Une relation à sens unique – La France d’Emmanuel Macron qui ignore l’Espagne de Pedro Sánchez

2 décembre 2019

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Spanish Prime Minister Pedro Sanchez votes during the votation for coalition government with Unidas Podemos to make a new goverment in Pozuelo de Alarcon, Madrid, Spain on 23 November 2019. (c) Sipa 00933811_000001

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Une relation à sens unique – La France d’Emmanuel Macron qui ignore l’Espagne de Pedro Sánchez

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Tournée vers l’Allemagne et l’Angleterre, la France ne se préoccupe pas de l’Espagne, qui est un pourtant un voisin proche. Ce pays ne rentre pas dans la perspective géopolitique française, alors que du côté de la péninsule la France est beaucoup commentée. Analyse d’une relation à sens unique.

Entre anniversaire des « gilets jaunes », tensions sociales diverses et grève multisectorielle le 5 décembre prochain, le président de la République française, Emmanuel Macron, a renoncé à se rendre en personne à la COP25 [simple_tooltip content=’« Grève du 5 décembre : Emmanuel Macron modifie son agenda et ne participera pas à la COP25 », La Voix du Nord, 21 novembre 2019.’](1)[/simple_tooltip], qui se déroulera à Madrid du 2 au 13 décembre 2019. La capitale espagnole a récupéré l’organisation de cet événement mondial, qui rassemblera près de 25 000 personnes au palais des congrès de l’IFEMA, à la suite des troubles qui agitent le Chili. Un véritable défi à relever en quatre semaines seulement.
L’absence du chef d’État français n’est pas dramatique pour l’Espagne. Il sera représenté par de nombreux ministres, diplomates et technocrates et il n’est pas dit que des décisions transcendantes soient prises en décembre. Néanmoins, ce faux bond de la part de Paris renforce un sentiment de mépris ou, à tout le moins, d’ignorance à l’égard de Madrid.

Une longue trajectoire de rencontres manquées

Les relations transpyrénéennes ont souvent été compliquées depuis le début de la Cinquième République : Charles de Gaulle n’a jamais pu se rendre en visite officielle en Espagne durant son mandat, pas plus que Georges Pompidou, en raison de la dictature franquiste [simple_tooltip content=’Klein, Nicolas, « Chronique d’un rendez-vous raté : la France gaullienne et l’Espagne franquiste » in Perspectives libres, n° 31 (« De Gaulle au xxie siècle »), 2016, pages 31-82.’](2)[/simple_tooltip] ; Valéry Giscard d’Estaing est parvenu à repousser l’entrée officielle de l’Espagne et du Portugal dans la CEE pour des raisons de politique intérieure ; François Mitterrand a d’abord refusé de collaborer avec les autorités espagnoles dans leur lutte contre le terrorisme basque ; José María Aznar et Jacques Chirac se vouaient un mépris réciproque et les relations se sont tendues avec l’engagement espagnol dans la guerre en Irak ; Nicolas Sarkozy a eu des mots très durs sur l’état économique de notre voisin ibérique après le déclenchement de la crise de 2008 ; enfin, la tentative de rapprochement tentée par Mariano Rajoy à l’égard de François Hollande n’a guère été couronnée de succès, ce qui a poussé le président du gouvernement à se tourner vers Angela Merkel [simple_tooltip content=’« De «Merkozy» a «Merjoy», Alemania elige nuevo compañero para su política de recortes », La Sexta, 26 août 2014 ; et Jáuregui, Fernando, « No te va a gustar – Merjoy… ¿por qué no? », Europa Press, 6 juillet 2015.’](3)[/simple_tooltip].

L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas permis d’améliorer les rapports qu’entretiennent les deux nations. Bien au contraire, jamais notre voisin pyrénéen n’a aussi peu intéressé les autorités politiques françaises, notamment au plus haut niveau.

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Traditionnellement, Paris et Madrid se retrouvent dans le cadre de sommets franco-espagnols (Cumbres Francoespañolas), qui se déroulent alternativement en France et en Espagne. En 2009, Nicolas Sarkozy s’était rendu outre-Pyrénées avec son épouse et y avait rencontré la famille royale espagnole dans le cadre d’une visite d’État. Deux ans plus tard, François Hollande recevait Mariano Rajoy au palais de l’Élysée en présence d’une grande partie de leur gouvernement respectif. Malgré les désaccords entre les deux exécutifs, Madrid, Paris puis Málaga avaient accueilli à leur tour de telles réunions en 2013, 2014 et 2017.

Depuis lors, plus aucun sommet de ce genre n’a été programmé et il ne semble pas pour le moment que 2020 doive déroger à la règle. Emmanuel Macron ne s’est rendu qu’une seule fois dans la capitale espagnole – c’était en juillet 2018, très peu de temps après l’accession au pouvoir de Pedro Sánchez. Arrivé en retard au palais de La Moncloa (siège de la présidence du gouvernement espagnol) pour des raisons personnelles, il n’était pas non plus à l’heure au dîner officiel organisé en son honneur au palais royal d’Orient, où l’attendait Philippe vi. Le président français a d’ailleurs affirmé en guise d’excuse que les Espagnols mangent de toute manière à une heure plus tardive que les Français.

Un mois auparavant, Pedro Sánchez s’est rendu à Paris dans le cadre d’une tournée européenne, mais n’a pas eu le droit aux ors de Versailles ni même à un sommet de premier ordre – il a dû se contenter d’un déjeuner de travail informel. Presque tous les autres voyages du chef de l’exécutif ou du couple royal espagnol ont été réalisés dans un contexte multilatéral, comme pour le centenaire de l’armistice de 1918 ou le sommet du G7 à Biarritz.

