Espagne : le parti socialiste a connu une très lourde défaite électorale, perdant de nombreuses régions historiques. Le Premier ministre Pedro Sanchez a annoncé des élections législatives anticipées pour le 23 juillet.
Le dimanche 28 mai au soir, la fête battait son plein devant le siège national du Parti populaire (droite classique), rue de Gênes, à Madrid. Pour son premier test d’ampleur nationale, le nouveau président de la formation, Alberto Núñez Feijóo, avait de quoi se réjouir. En effet, avec environ 800 000 voix d’avance au niveau national sur le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), son principal concurrent, il venait de gagner les élections municipales outre-Pyrénées.
Euphorie à droite
À l’échelle régionale, le constat était aussi brillant : en tête dans sept communautés autonomes, la formation démocrate-chrétienne était bien placée pour gouverner dans neuf d’entre elles grâce au soutien de la droite « radicale » de Vox.
À Ceuta et Melilla, les deux villes espagnoles enclavées dans le nord du Maroc, la droite l’emportait nettement et le PP se payait même le luxe d’obtenir la majorité absolue dans la seconde. Le scandale d’achats de votes par correspondance qui secoue cette cité sur les rives de la mer Méditerranée a probablement pénalisé la gauche…
Le PSOE limite la casse mais ses alliés dévissent
Paradoxalement, le désastre socialiste semble très mesuré si l’on ne considère que le nombre de bulletins glissés dans les urnes en faveur du parti social-démocrate. Par rapport au scrutin de 2019, les partisans du président du gouvernement Pedro Sánchez ne perdent « que » 430 000 voix environ. Pourtant, il convient de nuancer ce constat car le Parti populaire progresse de plus d’un million huit cent mille bulletins en quatre ans.
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Les populares absorbent ainsi l’essentiel de l’électorat qui se portait jadis sur le centre libéral de Citoyens (Cs). La formation orange, qui était considérée en son temps comme l’avenir de la droite, s’effondre complètement. Même la première adjointe au maire de Madrid, Begoña Villacís, qui devait pouvoir maintenir quelques sièges dans la capitale en raison de sa très bonne image, y perd tous ses élus. La porte-parole de Cs, Patricia Guasp, qui briguait la présidence des îles Baléares, ne peut retenir aucun des cinq sièges obtenus il y a quatre ans. Un véritable camouflet.
C’est surtout l’affaissement de la gauche « radicale » qui empêche le PSOE de maintenir les fiefs conquis en 2015 ou 2019. Sur les 47 députés régionaux dont disposait Unidas Podemos à l’ouverture des bureaux de vote, il ne lui en reste désormais plus que 15.
Par ailleurs, c’est surtout l’affaissement de la gauche « radicale » qui empêche le PSOE de maintenir les fiefs conquis en 2015 ou 2019. Sur les 47 députés régionaux dont disposait Unidas Podemos à l’ouverture des bureaux de vote, il ne lui en reste désormais plus que 15. Son nombre de sièges au Parlement régional aragonais est divisé par cinq tandis qu’il passe de six à un seul dans les Baléares. Dans la Communauté de Madrid, la formation que dirigeait Pablo Iglesias jusqu’en 2021 sombre corps et biens, tout comme au conseil municipal de la capitale. Les régionalistes de Compromís, partenaires traditionnels d’Unidas Podemos, reculent dans la Communauté de Valence et dans sa capitale. À Cadix, autre « mairie du changement » emblématique pour la gauche « radicale », l’alliance des socialistes et de la liste locale Adelante Izquierda Gaditana manque le pouvoir d’un siège.
L’hôtel de ville de Barcelone, pour sa part, devrait voir un changement de locataire. La liste de gauche Barcelone en Commun, emmenée par Ada Colau, passe de la deuxième à la troisième position et perd un conseiller municipal. La droite indépendantiste de Xavier Trias arrive en tête et, même dans l’hypothèse où la gauche conclurait un pacte de gouvernement, c’est normalement le socialiste Jaume Collboni qui deviendrait maire.
