En photo : le général Prayuth Chan-o-cha, Premier Ministre actuel de la Thaïlande.
Les premières élections législatives thaïlandaises, depuis le coup d’État de la junte militaire en 2014, se tiendront le 24 mars 2019. Une échéance attendue mais longtemps repoussée. Bien que la perspective d’un retour à un système législatif bicaméral par le biais des urnes semble prometteuse, le balisage effectué par le gouvernement et les conditions de campagne viennent contrecarrer ces espoirs.
La Commission électorale thaïlandaise a arrêté, le 23 janvier 2019, la date du 24 mars prochain pour la tenue d’élections législatives. La seconde économie de l’ASEAN, après presque cinq ans de junte militaire imposée, va voir sa Chambre des Représentants reformée. Celle-ci avait été supprimée suite au coup d’État de 2014, et remplacée par un système législatif unicaméral : l’Assemblée nationale législative, dont les 250 membres étaient nommés par le NCPO (National Council for Peace and Order), soit la junte militaire au pouvoir.
La Thaïlande, une histoire d’armée et de monarques
Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, pas moins de dix huit coups d’État ont frappé la Thaïlande. Douze ont été menés avec succès. Le dernier, datant de mai 2014, a vu le général Prayuth Chan-o-cha devenir Premier Ministre. La force de la junte militaire est sa légitimité au regard de son soutien monarchique. La famille royale représente un atout politique de par son aura au sein de la population, mais également une puissance économique colossale – environ 22 milliards d’euros[1]. Le père et prédécesseur du roi actuel Vajiralongkorn, Bhumibol Adulyadej, figurait particulièrement ce lien entre élite militaire et monarchie. Son règne, le plus long de l’histoire de la Thaïlande, en avait fait un roi synonyme de stabilité. Cependant, il avait également entériné les putschs de l’armée. Ainsi, son image de socle fédérateur de tous les Thaïlandais avait été fragilisée auprès des militants pro-démocratiques.
Cette proximité entre junte et monarchie sert les intérêts des militaires qui se posent en gardiens de l’unité nationale. Ces derniers dessinent une armée, un système monarchique comme garants de l’indépendance du peuple, la Thaïlande étant le seul pays de l’Asie du sud-est à ne pas avoir été colonisé.
Une nouvelle Constitution pour la Thaïlande, de nouveaux pouvoirs pour la junte
La mort de Bhumibol Adulyadej, en octobre 2016, a remis en perspective ce lien militaire-monarchie. Vajiralongkorn, qui sera couronné le 4 mai 2019, n’a pour l’instant ni le prestige, ni la popularité de son père. Depuis son accession au trône, son image est cependant en voie d’amélioration[2], mais pas nécessairement au profit de la junte. Il avait surpris cette dernière en requérant, en 2017, des révisions de la nouvelle Constitution rédigée par le gouvernement. Révisions qui ont modifié le rapport de force armée – monarchie à l’avantage du pouvoir royal. Le gouvernement de Prayuth Chan-o-cha a dû accepter ces requêtes sans véritable marge de manœuvre, le texte ne pouvant entrer en vigueur sans signature du monarque[3].
La Constitution octroie toutefois un pouvoir accru à l’armée, tout en la légitimant de manière durable. Désormais, elle est entre autres responsable de la nomination du Sénat. En outre, un non-député – tel le général Prayuth Chan-o-cha – peut dorénavant devenir Premier Ministre en cas d’absence de candidat non manifestement présenté[4]. Une condition qui demeure vague et sujette à interprétations diverses.
De plus, le Sénat est maintenant en droit de participer à la nomination du chef du gouvernement. Les 500 membres élus de la Chambre basse, dans un vote à la majorité simple, avaient jusqu’ici le privilège de cette fonction. Via les changements apportés par la dernière Constitution, si les 250 sénateurs devaient voter pour le général Prayuth Chan-o-cha, l’homme n’aurait besoin que d’un quart des votes de la Chambre basse pour être désigné (126 membres sur 500)[5]. Ainsi, le leader de l’actuel gouvernement s’offre une voie de maintien au pouvoir. La population perd quant à elle un pouvoir important à travers ses représentants.
Que peut attendre la Thaïlande de ces élections ?
Quels enjeux sont en présence pour ces prochaines élections législatives ? La question de la nature du prochain régime gouvernemental se pose, rien de moins. La monarchie constitutionnelle thaïlandaise verra-t-elle l’émergence d’un système démocratique, ou la prolongation d’un système autoritaire ? Parmi les partis d’opposition, se trouvent Phak Anathot Mai (traduit par “Future Forward” ou “En avant pour l’avenir”, un parti qui se définit comme social-démocrate) et Pheu Thai (parti populiste fondé par Thaksin Shinawatra, ancien Premier Ministre renversé par le coup d’État de 2006). Seulement, même en cas de victoire, le spectre d’un nouveau coup d’État continuera de planer.
En parallèle, la nouvelle Constitution permet à la junte de conserver un fort ascendant sur le pouvoir, quelle que soit l’issue du scrutin de mars. Les campagnes électorales ont seulement été autorisées par la Commission en décembre 2018. Un délai des plus courts, qui altèrera indubitablement les chances des partis d’opposition de véritablement présenter leur programme et de convaincre. La junte militaire a ainsi sécurisé, en presque cinq ans de pouvoir, le chemin vers les urnes. Le gouvernement actuel a donc de grandes chances de se maintenir. Ce chemin n’est pas exempt d’ornières pour autant. La proximité de la junte avec la monarchie, et ainsi sa légitimité, se fragilisent et dépendront de la politique du nouveau monarque.
Jessy Périé
Source : Les Yeux du Monde
Notes :
[1] CAMROUX David, « Douzième coup d’Etat en Thaïlande », Le Monde diplomatique, juillet 2014, p. 16.
[2] PERELMAN Rémi, « Thaïlande. Elections 2019, incertitude totale », Lettre confidentielle Asie21 – Futuribles n°122, novembre 2018.
[3] STRECKFUSS David, « In Thailand, a King’s coup ? », The New York Times, 9 avril 2017.
[4] Op. cit. CAMROUX David.
[5] KENDALL Dave, « Explainer : the appointed Senate », The Bangkok Post, 28 janvier 2019.