Faut-il le retour de la conscription ? 

30 mars 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Parade militaire en ordre serré et au pas cadencé sur les Champs-Élysées, Paris, 14 juillet 2014. (C) Wikipedia

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Faut-il le retour de la conscription ? 

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Le déclenchement du conflit russo-ukrainien, l’escalade au Moyen-Orient et les tensions persistantes en mer de Chine ont rappelé aux États européens que la guerre n’avait pas quitté l’histoire. Plusieurs d’entre eux ont ainsi décidé d’enclencher une sérieuse politique de réarmement. L’annonce de la Pologne sur la formation d’une armée de terre de 300 000 hommes et l’intégration des pays scandinaves à l’OTAN en sont les exemples les plus criants. En Suède, l’un des piliers de ce réarmement est le retour de la conscription, une idée qui revient de plus en plus ces dernières années. 

Depuis 2017, Emmanuel Macron a décidé d’augmenter le budget des armées à la suite des rapports alarmants sur l’état des armées françaises, tout en axant ses priorités autour de « l’hypothèse d’un engagement majeur en Europe ». Il parle depuis le début de son premier quinquennat d’un retour à une forme de service militaire et civique. En effet, le SNU (Service national universel) doit être étendu à l’ensemble d’une classe d’âge en 2026. Cette évolution ne se fait pas sans réticences, du côté politique avec certains partis de tradition antimilitariste qui fustigent un « embrigadement de la jeunesse », et du côté de l’armée elle-même qui estime ne pas posséder les capacités ni les compétences pour encadrer autant de jeunes. 

La question de l’armée de masse

Pourtant, les mobilisations massives de réservistes dans l’ensemble des « points chauds » de la planète appuient le modèle « d’armée de masse ».  L’armée de masse n’est envisageable qu’avec l’appel de conscrits, les difficultés de recrutement des armées occidentales nous le rappellent trop bien. Ainsi, si la France avait pour ambition de jouer à armes égales avec les plus grandes armées du globe, il lui faudrait logiquement rétablir un service militaire. Certains pourraient s’étonner de cette conclusion en arguant qu’une troupe professionnelle et aguerrie ne serait être concurrencé par une troupe d’appelés et peu ou pas expérimentée. L’histoire nous démontre que les armées de conscrits ne sont pas moins valeureuses et n’obtiennent pas moins de résultats que les armées professionnelles. Qui pourrait prétendre que les appelés Ukrainiens n’ont pas plus appris en six mois de guerre conventionnelle que les armées occidentales engagées au Moyen-Orient ou en Afrique depuis 20 ans ?

Pour autant, si l’idée fait son chemin en France, il faut questionner sa faisabilité.

La République française est une habituée de ce système qu’elle a suspendu il y a 30 ans. En effet, c’est en 1798 qu’elle crée pour la première fois, « la conscription universelle et obligatoire ». La loi d’alors dispose que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». La IIIe République, à l’image de la seconde, remettra en place le « service » car selon les mots de Gambetta : « il soit entendu que quand en France un citoyen est né, il est né soldat ». L’initiative d’Emmanuel Macron s’inscrit donc dans cet héritage en souhaitant instituer « un moment de cohésion visant à recréer le socle d’un creuset républicain et transmettre le gout de l’engagement ».

Ainsi, le service militaire, depuis sa création, porte en France une dimension idéologique en incarnant le devoir du citoyen à servir son pays, et lui donne sa légitimité à s’investir dans les choix de la nation. En effet, comment celui qui met à disposition son sang pour la nation, tels l’hoplite ou le légionnaire romain, ne serait-il pas légitime à participer au destin du pays ? 

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Le service militaire a néanmoins de tout temps provoqué des résistances. Déjà le citoyen romain, habitué à la « pax romana », est devenu ce déserteur que Renaud a chanté. L’idée que les anciennes générations acceptaient naturellement de rentrer sous les drapeaux est une illusion. L’histoire nous enseigne pourtant qu’une menace immédiate est un vecteur de mobilisation puissant. Ainsi, en 1914 et en 1939, la mobilisation générale se réalisa sans heurt. Le sentiment d’appartenir à une nation et la nécessité de défendre sa terre face à un ennemi clairement identifié sont donc les deux piliers permettant la mise en place d’une conscription. 