Ce recul généralisé constitue également un revers pour la communiste Yolanda Díaz, deuxième vice-présidente du gouvernement central. Elle avait lancé cette année sa nouvelle coalition de gauche « radicale », baptisée Sumar, qui s’appuyait sur plusieurs formations locales à Madrid, Valence ou encore Ceuta. Son objectif était de marginaliser Podemos à la gauche du PSOE et de servir d’appui aux socialistes afin que ces derniers puissent rester au pouvoir. Or, ses résultats sont pour le moins contrastés. Certes, dans la Communauté de Madrid, Mónica García, de Más Madrid, parvient à conserver sa place de premier opposant au Parti populaire en gagnant trois sièges. Toutefois, au conseil municipal de la capitale, Rita Maestre (de la même formation, qui soutient l’initiative Sumar) laisse filer sept sièges pour finir deuxième.
La Catalogne et la Galice sont d’ailleurs les deux seules communautés autonomes où le PSOE enregistre de bons résultats municipaux[1]. Les socialistes ont des chances de gouverner non seulement Barcelone mais aussi les trois autres capitales de province catalanes (Tarragone, Lérida et Gérone). De son côté, la région galicienne devrait leur offrir des communes importantes comme La Corogne, Vigo, Saint-Jacques-de-Compostelle ou encore Lugo. La droite se partage les restes – essentiellement Orense et Ferrol.
Le Parti populaire domine presque partout
Ailleurs, la défaite des listes soutenues par Pedro Sánchez est cuisante. Au niveau régional, la très emblématique Isabel Díaz Ayuso, figure de proue du Parti populaire, obtient la majorité absolue dans la Communauté de Madrid avec 71 sièges sur 135.
Le PP devrait également reprendre l’Aragon (35 élus sur 67 en coalition avec Vox) et la Communauté de Valence (53 sur 99 en alliance avec la droite « radicale »), renvoyant respectivement les socialistes Javier Lambán et Ximo Puig dans l’opposition.
Dans les îles Baléares, Francina Armengol, qui avait pu l’emporter pour le PSOE en 2015 et 2019, est impuissante face à l’avancée du PP et de Vox. Ces derniers cumulent 33 sièges sur 59 au Parlement régional. Margalida Prohens (Parti populaire) devrait donc lui succéder au Consulat de la Mer, siège de la présidence régionale.
Longtemps dirigée par la droite, la modeste communauté autonome de La Rioja était passée à gauche en 2019, à la faveur d’un pacte entre Concha Andreu (PSOE) et Unidas Podemos. Cette fois-ci, les sociaux-démocrates n’ont rien pu faire pour contenir ce que d’aucuns qualifient de « tsunami bleu ». Les conservateurs y emportent en effet la majorité absolue (17 élus sur 33).
En Cantabrie, où les socialistes gouvernaient en coalition avec le Parti régionaliste de Cantabrie (PRC), le bloc de droite obtient 19 sièges sur 35. Par conséquent, María Sáenz de Buruaga (PP) devrait succéder à Miguel Ángel Revilla à la présidence.
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Dans les îles Canaries, le social-démocrate Ángel Víctor Torres sauve la première place mais perd des plumes dans l’opération. Toute majorité à gauche devient quasi impossible et les régionalistes de la Coalition canarienne (CC) reviendront probablement au pouvoir, soutenus par le Parti populaire.
La Région de Murcie, traditionnellement ancrée à droite, voit un autre reflux de la gauche. Pour leur part, PP et Vox cumulent 30 sièges sur les 45 du Parlement régional.
Plus surprenant est le résultat en Estrémadure, fief historique du PSOE. À l’issue d’une très longue nuit de dépouillement, le socialiste Guillermo Fernández Vara fait jeu égal avec la conservatrice María Guardiola à 28 sièges. C’est le bon résultat de Vox (5 élus au total) qui doit permettre à la droite d’obtenir la majorité, dans une communauté autonome naguère acquise à la gauche.