Pourquoi parler à l’Espagne ?

Le président de la République française et son gouvernement paraissent donc peu préoccupés par ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées. Emmanuel Macron aime à parler aux dirigeants des grandes puissances (États-Unis d’Amérique, Russie, Chine) et s’avère obnubilé par la relation avec l’Allemagne.

Les réclamations historiques de l’Espagne, comme le renforcement des interconnexions électriques et gazières avec la France, passent souvent au second plan. Il faut que ce soit l’Union européenne qui s’en mêle pour pousser notre pays à réagir. Il en va de même pour la poursuite de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Nîmes et Barcelone, qui permettrait de totalement relier Madrid à Paris par le TGV.

Cette ignorance de Paris à l’égard de Madrid n’est pas à la hauteur de l’importance relative de l’Espagne dans notre vie économique, politique et militaire. Les deux pays sont séparés par une frontière terrestre de 623 kilomètres de longueur (la plus longue de France métropolitaine) et notre voisin ibérique est notre cinquième fournisseur en 2017, avec 6,5 % des importations françaises totales. Il se classe derrière l’Allemagne, la Chine, la Belgique et l’Italie, mais devant les États-Unis, tandis que nous sommes le deuxième fournisseur de l’Espagne (10,8 % des importations espagnoles)[simple_tooltip content=’« Les échanges bilatéraux de biens entre la France et l’Espagne en 2018 », site de la Direction générale du Trésor public français.’](4)[/simple_tooltip].

La coopération en matière industrielle est intense, comme dans le domaine spatial (où notre voisin ibérique n’a eu de cesse d’accroître sa présence ces dernières années, principalement au sein de l’ESA) et militaire. L’on peut citer les investissements (110 millions d’euros sur quatre ans) de Madrid dans le développement et la construction du futur avion de chasse « européen », auquel contribuent France et Allemagne. Madrid tenait d’ailleurs absolument à s’engager aux côtés de Paris et Berlin dans ce projet dès le départ.

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Mais cette collaboration ne s’arrête pas là. Chaque année, un détachement de jeunes élèves gendarmes français sont formés à la caserne Duc-d’Ahumada, à Valdemoro, dans la banlieue de Madrid. Paris a timidement pris conscience ces dernières années de l’importance croissante de l’aide que l’Espagne lui apporte en matière militaire et l’a remerciée en invitant une partie de ses troupes à défiler sur les Champs-Élysées le 14 juillet 2019. Les exercices conjoints sont devenus monnaie courante entre les deux nations et, que ce soit au Mali [simple_tooltip content=’« Así fue el ataque de Al Qaeda a la misión española en Mali », La Razón, 24 février 2019.’](5)[/simple_tooltip] ou en République centrafricaine, Madrid participe activement aux missions à l’extérieur dans lesquelles la France est engagée.

De même, alors qu’il n’est pas membre du G7, notre voisin ibérique a assuré une part essentielle de la sécurité de ce sommet à Biarritz en 2019. Le ministre français de l’Intérieur, Christophe Castaner, et son homologue espagnol, Fernando Grande-Marlaska, ont étroitement coopéré dans le domaine afin de sécuriser la frontière commune.

Deux dirigeants, deux pays, deux sociétés

Dans le domaine diplomatique, en règle générale, les années Aznar et Rajoy sont bel et bien derrière nous. Une fois parvenu au pouvoir, Pedro Sánchez a beaucoup misé sur la relation avec Emmanuel Macron, qui a voulu le lui rendre en l’invitant finalement au G7, mais aussi en l’intégrant au plus près dans les négociations au sujet des top jobs – ces grands postes de la structure institutionnelle de l’Union européenne [simple_tooltip content=’Gil, Iñaki, « Emmanuel Macron y Pedro Sánchez, aliados en el «juego de tronos» de la Unión Europea », El Mundo, 28 mai 2019.’](6)[/simple_tooltip].

Il existe bien entendu des divergences entre les deux dirigeants et, parfois, une certaine méfiance. La signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et le MERCOSUR a été en grande partie défendue par Sánchez et le patronat espagnol, tandis que la France a parfois fait preuve de plus de réticences. Toutefois, le dialogue politique entre Espagne et France est aujourd’hui une priorité du palais de La Moncloa, qui fait tout pour le rendre plus fluide et espère avoir des alliés de poids afin de peser à Bruxelles.

La réponse d’Emmanuel Macron n’est globalement pas à la hauteur de tous les éléments que nous venons de citer. Lui et l’ensemble de notre appareil d’État doivent impérativement tenir compte du fait que notre économie, notre armée et même notre société sont très proches – parfois bien plus qu’avec l’Allemagne. Ce n’est pas un hasard si l’espagnol est la deuxième langue la plus enseignée en France (2,5 millions d’élèves dans le secondaire en 2014, essentiellement en LV2) tandis que le français jouit de la même position dans le système scolaire espagnol. De quoi faire réfléchir sur les orientations futures de nos concitoyens et sur les amitiés qui se nouent avec l’Espagne, indépendamment de ce qu’en pensent nos élites…

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Spanish Prime Minister Pedro Sanchez votes during the votation for coalition government with Unidas Podemos to make a new goverment in Pozuelo de Alarcon, Madrid, Spain on 23 November 2019. (c) Sipa 00933811_000001

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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