A l’heure où l’opinion publique s’interroge de plus en plus sur les tenants et aboutissants de l’engagement militaire français au Sahel, dont elle ne perçoit pas les résultats concrets, cet ouvrage collectif pluridisciplinaire comportant des articles d’enseignants chercheurs et d’experts de la sécurité apparaît comme une précieuse contribution à la compréhension de la crise sécuritaire que traversent les pays membres du G5 Sahel que sont le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.
Ces pays sont, depuis l’ écroulement de la Libye de Kadhafi en 2011, confrontés aux affrontements des groupes armés dont les actions, se manifestent à travers des attentats terroristes, des assassinats ou des enlèvements de civils, de militaires, et des destructions de sites historiques sacrés avec comme corolaire le déplacement interne ou externe de centaines de milliers de civils.
Dans un premier temps, il s’agit de comprendre la crise sécuritaire, ce qui conduit à formuler une analyse des institutions et mécanismes à même de contribuer à sa résolution. Vaste zone géopolitique, située entre l’Océan Atlantique et l’Océan Indien, zone de contact traditionnelle entre le monde arabo-musulman et l’Afrique, que l’on a longtemps qualifié de noire, la zone saharo-sahélienne, ou plus strictement le Sahel en effet est devenue en quelques années une des zones conflictuelles les plus importantes de la planète, susceptible de devenir la terre d’accueil du djihad mondialisé à mesure que celui-ci reflue de la Mésopotamie et du Croissant fertile, comme elle est une des sources ou point de passage des flux migratoires se dirigeant vers l’Europe. Ces enjeux, géopolitiques, sécuritaires, économiques, humains et sociétaux intimement mêlés se déroulent dans des pays à la plus forte natalité du monde, comme l’est le Niger (taux de fécondité de 7,3), phénomène qui accentue les pressions sur les ressources, l’eau, les sols, les services publics (éducation, santé…) alimentant des insatisfactions croissantes au sein d’une jeunesse, inemployée à 35 à 40% qui accède désormais aux flux d’information, de propagande et de mobilisation mondiaux, ce qui contraste avec la situation d’enclavement dans laquelle se trouve la majorité » des pays sahéliens, créant de véritables chaudrons sécuritaires . Au fur et à mesure que le temps passe, huit ans déjà depuis le lancement de l’opération Serval en janvier 2013, la capacité de ces groupes armés, les principaux filiales d’Al-Qaida ou de l’Etat islamique, à semer la terreur et à diviser les pays pour finalement régner en maître sur de vastes territoires a fini par créer une instabilité politique, à telle enseigne que la perspective de l’émergence d’un militantisme islamique et d’une exacerbation des tensions dans le reste du continent est devenue très préoccupante. Cette crise sécuritaire, à la fois ethnique, religieuse, politique et sociale puise son origine dans le contexte international, sous-régional et national. Les différentes contributions au nombre d’une vingtaine proposent une analyse stratégique à travers un examen de la situation qui prévaut dans les pays en crise. Titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université Paris 8-Vincennes St. Denis et d’un DESS en sociologie du développement de l’IEDES Paris 1 Sorbonne, Valérie OUÉDRAOGO (épouse ROUAMBA) maître de conférences en sociologie à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou/Burkina Faso, a eu la rude tache de coordonner et de présenter cet ouvrage foisonnant.
