Falstaff est de retour à l’opéra Bastille jusqu’au 30 septembre. L’occasion de redécouvrir cette œuvre de Giuseppe Verdi.
La nouvelle saison de l’Opéra Bastille s’est ouverte le 10 septembre avec la reprise de Falstaff, ultime opéra de Giuseppe Verdi et sa première comédie lyrique. Personnage truculent, aussi ventru que grossier, Falstaff, ce pilier de taverne anglaise apparaît dans trois pièces de Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor, Henry IV et Henry V, dans lesquelles le librettiste Arrigo Boïto a puisé pour élaborer son scénario, véritable modèle de livret d’opéra empli de verve et de rebondissements. C’est d’abord ce livret, fruit d’un véritable travail d’orfèvre, qui a permis à Verdi de composer un Falstaff qui renouvelle totalement le genre de l’opera buffa à la manière de Donizetti et de Rossini.
Verdi a renouvelé le genre de l’opera buffa
« Dessiner les caractères en quelques traits, nouer l’intrigue, extraire tout le jus de l’énorme orange shakespearienne sans laisser tomber dans le verre quelques pépins inutiles ; écrire court, clair, coloré ; dessiner le plan des scènes de telle sorte que le résultat ait l’unité organique qui en fasse un ‘morceau de musique’ en même temps que quelque chose de différent ; faire vivre du commencement à la fin, une gaieté naturelle et communicative : que cela est difficile, difficile, difficile ; et pourtant il faut que cela semble simple, simple, simple » écrit Boito à Verdi le 20 aout 1889. Retiré dans ses terres natales, dans son domaine de Sant’Agata –haut-lieu verdien aujourd’hui fermé et laissé à l’abandon- dans les proches environs de Busseto, le maestro s’était laissé convaincre par la proposition de son ami, collaborateur et librettiste à l’été 1889. Depuis quarante ans, Verdi désirait écrire un opéra comique et voilà que Boïto lui offre « une comédie lyrique qui ne ressemble à aucune autre. Je m’amuse à en écrire la musique ; sans projets d’aucune sorte, et je ne sais même pas si j’irai jusqu’au bout. Je vous le répète : je m’amuse… » écrit-il au critique théâtral Gino Monaldi en décembre 1890.
Une création milanaise
Falstaff, créé à la Scala de Milan le 9 février 1893 remporta un succès immédiat. Plus que le caractère proprement comique de l’intrigue, l’opéra marque surtout l’avènement d’une nouvelle parole théâtrale verdienne. L’œuvre se caractérise d’abord par une adéquation parfaite entre le texte et la musique. Revoyant totalement sa propre syntaxe musicale, Verdi accouche d’une œuvre qui révolutionne jusques et y compris le chant verdien lui-même.
Sur la scène de l’Opéra Bastille, on entendra bien sûr du chant lyrique verdien, sur le mode dramatique dans l’air de Ford (le magnifique baryton ukrainien Andrii Kymach), ou contemplatif dans les invocations à la lune de la jeune fille amoureuse, Nannetta (la soprano sicilienne Federica Guida). Mais ce n’est pas l’essentiel. L’œuvre ne se compose pas comme cela était habituel, d’arias séparées par des récitatifs lesquels sont des points de suture permettant à la narration d’avancer. Falstaff revisite entièrement ce problème puisque la partition n’est qu’un récit entièrement écrit et harmonisé. La virtuosité de l’œuvre ne réside donc plus seulement sur les capacités vocales du chanteur à produire ce fameux chant spinto, elle se trouve plutôt dans la nécessité d’installer une conversation bondissante, chantée et jouée à la fois, sur une orchestration harmoniquement recherchée menée à un tempo endiablé par Michael Schønwandt. Ainsi, Falstaff exige au sens plein du terme, des chanteurs-acteurs se détachant et se fusionnant dans des ensembles ébouriffants enchaînant les trios aux quatuors, les quatuors aux octuors et jusqu’à l’intervention du chœur (dirigé par Alessandro Di Stefano) dans la fugue finale. Tutto nel mondo è burla ! Tout dans le monde n’est que farce.
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Une quatrième reprise à Bastille
C’est la quatrième reprise de cette production à l’Opéra Bastille, signe de la réussite de la mise en scène de Dominique Pitoiset qui remonte pourtant et selon ses propres termes, au « siècle passé ». C’est une machine parfaitement huilée dans laquelle de nouvelles distributions semblent se glisser avec aisance pour la plus grande joie des auditeurs. Dominique Pitoiset propose une transposition de l’histoire de Falstaff censée se passer dans l’Angleterre de l’ère élisabéthaine, dans un décor New-Yorkais du début du XXe siècle. Le cadre de l’histoire est donc transposé dans l’époque du compositeur. Verdi meurt à 87 ans le 27 janvier 1901. Les décors sont constitués de panneaux coulissants représentant l’hôtellerie de la Jarretière, puis la demeure de Ford et l’entrée du parc de Windsor… Charrette, voiture ancienne, costumes et chapeau haut de forme se détachent sur un décor de briques qui parvient à évoquer une ambiance « italienne-américaine » accordée à la synthèse anglo-italienne qui a donné naissance à l’opéra Falstaff dont La première fut donnée à New York au Metropolitan Opera, le 4 février 1895. Il y a ici de la modernité américaine et même, la campagne électorale de Ford. On peut aussi voir dans ces briques, un rappel de la couleur de la ville de Busseto et de son fameux petit Teatro Verdi, fondé en 1868, où justement Ambrogio Maestri a fait ses débuts dans le rôle-titre en 2001. Originaire de cette même région, le baryton Ambrogio Maestri campe un magistral Falstaff italien opposé au type de Falstaff anglais incarné par Bryn Terfel dans la reprise de la production en 2017. Toute la distribution est remarquable, sur le plan vocal et théâtral, dans sa capacité à interpréter à la fois individuellement et collectivement, ce qui est l’exigence première de l’œuvre. Ayant inscrit depuis longtemps, le rôle de Mrs Quickly à son répertoire, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux déploie tous ses talents scéniques. Le public applaudit.