La Russie reste fortement dépendante de son secteur énergétique, à tel point que l’on peut parler d’une véritable économie de rente fondée sur l’exportation des hydrocarbures. Le pays dispose d’environ 30 % des réserves énergétiques et minières de la planète. Atout incontestable, cette prédominance est aussi une faiblesse en raison de la fluctuation des cours. Les années Poutine ont donc été des tentatives de diversification économique.
Cette dépendance énergétique est telle que les budgets publics de l’État russe sont élaborés à l’aide d’une anticipation des cours internationaux du pétrole et du gaz. De fait, la puissance financière, politique et médiatique du système politique forgé par le Kremlin est liée à sa participation à l’économie des hydrocarbures : ils alimentent à hauteur de 25 % les recettes du budget de la Fédération. La volatilité du secteur des hydrocarbures fragilise l’économie russe. En cas de baisse du cours du pétrole, ce sont les importations de biens manufacturés et les capacités d’investissement de l’État qui sont ralenties. La saturation du marché européen, ainsi que la diminution de la demande émanant des anciennes républiques soviétiques, s’ajoutent à cette conjoncture instable. En outre, la diminution de la récupération du pétrole dans les gisements existants et la nécessité d’attirer de nouveaux investissements, afin de moderniser les technologies d’extraction, augmentent le prix du raffinage. De plus, les transferts de technologie qui pourraient moderniser l’appareil industriel russe sont rendus difficiles par les sanctions occidentales. Le tarissement des grands gisements explique, notamment, la transformation du secteur énergétique russe : Moscou cherche désormais à valoriser les gisements de moyenne et de petite taille.
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Le Kremlin restructure son secteur gazier
La globalisation du marché du gaz pousse Moscou à revoir sa stratégie industrielle. L’accroissement de la concurrence mondiale (gaz naturel liquéfié – GNL –, gaz de schiste américain, marché spot du gaz) et la volonté de l’Union européenne d’approfondir ses relations économiques avec d’autres acteurs (Algérie, Norvège) entraînent un affaiblissement de la Russie sur le marché. Sur le marché interne, le ralentissement de l’économie a engendré un affaiblissement de la demande. De plus, les infrastructures ont vieilli et amènent une dépréciation de l’efficacité énergétique russe. C’est pourquoi la Russie cherche à développer de nouveaux sites d’extraction. Deux axes sont privilégiés par Vladimir Poutine afin de préserver la « rente énergétique » : développer l’offre russe sur le marché du GNL et accroître ses relations énergétiques avec la Chine. La Russie a ainsi pour ambition d’exporter, à partir de 2035, jusqu’à 140 millions de tonnes de GNL par an, ce qui constituerait 40 % du marché. L’essentiel du GNL étant produit dans le Grand Nord russe, le développement de la Route maritime du Nord (qui permet de relier les océans Pacifique et Atlantique en longeant les côtes de la Russie) est crucial pour Moscou. C’est dans ce but qu’a été achevé, fin 2018, le complexe Yamal LNG, situé dans la péninsule de Yamal, en Sibérie occidentale. La zone cible renfermerait 20 % des réserves mondiales de gaz et de pétrole. Le développement de la région implique de même la mise en valeur des gisements de charbon de la péninsule voisine de Taïmyr, ceux de pétrole de Payakha ainsi que la construction d’un oléoduc reliant le gisement de Vankor au nord.
Novatek, qui gère Yamal GNL, prévoit aussi la construction d’Arctic GNL 2, à 30 km du premier site. Ainsi, la stratégie de Moscou semble consister à favoriser l’émergence de spécialisations gazières : Gazprom pour le gaz et Novatek pour le GNL, notamment afin de contourner les lois antimonopoles de l’UE. Gazprom se tourne de même vers la Chine. Avec la mise en place du gazoduc « Pouvoir de Sibérie », qui sera notamment fourni par les champs de Chayandinskoye et de Kovyktinskoye (à partir de 2023 pour ce dernier), situés respectivement dans la République de Sakha et dans l’Oblast d’Irkoutsk, la Russie livrera 38 milliards de mètres cubes par an à la Chine. Suffisant pour rester une grande puissance énergétique ?