Facteur de puissance pour les États, l’économie est au cœur des relations internationales et le marché s’impose aux politiques. La compétitivité des entreprises devient un critère essentiel de succès d’une nation. Et les États favorisent leurs entreprises nationales devenues déterminantes de la performance économique – gage de puissance – et de la performance commerciale – gage d’indépendance – du pays.
Chaque jour, partout en France, des entreprises disparaissent après avoir perdu leurs parts de marché, leur capital, leur savoir-faire, leur réputation. Elles n’ont pas pris la mesure d’une compétition qui met aux prises les principales puissances économiques. Pourtant, chez bien des chefs d’entreprise prédomine encore une volonté de non-agression, car leur horizon reste de court terme et leur objectif la bonne marche de leur société. Or il ne suffit pas de bien produire pour vendre plus. Encore faut-il savoir parer les coups de l’adversaire et parfois même apprendre à riposter.
La guerre économique et les entreprises : tous, partout, tout le temps
Les attaques peuvent être le fait d’entreprises françaises, mais quand elles résultent de l’initiative d’États étrangers elles sont plus dangereuses. L’appui des États à la conquête des marchés n’est pas un fait nouveau. La nouveauté réside d’une part dans la nature organisée et systématique de cet appui, d’autre part dans l’emploi de méthodes qui ne visent pas seulement à la performance sur les marchés, mais aussi au rapport de force et à la puissance. Le seul vol d’information aurait coûté 2,2 millions d’euros aux entreprises françaises en 2010 ! Une tendance en forte croissance est l’utilisation des réseaux sociaux pour mener des attaques, en exploitant les informations que les membres livrent sur eux-mêmes ou directement pour propager des logiciels malveillants. À partir de 2010, l’utilisation de kits d’attaque, utilisables par des experts comme par des débutants, connaît une véritable explosion.
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Dans ce monde d’hypercompétition, où les intérêts économiques déterminent la conduite des affaires publiques, la guerre économique devient l’enjeu d’un dialogue, dont la puissance publique et les entreprises sont les parties prenantes. En marge de l’action des États et parfois en lien avec elle, apparaissent pour les entreprises de nouvelles menaces non conventionnelles, asymétriques, protéiformes, difficiles à appréhender comme le terrorisme, le crime organisé transnational – souvent financés par la contrefaçon – ou la cybercriminalité. Ceci alors même que, conséquence entre autres des affaires Enron, Tyco ou World-Com, la loi américaine Sarbanes-Oxley et les réglementations ultérieures imposent aux entreprises une transparence et des contraintes qui les fragilisent, sans pour autant éviter le scandale Madoff ou la crise des subprimes.
Les normes et la régulation, un enjeu pour la compétitivité des entreprises
Les normes internationales sont un enjeu des plus importants pour la compétitivité des entreprises et leur développement à l’export. Plus de 80 % des normes concernant des entreprises françaises sont décidées au sein d’enceintes internationales : le succès de la norme européenne GSM résulte d’une action de lobbying réussie grâce à la coordination des entreprises françaises.
Les instances de régulation jouent, dans l’économie mondialisée, un rôle essentiel pour des entreprises concernées, directement ou indirectement, par des règles. Pour beaucoup d’industries en plein renouvellement, les règles sont discutables, non stabilisées. C’est le cas des industries émergentes (les énergies nouvelles, la santé), celles en voie de libéralisation (transports, nucléaire) et surtout le secteur en développement des industries culturelles. Dans le cadre européen de développement d’un marché unique, ou dans celui de négociations multilatérales, les États interviennent au profit de leurs entreprises nationales (exception culturelle, agro-alimentaire, sécurité sanitaire).