Ainsi donc, les socialistes ne maintiennent le pouvoir qu’en Castille-La Manche (où Emiliano García-Page a dû attendre des heures avant d’être assuré de sa continuité), dans la Principauté des Asturies (où il faudra gouverner en coalition avec la gauche « radicale ») et en Navarre (où les pactes seront complexes à sceller).
Dans cette dernière région, la poussée des indépendantistes basques de Bildu va être un casse-tête pour le PSOE. Façade politique plus ou moins assumée de la défunte ETA, la formation a défrayé la chronique ces dernières semaines. Elle a en effet présenté aux élections municipales une quarantaine de candidats condamnés il y a plusieurs années pour des faits de terrorisme. Toute alliance trop nette des socialistes avec Bildu serait donc très gênante.
La vague bleue se confirme aux élections municipales
Au niveau municipal, la poussée de ces mêmes indépendantistes se vérifier un peu partout, notamment à Pampelune (Navarre) et Vitoria (Pays basque). Malgré tout, le Parti nationaliste basque (PNV) devrait rester au pouvoir à Bilbao et Saint-Sébastien.
Dans presque tout le reste de l’Espagne, la droite l’emporte nettement. La majorité absolue du maire sortant de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (PP), est d’autant plus éclatante qu’elle était loin d’être certaine. Le Parti populaire s’impose dans plusieurs communes de l’ancienne « ceinture rouge » de la capitale, à l’instar de Móstoles, Arganda del Rey, Torrejón de Ardoz ou encore Leganés. À Alcalá de Henares (troisième ville la plus peuplée de la Communauté de Madrid), le bloc de droite s’assure aussi le gouvernement.
Au-delà de l’aire urbaine madrilène, le Parti populaire dirigera Valence, Cadix, Málaga et Grenade. De nombreuses autres communes importantes sont à porter au crédit du Parti populaire, assez souvent en coalition avec Vox ou des régionalistes : Castellón de la Plana, Séville, Murcie, Palma de Majorque, Badalone, Alicante, Valladolid, Burgos, Ségovie, Cordoue, Huelva, Marbella, Estepona, Almería, Guadalajara, Salamanque, Elche, Jerez de la Frontera, Cáceres, Badajoz, Tolède, Ciudad Real, Albacete, Saragosse, Huesca, Teruel, Oviedo, Gijón, Logroño, Carthagène, Ibiza, etc.
À Santa Cruz de Ténérife, le PSOE est arrivé en tête mais devrait perdre le pouvoir. À Las Palmas de Grande Canarie, en revanche, l’ancienne ministre socialiste Carolina Darias réussit son pari et deviendra très certainement maire.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser.
Les leçons nationales : de l’essor de Vox aux élections générales anticipées
Notons que le panorama municipal et régional espagnol marque également une nette avancée de Vox. La formation de droite « radicale » oublie ainsi son demi-échec au scrutin andalou de 2022, multiplie par trois son nombre de conseillers municipaux dans l’ensemble de l’Espagne et sera décisive dans le basculement de six communautés autonomes.
Les intentions du président de ce parti, Santiago Abascal, sont claires : entrer dans l’exécutif d’un maximum de régions et dans le conseil municipal du plus de villes possibles. S’il veut transformer l’essai, le PP pourra difficilement le lui refuser.Le président du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, peut cependant savourer sa victoire, la première pour sa formation au niveau national depuis 2018. Il s’était investi tout autant que Pedro Sánchez dans un scrutin dont les conséquences nationales sont évidentes.
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Frappé de plein fouet par la déroute, le chef de l’exécutif a d’ailleurs annoncé la dissolution anticipée du Parlement national. Les prochaines élections générales espagnoles se tiendront donc le 23 juillet prochain. Seul l’avenir nous dira si le bloc de droite peut rééditer sa victoire du 28 mai mais il semble bien parti.
[1] Ces deux communautés autonomes ont un calendrier électoral propre et ne votaient pas pour renouveler leur Parlement ce dimanche (tout comme le Pays basque, l’Andalousie ainsi que la Castille-et-León).