La tragédie de l’Espagne vide et ses multiples facettes

26 octobre 2019

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Le roi d'Espagne Felipe VI, la reine Letizia ainsi que les princesses Leonor et Sofia remettant le prix des Asturies à Oviedo, Espagne, le 19 octobre 2019. Shutterstock40732973_000010 Auteurs : REX/SIPA

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La tragédie de l’Espagne vide et ses multiples facettes

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Le dépeuplement touche une grande partie du centre de l’Espagne, au profit des régions côtières et de ses métropoles. Cela va-t-il créer une Espagne vide où seule la périphérie serait utile ?

Le samedi 19 octobre 2019, comme tous les ans, le roi d’Espagne Philippe vi et son épouse Letizia étaient en déplacement dans les Asturies (nord-ouest du pays) afin de remettre le Prix du Village exemplaire, qui récompense une localité de la région depuis 1990. À cette occasion, ils étaient accompagnés pour la première fois de leurs deux filles, l’héritière au trône Éléonore et sa sœur cadette Sophie. C’était l’occasion pour leur aînée de prononcer son deuxième discours officiel (après celui de la veille, lors de la cérémonie de remise des Prix Princesse-des-Asturies).

Le texte qu’elle a lu constituait un vibrant éloge de l’Espagne rurale et un plaidoyer en faveur de ces zones qui se dépeuplent sans cesse outre-Pyrénées [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, « Leonor: «Pueblos como Asiegu son un tesoro para España» », La Razón, 19 octobre 2019. ‘](1)[/simple_tooltip]. Il faut dire que le sujet préoccupe de plus en plus chez notre voisin ibérique en raison de ses multiples implications (économie, démographie, environnement, société, santé, politique) et de son caractère toujours plus prononcé.

Un pays vieillissant et sans enfants

Le vieillissement de la population espagnole n’est un secret pour personne. Il peut être considéré comme une fierté pour une nation où l’espérance de vie est toujours plus élevée et qui pourrait battre le record du Japon d’ici à 2040. La Communauté de Madrid est à l’heure actuelle la région administrative de premier niveau où l’âge moyen qu’un individu peut atteindre à la naissance est le plus haut au sein de l’Union européenne (87,8 ans chez les femmes et 82,2 ans chez les hommes, soit une moyenne de 85,2 ans) [simple_tooltip content=’Voir « Madrid es la región con mayor esperanza de vida de la Unión Europea », EFE, 14 septembre 2018.’](2)[/simple_tooltip]. Les causes en sont multiples : système de santé très performant et accessible, faible criminalité, habitudes de vie globalement saines, etc.

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Mais cet état de fait présente également de nombreux inconvénients, comme les difficultés de financement du système des retraites, la solitude de nombreuses personnes âgées, les investissements nécessaires aux soins que requièrent ces individus.

À ce phénomène s’ajoute la très faible natalité espagnole, la croissance démographique étant négative depuis plusieurs années. Seules quinze des cinquante provinces espagnoles abritent plus d’enfants que de retraités [simple_tooltip content=’Voir Calderón, Inés, « Sólo 15 provincias tienen ya más niños que jubilados », El Economista, 12 juillet 2019.’](3)[/simple_tooltip] tandis que certaines communes modestes n’ont pas vu naître un seul bébé depuis deux à trois décennies.

Une répartition inégale

Problème supplémentaire : la population espagnole est très mal répartie sur son territoire. L’exode rural n’en finit pas et quelques grandes métropoles attirent l’essentiel des travailleurs et des richesses dans un phénomène de concentration que l’on observe partout dans le monde [simple_tooltip content=’À ce sujet, voir, par exemple, Chevalier, Pascal ; Dedeire, Marc ; Hirczak, Maud ; et Razafimahefa, Lala, « Dynamiques rurales et trajectoires démographiques : comparaison France, Italie, Espagne » in L’information géographique, Paris : Armand Colin, 2011, volume 75, pages 68-87.’](4)[/simple_tooltip]. C’est principalement le cas de Madrid, mais aussi de Barcelone, des communes urbaines du Pays basque ou encore de Málaga (Andalousie). De fait, plus de la moitié des 46,9 millions d’habitants de l’Espagne vit sur une portion très réduite de la superficie nationale.

S’ensuit la constitution d’une vaste « Espagne vide » (España vacía) qui s’étend sur la plupart des communautés autonomes et pose d’immenses problèmes économiques, infrastructurels et politiques : Nord de l’Andalousie, Sud de l’Aragon, Estrémadure, Galice intérieure, zones de la Communauté de Valence les plus éloignées des côtes, etc.

Les besoins de ces territoires abandonnés sont multiples. Leurs habitants tentent d’ailleurs d’attirer l’attention des autorités nationales en manifestant régulièrement à Madrid ou sur place [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Delgado Sanz, Enrique, « La «España vaciada» clama contra el bloqueo: «Esto no puede esperar más» », ABC, 26 août 2019.’](5)[/simple_tooltip]. Les initiatives individuelles ou collectives ne manquent pas pour tenter de redonner un peu de vie et d’espoir à ces régions oubliées et les dirigeants tentent de répondre à cette urgence. Cependant, toutes ces mesures sont insuffisantes d’un point de vue politique et financier, car l’Espagne vide ne semble pas intéresser en termes électoraux et n’est pas aussi remuante que les secteurs indépendantistes catalans [simple_tooltip content=’Voir, par exemple, Pazos-Vidal, Serafín, « Reto demográfico », Agenda Pública, 7 avril 2019 ; Molino, Sergio del, « Una cuestión de democracia pura », El País, 31 mars 2019 ; ou encore Tomás, Nicolás, « Viaje a la España vacía: «Cataluña les da votos; nosotros, no », El Nacional, 21 avril 2019.](6)[/simple_tooltip].

Culture et environnement au centre des discussions

Le débat sur l’Espagne vide est pourtant très présent dans les médias tandis que le monde de la culture s’en est emparé depuis longtemps, à l’instar du documentaire Le Ciel tourne de Mercedes Álvarez (2004) ou de l’ouvrage à succès La España vacía – Viaje por un país que nunca fue de Sergio del Molino (2016).

L’économie et la dignité des personnes ne sont pas les seuls enjeux en la matière. Dans un pays très exposé au réchauffement climatique et aux incendies de plus en plus violents, le dépeuplement de vastes régions renforce le phénomène et fait craindre le pire d’un point de vue environnemental, y compris dans des régions peuplées comme la Catalogne ou la Communauté de Madrid.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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