<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Fès : l’Orient occidental

31 août 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Fès, le quartier des tanneurs.
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Fès : l’Orient occidental

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Capitale impériale, cité universitaire et intellectuelle, lieu des révoltes et des mouvements indépendantistes, Fès tient une place centrale dans l’histoire du Maroc. Dans sa médina aux ruelles tourbillonnantes se dessine un Orient aux regards de l’Occident. 

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

Comme depuis toujours, les odeurs et les bruits s’entremêlent. Voitures et camions s’arrêtent aux portes de la médina, seuls les ânes et les piétons peuvent y entrer, y déambuler. La médina est un continent où il est possible d’y naître, d’y vivre et d’y mourir sans jamais en sortir. L’agitation des ruelles grouillantes, des vivats des étals, des enfants qui jouent au ballon entre des murs disparaît subitement pour laisser place au silence presque complet de rues désertes, de boutiques fermées. Le monde puis le vide. La chaleur d’un ciel bleu et d’un soleil de feu puis la fraîcheur de l’ombre des bâtis de terre cuite. La lumière extrême, blanche, drue, puis les ombres et les obscurités des passages et des entre-portes. La médina est un royaume et un labyrinthe. Nulle carte pour s’y repérer, mais le savoir transmis et les repères des murs et des pavés pour mémoriser quand tourner, où aller. C’est dans la rue et sur les terrasses que la population vit, derrière des portes anodines des immeubles en brique dont les appartements se couvrent de mosaïques colorées. Les murailles qui entourent la ville ancienne sont une protection et un mur, elles empêchent d’entrer et de sortir, seule la vue sur les tombeaux des mérinides, à flanc de colline, ouvre vers l’au-delà et le monde extérieur. 

La ville de l’eau

Fès est né de l’eau et de l’intelligence. Un oued issu de l’Atlas, l’eau nécessaire à la vie et au travail, l’artère vitale des tanneurs, des peausseries, des cuirs enfantés dans la montagne. Fès est une industrie, un marché, une mosquée, une école. Idriss Ier, né dans la cité romaine de Volubilis (791) y a posé la première pierre. Il a édifié sa capitale et son pouvoir politique dans une ville de ruelles imprenables vivant pour elle-même. Son tombeau, à Moulay Idriss, à quelques dizaines de kilomètres de Fès, est le lieu saint du Maroc, la ville blanche sur la montagne qui domine la capitale romaine de la Maurétanie, les vergers d’orangers et les champs d’oliviers. À Fès, on transforme, on fabrique, on échange. La cité est au cœur du réseau des grandes villes musulmanes : Bagdad, Samarcande, Damas, Le Caire.

Pointe occidentale du monde oriental, elle signe un Orient occidental.

Les mêmes odeurs : les poivres, les olives, les dattes, les figues, le oud, la rose et le benjoin, le cuir brut, le mouton et l’âne ; les mêmes bruits : le café chauffant dans la timbale, le thé vert glougloutant dans la théière, le muezzin, le matin et la nuit, les enfants au milieu de la rue, les scooters, qui n’ont pas occulté l’âne, les conversations ; tout est oriental, mais ce n’est pas l’Orient. Volubilis et ses mosaïques d’Orphée et du Bon Pasteur, le café de Paris et les portes cochères parisiennes, les publicités en français et les souvenirs de Lyautey, le goudron et la propreté des rues, le positionnement géographique pourraient faire croire que nous sommes en Occident, mais nous n’y sommes pas. Orient occidental.

Capitale du Maroc

C’est à Fès qu’est né l’empire chérifien en 1667 avec Moulay Rachid, que Charles de Foucauld séjourna en 1883, que fut signé l’accord de protectorat avec la France en 1912 que, quelques semaines plus tard, débuta la révolte contre ces mêmes Français, aboutissant à la création de Rabat comme capitale du Maroc. Pour s’être soulevée et avoir perdu, Fès fut déchue. Défaite politique, mais toujours domination intellectuelle et économique pour une cité qui conserve ses palais et ses rêves. Les passants regardent l’histoire, les morts dans le cimetière regardent la ville depuis la rive d’en face, tout vit, tout palpite d’une jeunesse omniprésente dans les artères d’une cité dont le présent est l’histoire. L’Orient occidental est soutenu par ses piliers olfactifs et ses imaginaires européens. Ses plateaux d’étain, ses poteries, ses miroirs de nous-mêmes.

Nous ne comprenons pas l’Orient parce qu’il est compliqué, mais parce que nous appliquons de mauvaises grilles de lecture en espérant comprendre son fonctionnement. Comme si l’Orient était occidental alors que, même en Occident, il demeure l’Orient.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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