Soft Power, que je traduis par « pouvoir feutré », est un concept proposé à l’origine par Joseph Nye, qui publia naguère un livre influent : Bound to Lead. The Changing Nature of American Leadership. Il s’y intéressait, au lendemain de la guerre froide, à la la nature de la puissance américaine avec pour souci la prolongation de la prépondérance américaine sur le système international.
Le soft-power ou pouvoir feutré
Celle-ci se déclinait par le truchement du pouvoir brut (hard power) et le pouvoir feutré (soft power) qui cherche à séduire pour persuader. C’est à cette dernière notion qu’il a consacré un bref essai aux conséquences considérables, Soft Power. The Means to Sucess in World Politics (New York 2005).
Ce pouvoir feutré n’est pas fondé comme le pouvoir brut sur la coercition mais sur l’attraction, voire le mimétisme. Il s’agit, en somme, d’influencer, de fasciner, de devenir l’objet de désir, d’imitation. Il est inutile d’afficher un triomphalisme qui ne peut que rebuter sinon provoquer le rejet, il s’agit de séduire.
En son essence, le pouvoir feutré consiste à utiliser habilement la prépondérance américaine pour maximiser son influence dans tous les domaines. C’est le contraire de l’hubris de la première présidence de G.W. Bush et des néoconservateurs qui ont maladroitement utilisé la puissance militaire américaine pour s’engager dans des conflits débouchant sur des échecs politiques.
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La mondialisation à l’américaine
Nye se méfie du terme d’hégémonie et lui préfère celui de prépondérance. Il indique comment, de façon consciente, il est possible de faire du pouvoir feutré un instrument indirect de pouvoir sans autre limite que la capacité d’innovation des États-Unis. On est loin de l’unilatéralisme d’un Robert Kagan et des néoconservateurs du « Project for a New American Century » (1997), qui furent influents au lendemain de septembre 2001. D’autres voix se sont fait entendre (Charles Krauthammer, John Ikenberry…). Celui qui fut le plus proche de J. Nye est sans doute Stephen Walt dans la mesure où il estimait que la puissance américaine ne pouvait s’en tenir à la coercition mais qu’il lui fallait persuader.
Reste que Joseph Nye, au-delà des débats qui ont agité la fin de la guerre froide (et dont Zbignew Brzezinski reste le plus lucide[1]), a mis l’accent sur une facette essentielle du pouvoir américain qui s’est imposé au cours du dernier siècle.
Le pouvoir feutré américain imprègne le monde d’hier dès les lendemains de la Première Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui par la culture comme par la production et la consommation de masse (contrairement à l’influence française hier aristocratique et depuis surtout réservée aux élites). Véhiculée par une langue impériale, la culture américaine pénètre par le haut et par le bas : romans à succès, cinéma – Hollywood exerçant depuis Chaplin et Cecil B. de Mille une fabuleuse influence (désormais, par exemple, les Américains gagnent leurs guerres au cinéma). Cela se manifeste dans les sports avec l’importance des jeux Olympiques où ils triomphent, jusqu’aux vêtements de sport et aux blue-jeans qui rappellent les cow-boys, ces garçons vachers mythifiés.
Cela se décline dans le boire (Coca Cola, Starbucks) et le manger (McDonald’s) ou se remarque dans la gestuelle : façon de croiser les jambes, de figurer dans la conversation des guillemets, d’user d’interjections issues des séries américaines… Cela, bien sûr se traduit politiquement.
Mais on ne comprendrait rien au pouvoir feutré si on oubliait que cette persuasion est accompagnée de moyens financiers considérables. Prenons un exemple : un film américain est distribué à grand renfort de publicité dans vingt salles parisiennes, un film géorgien, même s’il s’agit d’un chef-d’œuvre (comme Mandarines) dans deux, et pour peu de temps.
On ne persuade qu’avec des moyens. La puissance paye.