Il y a 80 ans, les services secrets de la France libre prenaient le nom de Bureau central de renseignement et d’action (BCRA). Ainsi entrait dans l’histoire une organisation d’un genre nouveau, unique lien entre le général de Gaulle et la Résistance intérieure. Le BCRA allait jouer un rôle essentiel dans le combat pour la libération de la France. À plus long terme, il posa les fondations des services secrets français modernes, dont l’actuelle Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) créée en 1982 est l’ultime incarnation.
Une exposition à retrouver au musée de l’Ordre de la Libération, jusqu’au 16 octobre 2022.
https://www.ordredelaliberation.fr/fr/exposition-2022
Par Benoît de Labrouhe et Louis Descoups
Peu de temps après la débâcle, en juillet 1940, le général de Gaulle crée un service de renseignement français à Londres, qui deviendra le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), à la tête duquel il place le Colonel Passy, de son vrai nom André Dewavrin. La vocation de ce nouveau service de renseignement est de mener des actions clandestines sur le territoire français grâce à des agents de la France libre. Ces agents, contrairement aux mouvements de résistance, sont directement soumis à l’autorité du chef de la France libre. L’apport français est vital. En effet, selon les Américains, 80% du renseignement nécessaire au débarquement du 6 juin 1944 a été fourni par les agents du Général. De même d’après David K.E. Bruce, chef de l’OSS à Londres, 95% du renseignement est français et les Anglais ne font que traduire les rapports français.
Du BCRA à la DGSS
Le BCRA lui-même existera jusqu’en novembre 1943. Lorsqu’un an plus tôt les Allemands pénètrent en zone libre en représailles au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, un certain nombre d’agents des services vichystes commencent à rejoindre la France libre par Alger. Face à cet afflux de nouveaux agents et à la suite de la création du Comité français de la Libération nationale en juin 1943, les premiers projets d’unification des services secrets français sont développés. En effet, les services secrets français en Algérie ne sont pas en rapport avec les services à Londres et fonctionnent de façon autonome puisqu’ils sont sous l’autorité du général Giraud, grand rival du général de Gaulle. De cette rivalité naissent deux services éphémères : le bureau de renseignement et d’action de Londres (BRAL), toujours dirigé par Dewavrin, et le bureau de renseignement et d’action d’Alger (BRAA), dirigé par le colonel Rivet et le commandant Paillole, tous deux giraudistes. Finalement, après des tentatives de coordination, les deux services sont fusionnés dans une nouvelle organisation, la Direction générale des services spéciaux (DGSS). Celle-ci est créée par décret le 19 novembre 1943 et dirigée par Jacques Soustelle, un membre du cabinet de de Gaulle. La DGSS, en raison de ses deux dernières lettres qui gênent, deviendra la Direction générale des études et des recherches (DGER) en 1944.
Volontaires de la France libre pendant la guerre, les agents secrets du Général vont aussi bien être rattachés à Londres et à Alger que rester pendant toute la guerre sur le territoire français comme c’est le cas de 77 300 agents, dont 72 Compagnons de la Libération. Néanmoins, dès le départ, c’est en majorité à Londres que les agents sont recrutés par le BCRA lors d’interrogatoires de sécurité. Ils sont ensuite formés dans des centres d’entraînement du SOE, un service britannique, comme celui des parachutistes à Ringway, près de Manchester. Leur impératif de discrétion commence dès cet instant et ils doivent mener une double vie en cachant leurs réelles activités.
Dans un deuxième temps, lors de l’infiltration des agents en France, la clandestinité totale s’impose pour brouiller les pistes et mieux se fondre dans la société française. Dans cet objectif, l’identité et les vêtements sont changés et l’usage d’un pseudonyme pour les communications avec Londres est de mise. Les agents transportent aussi des gadgets tels que les postes radio-émetteurs miniaturisés ou des systèmes d’explosifs pour être plus discrets et efficaces. Une fois implantés en France, ils se consacrent aussi bien à des missions d’organisation de réseaux de résistance et d’évasion, que de collecte de renseignement et d’action coup de poing, le tout à très haut risque. Les agents secrets du Général en ont d’ailleurs payé le prix fort : 60 agents de l’ordre de la Libération sur 174 meurent en mission, soit 34% d’entre eux. Ils finissent déportés, fusillés au mont Valérien, abattus en mission ou se suicident avec leur pastille de cyanure pour éviter d’être torturés. Un des exemples les plus célèbres des agents tués en mission est celui de Jean Moulin, qui périt sous la torture de la Gestapo. Ces courageux espions sont ainsi les précurseurs de nos actuels agents de la DGSE, qui peuvent porter fièrement depuis 2018 la fourragère vert et noir de l’ordre de la Libération.
À lire également
Exposition Jean Gabin : la redécouverte d’une icône du cinéma français