<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Etats-Unis, la promotion du savoir

21 novembre 2020

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Photo : Le Massachusetts Institute of Technology (MIT), figure de proue de l'enseignement supérieur scientifique aux Etats-Unis © Pixabay

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Etats-Unis, la promotion du savoir

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En avril 2016, Barack Obama accueillait pour la sixième fois à la Maison Blanche la White House Science Fair, une compétition d’inventeurs en herbe dans le domaine des STEM (Science, Technology, Ingeneering and Math). Soulignant l’ingéniosité, le travail en équipe et l’engagement social des projets présentés, il a appelé les jeunes à relever les défis qui s’imposent au monde, du réchauffement climatique à la conquête de la planète Mars.

Pour étonnante qu’elle puisse paraître, cette démarche s’inscrit dans la promotion d’une conception américaine du savoir et de l’éducation, en particulier scientifique. Barack Obama est devenu pour quelques heures le Willy Wonka de la knowledge economy américaine, distribuant les récompenses comme les tablettes de chocolat dans Charlie et la chocolaterie mais, par-delà la jovialité du propos, il a surtout  voulu rappeler que les États-Unis ne maintiendront leur leadership mondial que par le savoir et l’innovation, alors que la Chine menace de les dépasser en termes de dépenses de R&D. Face à ce challenge, en quoi le système éducatif américain reste-t-il un levier de puissance et de rayonnement pour le pays ? Quels défis doit-il relever pour conserver cette puissance ?

Un système décentralisé

L’expression de « système éducatif » présuppose une unicité et une cohérence inconnues aux États-Unis, car l’État fédéral n’assure pas une gestion centralisée de l’éducation scolaire et universitaire. Sur ce territoire immense, géant démographique et fédération politique, l’école ressort des États, chacun doté d’un Department of Education. 16 000 school districts décident des programmes scolaires, des salaires, du recrutement des enseignants, ce qui explique la grande hétérogénéité et la souplesse de l’offre éducative. Certes, l’État fédéral assure l’égalité des chances (equal opportunity) et lance de grands programmes, mais le Federal Department of Education contribue peu (environ 7 %) au budget des établissements publics. L’essentiel des fonds provient des impôts locaux, ce qui explique les inégalités entre districts riches et pauvres.

L’absence de centralisation et les disparités éducatives favorisent les expérimentations et l’inventivité. C’est ainsi qu’après l’échec relatif du busing (transport en bus d’enfants blancs vers les quartiers noirs pour créer de la mixité scolaire) dans les années 1970, se sont développées des charter schools, écoles privées à gestion privée et à financement public, comme la Harlem Children Zone à New York ou Capital City à Washington. Ces 5 000 écoles obtiennent de bons résultats dans les quartiers pauvres, avec des devises volontaristes comme « Be kind, work hard, get smart ». Les magnet schools proposent des programmes d’excellence dans des zones défavorisées, les immersion schools un enseignement en langue étrangère. Comme la religion aux États-Unis, l’école peut revêtir de multiples dénominations et formes libres. Mais l’enseignement primaire et secondaire reste en moyenne médiocre et inégalitaire.

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L’engagement de l’État

L’État fédéral joue un rôle d’orientation dans le domaine de la lutte contre les inégalités. Dès 1944, le GI Bill permettait à 2 millions de soldats démobilisés de faire des études universitaires et de se réadapter à la vie civile. À la fin des années 1960, le gouvernement fédéral lance l’affirmative action (discrimination positive) qui vise à lutter contre la ségrégation raciale et à assurer l’accès des minorités aux études. En réalité, une grande place est laissée à l’initiative privée dans la lutte contre les inégalités scolaires. Par exemple, depuis 1963, le programme A Better Chance, qui offre des bourses (scholarships) aux enfants les plus pauvres, est en partie financé par la Fondation Rockefeller. Comme le funding se fait de manière très localisée, les écoles de quartiers aisés sont  favorisées.

L’État fédéral tente aussi d’améliorer la qualité de l’enseignement. En 1958, le National Defense Education Act entend lutter contre les insuffisances du système éducatif, en pleine psychose du missile gap. Le rapport A Nation at Risk (1983) s’alarme des insuffisances de l’école et préconise de déréguler le système. Le programme No Child Left Behind (2001), remplacé par le Every Student Succeed Act en 2015, renforce les enseignements fondamentaux. En 2009, le programme Race to the Top débloque 4,3 milliards de $ pour créer de nouvelles charter schools, en échange d’objectifs innovants. Le programme Educate to innovate (2009) promeut les STEM (sciences, technologie, ingénierie et maths).

