<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Etats-Unis, trouver des relais

19 novembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Des étudiants de la Kennedy school d'Harvard célèbrent leur diplôme, le 30 mai 2019. Photo : Steven Senne/AP/SIPA AP22437998_000001

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Etats-Unis, trouver des relais

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Pas d’influence sans relais d’influence, pas de soft power sans personnalités pour le relayer. Les États-Unis se montrent particulièrement doués pour trouver des relais à travers le monde entier. La plupart sont des followers séduits par le modèle et le mode de vie américains. D’autres sont payés pour vanter les qualités des États-Unis – il s’agit des diplomates, des journalistes des médias américains voire des membres des ONG qui bénéficient de subventions américaines.

Les universités, vivier des élites mondiales

Un effort particulier est attribué aux futures élites mondiales. Des programmes spécifiques ont été créés par l’État fédéral pour les attirer et les former (voir articles ci-dessous). À côté de l’administration, les universités, généralement privées, contribuent à cette sélection. Elles monopolisent les premières places du classement de Shanghai 2017 (16 sur les 20 premières) et attirent en 2016 plus d’un million d’étudiants étrangers soit un quart du total mondial[1]. Les moyens dont elles disposent permettent de recruter des professeurs prestigieux, de financer un effort de recherche exceptionnel, d’offrir des services commodes comme l’ouverture des bibliothèques le soir, et aussi de payer des recruteurs qui vont convaincre les futurs étudiants chez eux. Toutes ces forces ont été détaillées par Anne-Sophie Le Tac dans Conflits hors-série n° 4.

Ce qui nous intéresse est de voir ce que deviennent ces étudiants étrangers. Beaucoup passés par des facultés de gestion travaillent dans de grandes entreprises, souvent américaines. Le drainage des étudiants débouche sur le brain drain dont profite l’économie du pays. D’autres deviennent des leaders politiques dans leur pays. Au Mexique, le président Carlos Salinas (1988-1994) qui a libéralisé l’économie de son pays est passé par Harvard ; Vicente Fox (2000-2006), le premier président de droite depuis la révolution de 1911, a étudié lui aussi à Harvard avant d’être embauché par Coca Cola ; Felipe Calderon (2006-2012), qui engagea la lutte contre la drogue réclamée par Washington, était passé par la même université. Son successeur, Enrique Nieto, s’est contenté d’une année de scolarité dans un lycée du Maine.

Raisonnons autrement et regardons la liste des anciens étudiants de la Kennedy School d’Harvard que certains comparent à l’ENA. Parmi les alumni, outre les Mexicains déjà cités, on croise l’ancien président colombien Uribe, l’ancien Premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau (le père de Justin qui lui a succédé à ce poste), l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban-Ki-Moon, le Premier ministre de Singapour Lee Hsien Loong, l’ancienne présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, et bien d’autres. Harvard est aussi l’université qui a formé le plus grand nombre de présidents américains – dont Franklin Roosevelt, John Kennedy ou Barack Obama, Trump ayant suivi les cours de Wharton.

Tous se sont habitués aux méthodes américaines, ont été biberonnés aux vertus du modèle américain, ont gardé des contacts avec des étudiants ou des professeurs américains. Ils constituent autant de relais de l’influence américaine.

 A lire aussi : Inégalités, course aux diplômes et manque de visibilité internationale : les défis de l’université espagnole

Des élites conformes

Les élites mondiales constituent une cible prioritaire du soft power. L’appareil d’État américain, s’en est très vite persuadé. Première cible : les intellectuels. Dès les années 1950, la CIA finance, parallèlement à des entreprises privées, des associations, des activités culturelles ou des revues internationales qui servent la lutte anticommuniste. Le Congrès international pour la liberté de la culture, des revues comme Encounter et Preuves, des colloques, mais aussi des livres, films, expositions, des tournées ou des concerts subventionnés serviront ainsi à contrer l’influence du marxisme parmi les intellectuels. Des personnalités aussi illustres qu’Aron, Koestler ou Maritain, mais aussi Stravinsky ou  Pollock bénéficieront ainsi, à leur insu, de fonds américains.

