Le 23 février 1981, un événement relativement méconnu de l’histoire d’Espagne se produisit. Alors que le franquisme prenait fin et que la nation ibérique était en pleine transition démocratique, une partie de l’armée réalisa une tentative de coup d’État dite du « 23F » qui aurait pu bouleverser l’avenir du pays.
Ce jour-là, des gardes civils menés par le lieutenant-colonel franquiste Antonio Tejero envahirent le palais de Las cortes à Madrid (équivalent de l’Assemblée nationale). Au même moment, le capitaine Jaime Milans Del Bosch occupa militairement la ville de Valence.
Bien entendu, la date de cette tentative de coup d’État ne fut pas choisie par hasard : il s’agissait du jour de l’investiture de Leopoldo Calvo-Sotelo (candidat désigné par Juan Carlos) qui succédait alors à Adolfo Suarez. L’idée était de profiter d’un vide politique afin de mettre en place un autre régime, à tendance militariste et franquiste.
Les enjeux putschistes
Les facteurs ayant motivé le coup d’État du 23F étaient nombreux. Ils étaient tout d’abord d’ordre économique, à l’image des diverses crises ayant touché l’Espagne durant les années 1970 (les crises pétrolières de 1973 et 1979 l’affectèrent particulièrement) ou des conséquences de la politique d’isolement franquiste qui a gravement détérioré l’économie du pays. Toutefois, les effets ayant été essentiellement ressentis durant la transition, le gouvernement Suarez fut pointé du doigt.
Sur le plan politique, la nouvelle organisation territoriale fut particulièrement compliquée à mettre en place. Centralisée sous Franco, l’Espagne eut la possibilité de s’organiser sous forme de communautés autonomes (celles que nous connaissons encore de nos jours) seulement à partir de 1978.
De plus, l’ETA joua un rôle clé dans le déclenchement du coup d’État : la mise en place d’un régime démocratique ne servait pas leurs intérêts dans la mesure où leurs actions trouvaient une certaine légitimité sous Franco, ceux-ci pouvaient alors prétendre lutter contre la dictature, ce qui n’était plus possible dans un contexte démocratique.
Ainsi, le nombre d’attentats et de victimes ne cessa d’augmenter au fil des années 1970 : Entre 1968 et 1977, ils furent responsables de 72 homicides, mais rien qu’en 1978, année de la Constitution, il y eut 66 victimes, puis 92 en 1980 dont un grand nombre étaient des policiers et militaires. C’est donc notamment l’incapacité de l’État à les arrêter qui fragilisa la confiance d’une partie de l’armée, qui n’était d’ailleurs pas entièrement favorable à un système démocratique après quatre décennies de régime militariste.
Enfin, la légalisation du parti communiste provoqua également de nombreuses agitations durant cette même décennie (le massacre d’Atocha en 1977 notamment).
Ce fut donc toute une série de facteurs qui fragilisèrent le pouvoir en place et poussèrent une partie de l’armée à tenter un coup d’État.
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Quand l’Espagne retint son souffle
Le 23 février 1981, la session parlementaire fut interrompue un peu plus d’une heure après son début et les députés pris en otage par le lieutenant-colonel Tejero. Au même moment, le capitaine Del Bosch bloqua la ville de Valence avec des chars, déclara l’état d’urgence et un gouvernement provisoire fut formé. Néanmoins, l’opération fut un échec et dura moins de 24 heures dans la mesure où les putschistes ne bénéficièrent pas du soutien espéré.
D’une part, Tejero et Del Bosch ne furent pas soutenus par Juan Carlos, bien au contraire. Le roi d’Espagne intervint à la télévision à une heure du matin, arborant son uniforme militaire et déclarant être opposé au coup d’État en cours. Il insista sur le fait que la Constitution était maintenue. D’autre part, cette tentative ne fit pas l’unanimité au sein de l’armée, la majorité des militaires prirent position en faveur du roi et de la Constitution.
Ainsi, isolé, Milan Del Bosch renonça durant la matinée et annula l’état d’exception lors d’un communiqué. De son côté, Antonio Tejero libéra les députés quelques heures plus tard et négocia sa reddition. Finalement, une trentaine de responsables furent condamnés à des peines de prison allant d’un à trente ans de réclusions et l’Espagne pu acheva le processus de transition démocratique l’année suivante.