père du poststructuralisme, est incontournable puisqu’il envisageait son travail comme une « décolonisation » intellectuelle. Ce raisonnement l’amenait par exemple à penser que la « menace islamique » contre l’identité culturelle française en Algérie avait été pensée par les Français pour assurer leur domination dans la région[8]. Il fallait donc « déconstruire » les structures. Les États-Unis importèrent ces idées qu’ils surnommaient French Theory, à la fin des années 1960. Toutes ces théories déconstructivistes imprégnèrent les universités américaines et les questionnements des questions de race ou de genre se multiplièrent. Depuis les années 2000, elles reviennent en France et trouvent leur écho dans les mouvements antiracistes, féministes, LGBT, largement représentés au sein des Insoumis. La désignation d’Israël comme un État colonial est essentielle pour comprendre comment les féministes ou des militants LGBT peuvent se réjouir de l’attaque du Hamas et se retrouver dans les marches pour soutenir la Palestine. Ils partagent, avec les soutiens du FLN en leur temps, le même logiciel intellectuel. Du FLN au Hamas, se tisse un fil intellectuel qui démontre la permanence de la guerre révolutionnaire.

[1] Christophe Dutrône, La victoire taboue. Algérie, la réussite tactique de l’armée française¸ Le Toucan, 2012.

[2] Voir le témoignage de Philippe d’Hugues, ce jour-là officier de liaison pour la région dans Ma vie et le cinéma, tome 1, Via Romana, 2021.

[3] Bernard Lugan, Histoire de l’Afrique, p. 642, 2e éd., Ellipses, 2020.

[4] Jacques Soustelle (1912-1990), anthropologue spécialiste des Mayas, ministre des Colonies et éphémère gouverneur de l’Algérie (1955-1956). Partisan de l’Algérie française, il finira par soutenir l’OAS.

[5] Jean-Marie Le Pen, intervention à l’Assemblée nationale, 28 janvier 1958.

[6] Alexis de Tocqueville, Lettres sur l’Algérie.

[7] Voir à ce sujet Daniel Dory, « Guerres civiles et terrorisme : quelques remarques préliminaires », Les Cahiers de Conflits, no 5, janvier 2024.

[8] A.G. Hargreaves et M. McKinney, Post-Colonial Cultures in France, London, Routledge, 1997.

À propos de l’auteur
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