Si l’élection présidentielle américaine de 2020 restera sans nul doute dans l’histoire du fait de son caractère indécis, le faible écart entre les deux candidats, ainsi que le climat de tension manifeste, celle de 1968 s’est également singularisée pour différentes raisons, parmi laquelle son indécision. Même si Nixon la finit avec une nette majorité de grands électeurs.
En 1968, on a beaucoup attendu le nom du vainqueur, mais ce suspense a été entretemps surpassé par celui de l’élection de 2000. L’une de ses particularités majeures aura surtout été d’être l’élection où un troisième candidat a eu une réelle capacité de jouer les trouble-fête : George Wallace, gouverneur démocrate de l’Alabama de 1963 à 1967, et partisan de la ségrégation raciale [1]. Celui-ci espérait avoir suffisamment de grands électeurs pour être décisif dans l’élection du candidat issu d’un des deux grands partis.
Une élection marquée par les émeutes raciales
La question des droits civiques est en effet cruciale, d’autant que les États-Unis ont connu plusieurs séries d’émeutes raciales, la principale étant le long hot summer de 1967. L’année de l’élection, c’est l’assassinat de Martin Luther King qui entraîne une nouvelle série d’émeutes à Baltimore. Pourtant, Lyndon Johnson n’a pas ménagé sa peine pour améliorer les conditions de vie des Afro-Américains, que ce soit sur le plan économique ou le plan sociétal. Quitte à faire une croix sur une partie de son électorat, ainsi que l’aurait déclaré l’intéressé : « voilà, nous avons perdu le sud pour une génération » [2].
En face le parti républicain cherche à incarner la défense de l’ordre public face aux troubles sociaux, ce que résume le slogan law and order de Richard Nixon [3]. Cette ligne plus conservatrice, amorcée lors de l’élection de 1964, avait déjà permis à son candidat, Barry Goldwater, d’emporter les États du sud. En 1968, George Wallace arrive en tête dans lesdits États, mais n’obtient pas suffisamment de grands électeurs pour gagner son pari. Il emporte dans sa défaite la ligne ségrégationniste du parti démocrate, qu’il incarnait, bien qu’investi par l’American Independent Party.
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La bascule pour le parti républicain… et le parti démocrate
Et la Southern Strategy de Richard Nixon s’est révélée payante sur le long terme. Celle-ci consacre en effet pour le parti républicain la conquête de l’électorat blanc des États du sud, traditionnellement attaché au parti démocrate. Ce succès n’étant pas étranger aux victoires plus fréquentes du Grand Old Party à l’élection présidentielle depuis cette époque.
À l’inverse, la politique de Great Society de Lyndon Johnson correspond à la ligne progressiste qui allait caractériser le parti dans les décennies suivantes. Cette bascule rappelle en effet que le parti démocrate ne l’a pas toujours été sur les questions raciales. Au XIXe siècle, celui-ci était opposé à l’abolition de l’esclavage, d’ailleurs, Abraham Lincoln qui a signé son abolition en 1865, appartenait au parti républicain. Cette tendance se poursuivra dans la première moitié du XXesiècle, où il incarne, politiquement parlant, la ségrégation dans les États du sud.
Au XXIe siècle, le parti démocrate est en train de connaître une nouvelle bascule, incarnée par le challenger de Joe Biden à la primaire, Bernie Sanders, celle d’une orientation « socialiste »[4] sur le plan économique et se voulant encore plus progressiste sur le plan sociétal. En cas de victoire démocrate, 2020 sera-t-il pour les États-Unis ce que 1981 a été pour la France ?
[1] Le parti démocrate avait déjà connu plusieurs candidatures dissidentes depuis la fin de la guerre à cause de cette fracture avec les États du sud
[2] En anglais « we have lost the South for a generation ».
[3] Repris par Donald Trump en 2020
[4] Aux États-Unis, cette notion est quasiment synonyme de « communiste ».