Entretien avec le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre

25 novembre 2021

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Le général Pierre Schill. Crédits photo : Thibaut Cuignet CC BY SA4.0

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Entretien avec le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre

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Saint-cyrien (promotion Tom Morel), Pierre Schill a commencé sa carrière dans l’infanterie de marine. Il a été engagé sur différents théâtres d’opération, en Afrique et dans les Balkans. Il a été nommé chef d’état-major de l’armée de terre en juillet 2021.

 Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé et Olivier Entraygues

Au moment de la publication d’un nouveau concept d’emploi des forces terrestres, quels sont aujourd’hui les défis que l’armée de terre doit relever pour intégrer le triptyque « la compétition, la contestation et l’affrontement » ?

Après plus d’une décennie d’opérations de maintien de la paix et de combats de contre-insurrection, et sur les bases d’un constat réaliste de l’état du monde, l’armée de terre, avec le concept d’emploi des forces terrestres (CEFT), a souhaité se poser cette question à la fois simple et fondamentale : « à quoi sert » notre armée de terre ?

Le premier défi à relever est celui d’être à la hauteur de l’ambition politique de notre pays en matière de défense et de sécurité ; l’armée de terre dont la France a besoin. Avec l’adoption en 2019 d’une loi de programmation militaire de remontée en puissance, notre pays a fait le choix de disposer d’une défense forte consolidant son statut de puissance d’équilibre. Cette décision découle des conclusions de la Revue stratégique de 2017, actualisée en début d’année 2021.

Nous le savons depuis Clausewitz, « la guerre est un caméléon qui change de nature à chaque engagement ». Dans un contexte stratégique incertain, la perspective d’un engagement majeur ne peut être envisagée que dans le cadre d’une alliance ou d’une coalition. Par conséquent, pour exercer ses responsabilités, la France a pour ambition de jouer un rôle de nation cadre au sein d’une coalition. Pour l’armée de terre, cela signifie que l’interopérabilité avec nos alliés est fondamentale sous l’aspect opérationnel comme capacitaire. Ce sont les enjeux, par exemple, de la coopération européenne au sein de la task force Takuba au Sahel ou le partenariat CAMo que nous avons initié avec nos partenaires belges.

Dans une perspective d’engagements interarmées, le CEFT décrit « le rôle de la composante terrestre dans la manœuvre multi-milieux et multi-champs, à partir de modes d’action rénovés et diversifiés, avec des structures d’emploi agiles et adaptables », comme le prescrit la Vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre.

Le CEFT répond aux questions suivantes : quel est l’environnement stratégique ? Quelle est l’offre stratégique terrestre adaptée aux enjeux de l’extension des champs de conflictualité au cours des quinze prochaines années ? Comment l’armée de terre décline-t-elle la notion d’intégration énoncée par le concept d’emploi des forces interarmées ? Quelles sont les différentes combinaisons tactiques possibles en vue de nos engagements aéroterrestres ?

Mon intention pour l’armée de terre est celle que j’ai mise en exergue de ma Vision stratégique : « Hausser le niveau d’exigence de la préparation opérationnelle pour forger des hommes capables de combattre jusque dans les champs les plus durs de la conflictualité. » Engagée dans une profonde modernisation, l’armée de terre poursuit sa progression sur quatre axes pour disposer : d’hommes à la hauteur des chocs futurs ; des capacités permettant de surclasser ses adversaires ; d’un entraînement centré sur l’engagement majeur ; d’une simplification de son fonctionnement, gage d’efficacité et de résilience.

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Face à la complexité croissante de la conduite de la guerre, l’effort de la préparation opérationnelle de l’armée de terre doit-il porter sur sa dimension RH ou sa dimension technologique ?

Il n’y a pas véritablement de choix à faire. L’armée de terre doit chercher à consolider et développer dans le même temps la préparation opérationnelle de ses soldats et les progrès de ses capacités. Ce sont bien les deux premiers objectifs stratégiques identifiés par la Vision stratégique du CEMAT : des hommes à la hauteur des chocs futurs ; des capacités permettant de surclasser nos adversaires.

Un écueil serait d’adopter une position dogmatique sur cette dichotomie soldat-capacité. C’est la leçon que nous retenons des Études sur le combat du colonel Ardant du Picq, publiées à titre posthume à la fin du xixe siècle. Ardant du Picq s’interrogeait sur le combat au moment où les conditions de la guerre connaissaient de profondes évolutions : utilisation des trains par les armées ; développement des communications avec le télégraphe entraînant une rupture dans le champ immatériel de l’époque ; artillerie encore plus puissante ; efficacité accrue des fusils. Ces innovations allaient être employées durant la guerre de Sécession puis pleinement exploitées lors de la Grande Guerre. Dans ce contexte, Ardant du Picq écrivait : « Avec le perfectionnement des armes, des engins de jet, la puissance de destruction croît, le courage d’affronter devient plus difficile et l’homme ne change pas, ne peut pas changer. »

À la fin du xixe siècle, la guerre se durcissait donc. Or, dans la dynamique positiviste et scientiste de son temps, Ardant du Picq rappelait que l’homme et les forces morales étaient au cœur du combat comme cela est encore le cas aujourd’hui.