Dans l’enseignement supérieur, 4 200 établissements accueillent 21 millions d’étudiants, une population en augmentation de 40 % depuis 2000. Les universités d’élite, souvent privées, comme Stanford, Caltech ou celles de l’Ivy League (Harvard, Yale) ne représentent que 10 % de l’ensemble. La recherche, séparée de l’enseignement, se concentre dans quelques universités.

 

L’enseignement supérieur est géré par les États fédérés, qui ont chacun leur réseau d’universités publiques, parfois immenses, comme l’Ohio State University ou Rutgers (63 000 et 55 000 étudiants). Elles sont financées par l’État, par les donations privées (entreprises, fondations), et par les frais de scolarité. Les universités privées sont financées par des entreprises ou des fondations. Toutes les universités privées ont un Board of Trustees et un endowment fund qui place les donations et récolte les intérêts, au risque de voir chuter ses actifs en cas de crise, comme ce fut le cas pour Harvard en 2008. La concurrence insuffle de la vitalité aux universités, qui s’apparentent parfois à de véritables entreprises. Si l’État fédéral a longtemps consenti des efforts importants (Programme Fulbright de bourses au mérite, Pell Grants), la part des financements publics ne cesse de baisser, ce qui explique pour partie l’augmentation vertigineuse des frais de scolarité.

Le culte de l’innovation

Le système universitaire d’excellence américain attire les étudiants et les chercheurs du monde entier. Le pays assure 40 % de la R&D mondiale, et produit 45 % des prix Nobel. Le brain drain a commencé dans l’entre-deux guerres avec l’arrivée de savants fuyant les persécutions nazies, puis il a été systématisé par des quotas favorables aux plus qualifiés à partir de 1965, puis des visas spécifiques  (H1B, O1). Le pays accueille de nombreux étudiants étrangers, 819 000 en 2013, dont la moitié sont asiatiques. Les grandes universités, Harvard, le MIT, Stanford, Caltech, Columbia ou Berkeley, qui s’arrogent les premières places dans les classements internationaux de Shanghai, ou du Times Higher Education, fidélisent les intellectuels et les scientifiques du monde entier en leur offrant des postes prestigieux et des salaires élevés. Le territoire américain est structuré par des clusters comme la Silicon Valley, la Route 128, complétés lors du Small Business Administration de 2010  par une dizaine en Californie, en Caroline du Nord ou dans l’Illinois.

La recherche universitaire est une activité stratégique soutenue par l’État et par d’importants fonds privés. Depuis le début du xxe siècle, elle est le moteur de l’innovation dans les secteurs porteurs (mécanisation agricole, énergie, secteur militaire puis nucléaire, TIC). Le rapport Science, the Endless Frontier de Vannevar Bush, inaugure en 1945 une politique fédérale de la science et de la recherche à la hauteur des ambitions mondiales des États-Unis. La guerre froide crée le « complexe militaro-industriel » qui intègre État fédéral, universités et entreprises et oriente 2/3 des dépenses fédérales vers la R&D militaire. L’État fédéral reste un acteur central du financement de la R&D après la guerre froide. Assisté par un Bureau et un Conseil scientifique, eux-mêmes relayés par des dizaines de lobbys et de think tanks comme la National Academy of Science, il définit une stratégie à partir des recommandations d’universitaires et d’industriels, mais sans politique centralisée. Le budget de R&D fédéral est ensuite réparti entre une trentaine de ministères et d’agences spécialisées, comme le NIST (National Institute of Standards and Technology) les National Institutes of Health, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) ou la National Science Foundation qui évaluent et financent des projets sur une base concurrentielle (proposals).

 

Parmi les organismes qui financent la recherche, on trouve des agences militaires comme la DARPA (Defense Agence Research Projects Agency) et l’imposant ONR (Office of Naval Research), qui pilotent par exemple les textiles intelligents, mais aussi de grosses entreprises, comme Pfizer ou Novartis pour la pharmacie qui peuvent faire des appels d’offre précis à des laboratoires universitaires. La NSF (National Science Foundation) est une agence fédérale, sorte de CNRS américain, qui finance aussi des projets de R&D en entreprises. Tel est l’un des principes du rapport de Vannevar Bush en 1945 : l’État, dont les moyens financiers dépassent ceux des entreprises, doit financer une partie de la recherche, en particulier fondamentale (60 % environ), mais celle-ci est orientée par des compagnies mieux au fait des attentes du marché que les agences gouvernementales. La recherche privée se concentre essentiellement sur la recherche appliquée et l’innovation.