Dans le cadre de la stratégie de diplomatie publique ou culturelle gérée par l’USIA et parallèlement aux médias internationaux d’influence (la Voix de l’Amérique, Radio Liberty, Radio Marti), le Département d’État imagine aussi de jouer les réseaux humains. Dès 1946, les bourses Fulbright (un sénateur démocrate) financent des échanges universitaires dans 144 pays. Très sélectives quant aux candidats qui viendront aux États-Unis (et sur les Américains qui partiront à l’étranger), les Commissions Fulbright, à travers le financement des échanges académiques, encouragent des échanges au sein des futures élites internationales qui auront une vision commune. 250 000 bourses ont été accordées depuis 1946, dont 150 000 à des non-Américains. La fonction vitrine – donner la meilleure image du mode de vie américain, familiariser de futurs dirigeants ou intellectuels influents à la vision et aux méthodes américaines – débouche sur la formation d’un véritable réseau : les anciens développent des solidarités et nouent des contacts qui serviront objectivement la politique américaine.

D’autres programmes pour la logique du « haut potentiel »

La logique du « haut potentiel » prend d’autres formes. Ainsi la French-American Foundation  lance en 1981 des programmes pour « Young Leaders » destinés à « créer des liens » transatlantiques. Ne sont concernés que des jeunes gens qui ont une bonne chance de devenir les dirigeants de leur pays, ses grands entrepreneurs ou ses leaders d’opinion. Ici on pourrait parler d’un effet de reproduction (une grosse majorité de ces dix sujets prometteurs choisis chaque année sont des surdiplômés parisiens issus de milieux favorisés) et d’un effet d’entraînement. Ainsi, lorsque François Hollande, Young Leader 1996, est élu, il en appelle tout naturellement six autres à son gouvernement. Et nous sommes gouvernés par deux Young Leaders, Macron et Philippe. À droite, un Wauquiez, un Juppé ou une NKM[2] ont suivi le même cursus. Dans les médias, d’Yves de Kerdrel (Valeurs Actuelles) à Laurent Joffrin (Libération), sans parler des patrons de presse, les Young Leaders ne manquent pas.

Plus récemment a été lancé le programme « Jeunes Ambassadeurs » qui s’adresse à des lycéens de milieux défavorisés. Wikileaks a publié un rapport de janvier 2010 rédigé par l’ambassadeur en France Charles Rivkin : « L’Ambassade américaine a créé une stratégie d’engagement auprès des minorités qui concerne, parmi d’autres groupes, les musulmans français. »

Plus global, le programme International Visitors Leadership dépend du Département de l’Éducation et de la Culture. Il a été lancé dès 1940 pour les Latino-Américains et a été étendu après-guerre à tous les continents. Il s’agit pour les bénéficiaires d’étudier aux États-Unis la « richesse et la diversité de la vie politique, économique, sociale et culturelle américaine ». Le programme se vante d’avoir accueilli 4 500 visiteurs chaque année et d’avoir formé 350 chefs d’État au moins, passés ou en activité.

Évidemment, toutes les personnalités n’ont pas été achetées, elles ne reçoivent pas d’instructions et ne font pas partie d’un complot pour dominer le monde. On peut même se poser la question de l’efficacité de ces échanges limités dans le temps. Il en va des « visiteurs » comme des étudiants passés par les États-Unis, tous n’en reviennent pas enthousiastes. Leur séjour a pu être émaillé d’incidents et de petites humiliations, la réalité américaine qu’ils découvrent peut les décevoir. En parlant de Jean-Pierre Chevènement, le Foreign Affairs Oral History Project reconnaît : « Nous l’avons expédié aux États-Unis, et cela ne l’a pas empêché de devenir l’homme politique français le plus anti-américain qu’on puisse trouver[3]. »

Mais pour un échec, combien de personnalités acquises ?

  1. Il s’agit des étudiants présents dans les universités américaines en 2016. Les nouvelles inscriptions s’élèvent à 290 000 en 2016 et auraient diminué à l’automne 2017 : conséquence d’une moindre attractivité liée à la personnalité de Trump ou de coûts d’inscription trop élevés ?
  2. On remarquera l’acronyme qui rappelle le JFK de John Fitzgerald Kennedy.
  3. In Éric Branca, L’Ami américain, Perrin, 2017, page 218.
Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Des étudiants de la Kennedy school d'Harvard célèbrent leur diplôme, le 30 mai 2019. Photo : Steven Senne/AP/SIPA AP22437998_000001

À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.

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