On peut dire que la zone du Sahel cumule désormais, en dehors des pandémies, six des sept plaies de l’Afrique, même si cette image véhiculée par la pensée eurocentrée peut parfois être remise en cause : désordre sécuritaire ;-sécheresse, Climat, famine, malnutrition, pauvreté ; pandémies (le taux de prévalence du SIDA est de moins de 1% en Mauritanie et de moins de 10% dans les quatre autres membres du G5 Sahel contre plus de 30% au Zimbabwe et au Botswana) Covid; corruption et trafics de toute nature, armes légères, mercenaires, enfants soldats ;-héritage des frontières coloniales; faible couverture sociale (éducation, santé) et administrative : déficience de la construction étatique et gouvernance. C’est d’ailleurs en partant de ce constat que Serge Michailoff, ancien directeur à la Banque mondiale et à l’AFD a publié son livre qui a connu une large résonance : Africanistan. L’ Afrique, en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues, Fayard 2015. La genèse de la crise et des différents facteurs explicatifs qui sont principalement sociaux, économiques et politiques, le facteur religieux n’étant qu’un alibi utilisé pour rallier une partie de la population. L’absence de réponse aux besoins primaires des populations, conjuguée à des facteurs tels que la corruption générale, l’absence de sécurité et de justice, est exploitée par des groupes armés qui offrent parfois des rémunérations ou des services à la population en lieu et place d’un État quasi absent dans certaines situations. La gouvernance qui renvoie ainsi « aux dynamiques multi-acteurs et multiformes qui assurent la stabilité d’une société et d’un régime politique, son orientation et sa capacité à fournir des services et à assurer sa légitimité » Lascoumes et Le Galès, (2007 :21) est en crise. Plus que la pauvreté, c’est l’exclusion sociale non résorbée par l’État et la société qui sème les graines de la crise. Ce sentiment d’exclusion sociale, de marginalisation fait naître un sentiment d’anomie et d’isolement exploité par les groupes armés qui offrent aux populations une échappatoire, un but et l’intégration à un mouvement collectif à même de défendre leur cause et de leur assurer un meilleur avenir. Les activités illégales menées alors par les réseaux des groupes armés fournissent des possibilités lucratives pour les jeunes à la recherche d’un gain rapide. Ces réseaux extrémistes violents et les activités économiques illégales entretiennent une relation mutuellement bénéfique, en se fournissant réciproquement des revenus, des stratégies de contournement des réponses étatiques et une idéologie légitimant les activités illégales. Le terrorisme est un fléau malin dont la maîtrise par les pays dits développés semble très difficile. Il constitue un défi permanent pour les forces de sécurité et des services de renseignement.
A lire aussi : L’Afrique, la croissance démographique contre le développement?
Puis les auteurs passent au crible l’efficacité et les limites des réponses apportées. L’intervention française au Mali, en janvier 2013, l’opération Serval a ravivée l’attention portée sur cette zone, mais c’est de la « guerre globale contre le terrorisme », que l’on peut dater l’intérêt mondial à l’égard de la Bande sahélo -sahélienne , lorsque Washington créa, en novembre 2002, la Pan Sahel Initiative (PSI), et mis en œuvre une politique d’aide militaire aux pays de la région. Si depuis l’activité militaire américaine se concentrait sur le Niger, d’autres acteurs, en dehors de la France, ont développé des activités dans les pays sahéliens contingent onusien de la MINUSMA et diverses opérations de l’UE (EUTM Mali, EUCAP Sahel au Mali, EUCAP Sahel au Niger). Tout récemment d’ailleurs, la Russie, désireuse d’effectuer un retour en Afrique, vient de signer, le 26 juin 2019 un accord militaire avec le Mali et la RCA.
C’est dans ce contexte que les populations, excédées et désemparées ont décidé la mise en place de comités locaux de vigilance que certains articles analysent sous l’angle des réponses communautaires. Si la légitimité des comités d’auto défense n’est pas mise en doute, il s’avère cependant que leur légalité fait l’objet de nombreuses controverses. Des analyses faites sur le G5 Sahel en tant que cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, il ressort que plus de cinq ans après sa création, la démonstration de son efficacité reste à faire. Cette inefficacité repose selon les analyses sur sa non-appropriation par les pays membres, sa dépendance quasi totale aux financements étrangers et la faiblesse de ses structures de décision. Dans une étude publiée, en mars 2019, par la Fondation pour la recherche stratégique, le chercheur Nicolas Desgrais juge que « le G5 Sahel, qui agit dans un environnement institutionnel dense, doit (…) engager de toute urgence les réformes qui lui permettront de consolider et de préserver sa légitimité en tant que cadre de coordination régionale interétatique ».
Au-delà de la richesse des analyses faites par les différents auteurs, il est impératif que les chercheurs africains, principalement ceux de la bande sahélo-sahélienne, développent leurs propres connaissances et récits pour combler le vide épistémologique sur la crise qui affecte cette région du monde. Et, c’est ce à quoi cet ouvrage tente de répondre et qui fait son originalité, car il décentre le point de vue. Pourtant si l’on comprend beaucoup mieux la situation qui règne dans cette vaste zone et qu’en particulier on saisit mieux les perceptions, par nature contradictoires des populations locales, on reste frustré à l’idée de voir que la crise, les attentats, les victimes s’ accumulent sans que l’on en perçoive une issue durable et satisfaisante.