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Après la crise de 2008, la Strategy for American Innovation, et le plan de relance American Reinvestment and Recovery de 2009 misent sur l’innovation pour sortir de la crise, soit 20 milliards de $ pour des secteurs comme  les énergies propres, le changement climatique, ou le gaz de schiste. Durant son second mandat, Barack Obama sanctuarise les investissements fédéraux de R&D malgré l’austérité budgétaire.

Ce sont  surtout les liens tissés entre la sphère universitaire et les acteurs privés, en particulier avec le capital-risque, qui caractérisent le système américain. Des fonds privés financent la recherche dans les secteurs de pointe, bio et nanotechnologies, logiciels, pharmacie, ou matériel médical. L’intégration entre université et business explique pourquoi le système est compétitif et attire les jeunes entrepreneurs du monde entier.

 

Les grandes universités ont leurs propres incubateurs de start up, comme le Y- Combinator de Stanford. La fluidité des échanges entre universités et entreprises permet une « pollinisation croisée » qui favorise les transferts de connaissances, de pratiques et de personnes. Bill Janeway est devenu un grand venture capitalist après avoir été professeur d’économie à Princeton, Sven Beiker a travaillé chez BMW avant de devenir directeur du CarLab de Stanford. Nombre d’universités ont des bureaux de licensing qui permettent un passage rapide de l’invention à l’innovation et au business, en accélérant les dépôts de brevets et les créations de start up. De leur côté, les directeurs de laboratoires ou PI (Principal Investigators) sollicitent des financements et doivent rendre des comptes aux investisseurs. Le rôle de la puissance publique, fédérale ou étatique, consiste à réunir les acteurs, et à leur apporter un soutien, sur le modèle de la Silicon Valley. L’État assure aussi la circulation de l’information et la remontée des informations scientifiques (bottom up) vers les agences fédérales.

Ces atouts, investissement massif du gouvernement fédéral et structures privées à but lucratif (fondation Bill et Melinda Gates), universités performantes, efficacité du transfert de technologies, seraient moins efficaces sans un écosystème particulier : aides financières aux plus doués, projets réalisés par des équipes d’étudiants, association entre enseignement théorique et projets concrets, échec connoté positivement, le tout parrainé par les figures quasi héroïsées de Mark Zuckerberg, d’Eric Schmidt ou de Bill Gates.

La meilleure éducation du monde ?

Dans les années 2000, les États-Unis prennent conscience de la médiocrité de leur système scolaire secondaire, et connaissent même un « PISA shock » en constatant leurs faibles performances récentes lors des tests PISA organisés par l’OCDE. Leur recul de la 17e à la 36e place en 2013 est vécu comme un missile gap éducatif. Tandis que les Dragons, Shanghai et le Japon caracolent en tête des classements, les performances du système américain se dégradent. En 2015 ils n’occupent que la 28e place mondiale. Le directeur de l’éducation de l’OCDE affirme alors  que « la qualité de l’enseignement dans un pays est un puissant indicateur des richesses que ce pays pourra produire à long terme ». Le principe du Common Core (socle commun) lancé en 2010 vise à fournir un cadre plus cohérent dans un paysage scolaire hétérogène et à augmenter le niveau, mais l’initiative reste aux districts.

Même dans le supérieur, l’excellence de quelques universités masque le niveau moyen de la plupart des colleges. Les étudiants qui sortent d’une université à 60 000 $ l’année peuvent rester bredouilles. En architecture, par exemple, le taux de chômage est de 10 %. Comme le montre Richard Freeman dans The Overeducated Americans, 46 % des jeunes diplômés occupent un poste qui ne requiert aucun diplôme supérieur. Le jeu en vaut-il la chandelle ? À ces doutes, s’ajoute le fait que les États-Unis tiennent la corde d’une division du processus éducatif mondial dont ils sont en même temps dépendants pour la matière grise. En effet, la recherche progresse surtout grâce aux chercheurs étrangers. Sans le brain drain, la crise silencieuse du système éducatif éclaterait au grand jour.