Il ne s’agit pas de refuser la modernisation et les apports de la technologie. Au contraire, l’armée de terre envisage les transformations à venir. La technologie démultiplie les effets au combat, c’est ce que nous devinons avec l’infovalorisation du champ de bataille avec Scorpion, l’apport de la robotique et de l’intelligence artificielle. Mais au combat, c’est bien « l’homme qui fait le réel ». Les forces morales et l’esprit guerrier sont impératifs pour vaincre.

L’enjeu est d’allier la force morale individuelle et collective de nos soldats avec les apports de la technologie. Pour disposer de soldats prêts à s’engager dans des conflits plus durs, l’armée de terre doit aussi accorder une attention accrue aux familles et à la qualité de l’environnement de nos soldats afin de concilier l’exigence de nos sujétions avec les préoccupations et la nécessaire adhésion des familles. C’est l’objectif des projets « la force de la communauté terre » et « forces morales » de ma Vision stratégique.

 

Les guerres du siècle écoulé, en France et à l’étranger, ont montré que les civils étaient autant impliqués dans les combats que les militaires, avec souvent plus de pertes humaines civiles que militaires. Comment un civil peut-il aujourd’hui appréhender l’esprit de défense ?

La réserve opérationnelle constitue pour nos concitoyens le meilleur moyen de développer leur esprit de défense et de contribuer directement à la défense du pays. Dans l’accomplissement de ses missions, l’armée de terre peut aujourd’hui compter sur 24 000 soldats réservistes.

L’armée de terre, armée des territoires, armée de jeunes hommes et de jeunes femmes – l’âge moyen des 50 000 militaires du rang qui servent dans les régiments est de 27 ans – est un atout pour notre pays et porte un témoignage pour notre jeunesse, un témoignage de solidarité, d’énergie et de service.

La jeunesse est au cœur du troisième projet porté par la Vision stratégique. Avec l’ambition terre-jeunesse, l’armée de terre participe à l’éducation de la jeunesse aux enjeux de défense et apporte les réponses à des questions que des jeunes se posent ; répondre aux simples curieux comme à ceux qui s’interrogent pour rejoindre nos rangs.

Les jeunes citoyens doivent pouvoir comprendre que notre mission est « la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation ». Les questions qui se posaient hier « pourquoi nos soldats meurent-il en Afghanistan ? » sont toujours posées aujourd’hui ; « quelle est l’utilité de nos soldats au Sahel, le sens de leur sacrifice ? » Il nous revient d’apporter une part de l’explication en témoignant sur le choix librement consenti par chacun des soldats de s’engager pour le bien commun, par le service des armes de notre pays, jusqu’au risque de la mort pour remplir les missions qui nous sont confiées.

La politique jeunesse de l’armée de terre se charpente avec « 5 i » : intéresser les préadolescents aux questions de défense ; inciter les adolescents à aller plus loin dans leur connaissance de l’armée de terre ; leur proposer de s’initier, c’est-à-dire de confronter leur approche théorique à la réalité grâce à des stages ou des périodes militaires ; et in fineintégrer des jeunes adultes, en leur proposant de vivre quelques mois avec nous, pour acquérir éventuellement une première expérience professionnelle. Ce parcours cherche à imprégner les jeunes Français de nos valeurs pour ainsi consolider notre cohésion nationale.

À un jeune Français qui voudrait découvrir l’histoire militaire de son pays, quelle bataille lui conseilleriez-vous d’étudier et quelle vie de chef de guerre lui conseilleriez-vous de connaître ?

Votre question est difficile ! Notre histoire militaire est d’une richesse incroyable, il serait dommage de se limiter à une bataille ou à un chef…

C’est pourquoi il me semble que l’ouvrage du général Henri Bentégeat Chefs d’État en guerre présente l’intérêt d’une remarquable mise en perspective historique des enjeux du processus décisionnel politico-militaire. La très belle plume du général Bentégeat, son sens de l’histoire ainsi que sa riche expérience offriront à notre jeune lecteur l’occasion de découvrir chefs d’État, chefs militaires, défaites et victoires du second Empire à la Ve République avec des détours par les États-Unis de Lincoln ou l’URSS de Staline.

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