Pas de conscription sans commun ni appartenance à la nation

Le service militaire demande à la population d’adhérer à un socle de valeurs communes, d’aspirer à un futur commun et de reconnaître les autres habitants du pays comme son semblable. Si les populations des « deux France » du XIXe siècle affichaient une nette fracture intellectuelle, ne fréquentaient pas les mêmes écoles et étaient incarnées par des partis opposés, elles n’en étaient pas moins soudées par un socle familial et culturel commun. L’armée française imposait néanmoins un cadre particulièrement strict et des unités régionalisées pour contrer les éventuels effets de bord de cette fracture. 

La France opte pour un modèle de citoyen-soldat à compter de la IIIe république et met alors en œuvre une politique d’éducation axée sur le développement de jeunes républicains patriotes. Le citoyen français réalise son devoir en réalisant son service, ce qui lui donne la jouissance légitime de ses futurs droits. L’école de l’époque sous la houlette des « hussards noirs de la république » est réputée pour sa stricte discipline, le développement du sentiment national et le culte de la Revanche qui doit permettre de retrouver l’Alsace et la Moselle. L’instruction publique fournit à l’armée française de jeunes citoyens, habitués à un cadre et attachés sinon habitués aux valeurs en vigueur dans l’armée. Ce service militaire, alors soutenu par l’ensemble de la population, et le certificat de bonne conduite qu’il délivrait, constituait un véritable passeport pour trouver un honnête travail par la suite. L’ensemble de la classe politique de l’époque, au même titre que la population française en général, valorisait largement les atouts du service militaire. On retrouve ce modèle en Israël qui trouve une partie de son élite dans sa jeunesse passée par les forces spéciales lors des trois années du service militaire. 

Changements sociaux

La construction sociale en France est désormais bien différente. La relation hiérarchique « maître-élève » est devenue une relation de presque égalité « apprenant-enseignant ». Surtout, le règne de l’individualité et la fracture sociale si bien décrite par Jérôme Fourquet dans L’Archipel français détruisent la reconnaissance du commun. 

L’armée française connaît déjà les problèmes qui en résultent avec les jeunes recrues pourtant sincèrement volontaires et motivées. Ce qu’elle appelle le « choc de la militarité » provoque un nombre de départ important lors des formations initiales. L’armée s’autorise ainsi un taux de départ de 20% dans les premiers mois d’engagement. Si ceux qui ont librement rejoint ses rangs connaissent souvent des difficultés d’adaptations, on peut imaginer combien ce choc sur une population contrainte sera important et complexe à gérer. 

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La défense des frontières, moteur de la mobilisation

L’engagement dont ont fait preuve les volontaires de la Première Guerre, puis les appelés de 1939, ceux de la guerre en Algérie, de l’Indochine, et les conscrits des armées sur fond de menace soviétique n’a pas été motivé par autre chose que la défense des frontières intérieures et extérieures. Il faut donc s’interroger à propos de la frontière que nous avons à défendre aujourd’hui. 

Après 2015, les attentats du Bataclan ont suscité la volonté d’engagement des jeunes comme rarement en Europe. De même, aux États-Unis, de nombreux Américains se sont engagés à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, aujourd’hui, alors que « la guerre est revenue en Europe », les armées occidentales connaissent de grandes difficultés de recrutement et de fidélisation dans leurs rangs. La crise de l’engagement que subissent l’ensemble des armées européennes montre que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’est pas ressentie comme une menace aux frontières, à l’inverse des attaques djihadistes. L’impopularité des récentes déclarations du président de la République sur l’envoi de troupes en Ukraine renforce le constat. Le contexte actuel ne se prête donc pas à la réussite d’un service militaire en France. 

Le rétablissement du service militaire ne peut donc être une décision de principe, liée à une nostalgie d’une époque révolue. Il ne doit pas non plus être vu comme un outil permettant de mixer les classes sociales et de « faire France ». L’armée est d’abord et avant tout constituée pour défendre un territoire, des intérêts et une population. Si rien ne menace ces trois catégories, un gouvernement ne peut aujourd’hui demander un tel investissement à son service. 

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