La nouvelle livraison de La Documentation photographique propose une analyse des mobilités actuelles, tant dans les pays d’Europe qu’à travers le monde. Migrations mais aussi déplacements urbains permettent d’ouvrir de nouveaux champs à la géographie.
Jean-Baptiste Frétigny, Les mobilités, La Documentation photographique géographie, CNRS éditions, 2e trimestre 2024.
Si les professeurs du second degré « d’un certain âge » étaient de fervents lecteurs de l’édition papier de « la doc photo », il faut espérer que cette saine tradition perdure le plus longtemps possible. La reprise déjà ancienne de ce titre par les éditions du CNRS a évidemment soulagé les utilisateurs de ce support, jusqu’à présent irremplaçable.
La Documentation photographique vaut très largement en effet les séances de formation, de plus en plus rares d’ailleurs, des missions académiques. Mais encore faut-il faire l’effort d’une mise à jour permanente, une fois l’objectif du concours atteint.
La géographie a introduit le concept de mobilité, au pluriel également, pour désigner les changements de lieu accomplis par plusieurs personnes, avec différents moyens. Les mobilités s’inscrivent ainsi dans un système, qui rassemble donc des conditions géographiques, des moyens technologiques, et des acteurs.
La mise au point scientifique qui précède les différents thèmes définit la mobilité, mais également tout ce qui la rend possible, au niveau technique, mais également en termes de ressources, y compris financières. Les mobilités marquent les territoires de leurs empreintes, plus ou moins heureuses, et elles sont en interdépendance avec leur environnement.
Assurément, il existe un foisonnement des mobilités du quotidien. Cela associe l’utilisation d’un Smartphone, avec une localisation qui permet de déterminer des itinéraires, des infrastructures collectives et des moyens individuels. Lorsque ces mobilités sont censées avoir un impact faible sur l’environnement, elles sont alors qualifiées de « douces », ce qui englobe le vélo, y compris électriques, les trottinettes et autres dispositifs. On me permettra d’être assez réservé sur le caractère « doux » de l’intrusion d’une trottinette sur mon trottoir préféré, soit dit en passant.
En période de préparation de Jeux olympiques, la question des mobilités se pose, y compris le tarif prohibitif imposé aux usagers de la région Île-de-France pendant cette période. Mais il est vrai que le télétravail comme facteur de réduction des mobilités physiques est également largement envisagé.
Différentes mobilités
Jean-Baptiste Frétigny examine successivement les différents aspects de ces mobilités, en commençant par la dimension sociale des mobilités résidentielles que l’on peut opposer à l’essor et au sens des mobilités touristiques.
Les candidats à l’épreuve de géopolitique de l’école militaire interarmes seront évidemment très attentifs à l’étude des deux aspects suivants : les migrations comme complexité d’une fabrique de mobilités et les migrations et les mobilités transnationales. On notera simplement pour cet aspect, avant de le développer plus largement, que ces phénomènes migratoires constituent une fabrique de complexité qui touche près de 300 millions de personnes, soit 3,6 % de la population mondiale. On rappellera que les migrations Sud – Sud restent dominantes, ce qui relativise la place du Nord dans le système migratoire international. Il faut introduire à ce stade les nuances qui permettent d’analyser plus finement, de façon non binaire, ces migrations.
Dans le champ francophone, la notion de circulation migratoire rend compte de façon plus fine l’ensemble des mobilités mises en jeu par le processus. Il ne s’agit plus simplement d’une trajectoire linéaire entre un pays de départ et un pays d’accueil, mais bien d’un parcours d’étape, parfois semé d’embûches, et qui s’inscrit dans la durée.
Selon les cas, les migrants obéissent aussi à des logiques de genre. Masculin pour l’Afrique et l’Asie, largement féminin si l’on prend le cas du flux migratoire venu d’Ukraine depuis l’invasion russe de février 2022. Le cas de l’Italie mérite d’ailleurs d’être cité, en raison de l’importance de la communauté ukrainienne dans ce pays, la première d’Europe, féminine à 80 %, est très largement insérée dans les systèmes de soins pour les personnes âgées et les gardes d’enfants. En d’autres termes, les mobilités reposent très largement sur différents types d’interdépendance. Ce phénomène s’inscrit dans une relation de pouvoir avec la mise en place des différents dispositifs de contrôle permettant aux Etats d’accueil de tenter de contrôler les flux migratoires. Globalement, les migrations internationales font l’objet de politique de plus en plus répressive dans les pays des Nords, ce qui est également traduit dans le débat public.
Démarche punitive
On pourra conclure provisoirement sur l’impact environnemental de ces mobilités, avec l’évolution du partage de l’espace public des centres urbains qui s’inscrit dans une démarche punitive socialement à l’égard de la voiture. Les mobilités douces s’inscrivent d’ailleurs dans une politique d’injonction, en imposant, pour d’excellentes raisons sanitaires d’ailleurs, la marche à pied ou le vélo. L’occupation de l’espace public par les moyens de transport est aujourd’hui en négociation permanente selon les différentes catégories d’usagers. Toute la question est de savoir si ces transitions vertueuses du point de vue environnemental des mobilités sont vues par la France périphérique comme étant justes socialement. Le mouvement des gilets jaunes a montré que c’était loin d’être le cas.
Parmi les thèmes et documents qui sont présentés dans ce numéro, nous mettrons l’accent sur les migrations, par-delà les stéréotypes, sur les phénomènes de réfugiés avec les déplacements sous contrainte, et sur les nuisances que ces mobilités peuvent également générer.
Pour les migrations, l’exemple du système du Mozambique permet un décentrement sous l’angle des migrations entre pays du Sud. La réflexion est multi scalaire, et paradoxalement le Mozambique apparaît comme un pays d’accueil, mais également de départ, ce qui est un fruit de l’histoire, pour les liens avec la Chine ainsi que d’autres pays lusophones, Angola et Brésil.
Les migrations contribuent à influencer le développement des pays de départ, et l’on connaît en Afrique du Nord l’impact de la construction de « la maison au bled », ainsi que le pays d’accueil, avec les quartiers communautaires. Paradoxalement il n’en est pas question ici.
Pour la question des réfugiés, déplacements forcés et autres mobilités sous contrainte, se posent la question des discriminations dans le pays de départ, et on aborde ici celle qui touche les minorités sexuelles. En réalité, les déplacements de population sous contrainte sont d’abord menés dans l’espace national, avant que l’on ne puisse trouver les ressources pour une migration transnationale. Enfin, dans ces migrations sous contrainte, il ne faut pas simplement parler des réfugiés, mais aussi de celles (surtout !) qui se retrouvent privées de droits dans le pays d’accueil. La privation de passeports rend ces personnes dépendantes, quand elles ne se trouvent pas clairement en situation de travail forcé.
On parle évidemment pour conclure des problèmes d’accessibilité ainsi que des nuisances générées par les mobilités, en abordant bien entendu les conséquences en termes de pollution atmosphérique, mais également de bruit. Une carte du plus haut intérêt montre d’ailleurs les liens entre perte d’espérance de vie en bonne santé et espaces particulièrement bruyants dans l’agglomération parisienne.
Cette publication, comme toujours, suscite la réflexion et ouvre des champs qui ne sont pas forcément connus. C’est tout l’intérêt de ce numéro qui permet d’appréhender les mobilités sous des aspects différents, parfois un peu réducteurs surtout si l’on a tendance à généraliser des micros-phénomènes, une tentation à laquelle beaucoup de nos amis géographes ont du mal à résister.