En outre, la discrimination positive n’empêche pas le creusement des inégalités. Certes les universités d’élite comme le MIT ou Harvard recrutent des élèves brillants de milieu modeste dont les frais de scolarité sont entièrement pris en charge par des bourses publiques et privées. L’affirmative action a intégré de manière efficace une partie des minorités, mais brouille parfois la finalité de l’enseignement supérieur, comme en témoigne le procès intenté par la jeune Abigail Fisher contre l’université du Texas pour discrimination anti-blancs. Surtout, elle n’empêche pas une relation de plus en plus étroite entre les revenus parentaux et la réussite scolaire. Si la tendance n’est pas propre à l’Amérique, elle y est plus prononcée qu’ailleurs dans le monde développé, parce que le fossé entre riches et pauvres y est plus profond.

Le système éducatif favorise considérablement les plus aisés. Outre qu’ils ont les meilleurs jobs, les « heureux du monde » forment des couples à hauts revenus dont les enfants fréquentent des établissements de qualité, mais très onéreux. Le capital intellectuel est le carburant de l’économie, et ceux qui maîtrisent le brainpower, les « manipulateurs de symbole », ont les clés du pouvoir. L’habitude ancienne de la préférence familiale ouvre les portes des universités aux enfants des alumni. Les réseaux familiaux jouent un rôle central pour entrer à Stanford, Harvard, ou Princeton, ainsi que pour chercher un emploi. C’est bien l’American dream, qui ouvrait la réussite à toute personne dotée de talent et de persévérance, qui est désormais menacé.

Des étudiants endettés pour longtemps

Enfin, la dette étudiante, qui représente 1 060 milliards de dollars, fragilise l’économie américaine au point que l’on parle de « bulle » de l’enseignement supérieur. Les enfants de la middle class s’endettent lourdement pour faire des études, misant sur leur futur emploi pour rembourser des sommes astronomiques. Le budget moyen d’un étudiant se monte à 35 000 $ par an dans les universités publiques, et à 60 000 $ dans les universités privées. Les trois quarts des étudiants commencent leur vie professionnelle avec une dette de 30 000 à 100 000 $. L’organisme Sally Mae, qui gère la dette étudiante, fait face à des défauts de remboursement de plus en plus nombreux. Il faut dire que les frais de scolarité ont augmenté en 20 ans deux fois plus vite que les coûts de santé, tandis que les fonds alloués par l’État fédéral se rétractaient de 40 %. Et que les universités rivalisent en infrastructures de qualité pour séduire des étudiants devenus des clients. Cette course entraîne des dépenses somptuaires : un centre de loisirs à 72 millions de $ pour l’Auburn University d’Alabama, un stade de football à 150 millions pour celle du Minnesota. Ces dépenses, plus l’inflation administrative, augmentent les coûts. L’endettement étudiant, devenu insupportable, pèse lourdement sur les classes moyennes et hypothèque leur avenir.

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Dans ces conditions, les Etats-Unis règnent encore incontestablement sur l’offre éducative mondiale, mais leur splendeur est menacée par l’épée de Damoclès de la dette.

MIT, la manne des brevets

Le Massachussetts Institute of Technology, fondé en 1861 à Cambridge aux États-Unis, est un établissement universitaire privé qui combine un institut de recherche et une université d’enseignement et compte 11 000 étudiants et 1 000 enseignants. Le MIT est un des hauts lieux de la recherche scientifique et technologique. Il a engrangé 85 prix Nobel et de nombreuses distinctions, vu l’invention de la pénicilline et des radars.

Dans un laboratoire du MIT, le « brevetage » fait partie intégrante du processus de recherche. En effet, si la publication scientifique est le but final, les professeurs (PI), chercheurs et étudiants doivent protéger l’invention. C’est pourquoi le Technology Licensing Office du MIT crée une bibliothèque de brevets, les dépose rapidement et les vend aux entreprises, le chercheur touchant dans ce cas des royalties. Certains, comme l’algorithme de la télévision HD, génèrent encore des millions de $ par an. Le TLO facilite aussi la création d’entreprises ou de start up à partir de certains brevets. Comme Stanford, le MIT est une université très intégrée au monde industriel qui possède une intense culture de l’entrepreneuriat.

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Photo : Le Massachusetts Institute of Technology (MIT), figure de proue de l'enseignement supérieur scientifique aux Etats-Unis © Pixabay

À propos de l’auteur
Anne-Sophie Letac

Anne-Sophie Letac

Ancienne élève de la rue d’Ulm, agrégée d’histoire, Anne-Sophie Letac est professeur de géopolitique en classes préparatoires. Elle s’intéresse particulièrement au rôle stratégique de l’éducation et à l’économie numérique.

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