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L’entreprise, actrice d’une guerre asymétrique
Dans un monde où l’innovation est déterminante, les barrières à l’entrée ne représentent plus qu’un avantage temporaire. Pour augmenter leurs parts de marché, les entreprises doivent sans cesse, par l’innovation et la recherche de nouvelles sources de compétitivité, se mettre en capacité de créer de nouveaux avantages et donc d’intensifier la concurrence. Connaître leur environnement concurrentiel ne suffit plus. Il leur faut le maîtriser et le contrôler. L’influence devient alors un levier stratégique.
Il ne s’agit plus, comme dans le cas du lobbying, d’emporter directement la décision. Comme dans la « guerre moderne », il s’agit de « conquérir les cœurs et les esprits », c’est-à-dire de préparer un terrain propice à l’acceptation de la vision de l’entreprise. Cette stratégie indirecte vise à contrôler la perception du marché de toutes les parties prenantes de la firme : salariés, clients, consommateurs, actionnaires, régulateurs. Nécessitant plus de subtilité que de moyens, cette stratégie n’est pas réservée aux seuls grands groupes.
En emportant des décisions propices à leur développement, les entreprises obtiennent des avantages concurrentiels. Leurs interventions visent généralement à modifier les structures des coûts (baisse des charges, salaire minimum, subventions), aménager les règles de la concurrence ou modifier la taille d’un marché (obtention de marchés publics, négociations commerciales internationales). Les grands groupes directement, ou les entreprises par le biais de leurs organisations font pression positivement en concourant à la réalisation d’objectifs d’intérêt général (emploi, investissements, insertion, mécénat) et négativement, par la pression sur l’équilibre économique, l’ordre social voire l’ordre public (fermeture d’établissement, suppression d’emplois, délocalisation). La décentralisation, en multipliant les sources de pouvoir, a disséminé et généralisé les possibilités de pression. Le chantage à l’emploi, à la délocalisation et à la fermeture est aujourd’hui à la portée d’entreprises de toutes tailles, dans tous les secteurs d’activités et toutes les régions.
Compétition et coopération
Les guerres les plus récentes donnent lieu à des coalitions. Si la guerre économique est asymétrique, l’isolement peut se révéler fatal. La visibilité, essentielle pour être entendu par les pouvoirs publics, s’accommode mal de l’isolement. Être, avec les mêmes partenaires, à la fois ou successivement en situation de compétition et de coopération, s’affronter et en même temps coopérer devient courant. L’hyper compétition rend les entreprises interdépendantes, ce qui les amène à se fixer des limites : une stratégie de dissuasion mutuelle. En France, l’État a aménagé le cadre d’une telle « coopétition ». Les pôles de compétitivité à partir de 2004, les filières stratégiques en 2010 et les plans de reconquête de la Nouvelle France industrielle en 2013 impliquent une coopération entre entreprises concurrentes pour la réalisation d’objectifs communs.
Dans la guerre économique, la maîtrise de son environnement, qui permet de prendre le risque de la coopération comme celui de la compétition – car le risque est inhérent à la performance – est stratégique pour l’entreprise.
2006-2008 : 3 000 entreprises françaises attaquées en trois ans
Entre 2006 et 2008, 2 963 entreprises ou laboratoires ont été victimes de 4 765 agressions par 3 719 auteurs, commanditaires, bénéficiaires ou complices identifiés de 90 nationalités différentes. Les risques financiers – du paiement trop tardif jusqu’à la prise de contrôle – représentent 33,51 % des attaques. Les attaques par visiteurs autorisés et intrusions consenties représentent 16,95 % du total, suivies par les atteintes aux savoir-faire (11,8 %), les risques informatiques (10,72 %), les atteintes physiques sur sites (10,53 %), les désorganisations et fragilisations orchestrées (6,54 %), les atteintes à la réputation (5,26 %) et l’exploitation des vulnérabilités humaines (4,57 %).
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71 % des victimes sont des PME, mais les entreprises de plus de 500 salariés, qui ont les moyens de se protéger, représentent tout de même 29 % de l’effectif. Le nombre des agressions rapporté à celui des victimes montre que certaines d’entre elles ne se sont pas plus protégées après la première attaque.