En Corse, des chants entre sacré et profane

14 décembre 2024

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Photo : La Corse, l'île de beauté. (c) Unsplash

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En Corse, des chants entre sacré et profane

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La Corse est l’un des rares territoires français à disposer d’un répertoire de chants qui s’inscrivent dans l’histoire et qui sont toujours en usage. Des chants qui mêlent le sacré et le profane et qui seront à l’honneur pour la visite du pape.

La Corse est une terre d’histoire et de traditions, qui s’exercent notamment dans les chants. La visite du pape le dimanche 15 décembre le démontre une nouvelle fois.

Le pape François se rend en Corse pour participer à un colloque sur la piété populaire en Méditerranée. Un élément central de cette piété populaire réside dans les chants, qu’ils soient religieux ou profanes, transmis à travers les générations et chantés par tous les Corses. Des chants qui seront mis à l’honneur durant la messe, témoignant de la grande diversité du patrimoine corse. Ces chants accompagnent les messes, les grands événements familiaux, comme les mariages et les baptêmes, mais aussi la vie quotidienne. La tradition en est gardée et transmise par les confréries, mais aussi par de nombreux chœurs, essentiellement masculins, et par les familles. Un aperçu de cette richesse musicale sera donné le 15 décembre lors de la visite du pape.

Les chants populaires sont l’histoire et la vie quotidienne des Corses

Premier chant à être interprété, Terra Corsa de Patrick Fiori. Chant contemporain en hommage à la terre corse, Terra Corsa s’inspire des harmoniques traditionnelles et de la maitrise a capella des chants corses. Ce chant profane sera interprété le matin, devant le pape.

Pour la messe, le programme sera d’une grande richesse. La plupart des chants sont des prières classiques de la liturgie romaine, interprétée en latin et en corse, sans instrument et a capella.

Le chant d’entrée de la messe sera interprété par la chorale diocésaine d’Ajaccio, composée de 350 choristes, et dirigé par Jean-Louis Blaineau, chef de chœur du Chœur de Sartène. Fondé en 1995 par Jean-Paul Poletti, composé de six hommes, le Chœur de Sartène a renouvelé l’approche patrimoniale du chant corse. Poletti a effectué de nombreuses recherches dans les archives, les livres liturgiques et les livres de chant pour retrouver la mémoire et l’histoire des chants sacrés, qu’il a associées aux chants profanes. Un travail important a notamment été effectué sur les chants médiévaux franciscains, cette confrérie ayant joué un rôle important dans l’évangélisation de la Corse. Soucieux de la transmission, le Chœur de Sartène participe à la formation des plus jeunes, ainsi qu’à la diffusion du chant corse au-delà de l’île en effectuant de nombreux concerts à travers le monde.

Le Chœur de Sartène peut notamment être découvert lors des Rencontres napoléoniennes co-organisées par Conflits.

L’introït sera interprété en corse par le groupe Chjami Aghjales. Fondé en 1977 à Bastia, ce groupe a participé au renouveau de la culture corse par le chant, en associant de nombreux jeunes hommes des quartiers populaires et en mêlant chants profanes et sacrés. Chjami Aghjales a traduit en corse plusieurs chants révolutionnaires soviétiques et sud-américains, tout en reprenant les classiques de la musique corse. S’inscrivant dans la logique politique tiers-mondiste des années 1970, les Chjami Aghjales ont représenté le nationalisme de gauche, aujourd’hui en perdition en Corse, mais qui a marqué une époque et a structuré les luttes politiques.

U Domu¸ groupe polyphonique associé à la cathédrale d’Ajaccio chantera le kyrie quand l’offertoire sera lui interprété par plus de 1 300 confrères issus de différentes confréries corses. Les confréries jouent un rôle social, culturel et religieux majeur en Corse. Liées à des quartiers et à un ou plusieurs saints patrons, elles s’occupent des personnes fragiles, veillent à l’entretien des églises, à l’organisation des cérémonies comme les enterrements, les communions et les baptêmes. Perçues comme archaïques, elles sont tombées en désuétude dans les années 1970 et ont même parfois été combattues par des prêtres et des évêques au nom de la « modernité ». Conscient de leur rôle essentiel pour la pratique de la foi et de la piété populaire, les confréries sont remises à l’honneur depuis les années 2000 et le cardinal Bustillo en a fait l’un des axes de développement de son épiscopat. Qu’elles participent à la messe du pape sera donc un moment important pour elle, et une publicité pour démontrer à quel point elles sont liées à la vie quotidienne des Corses.

La messe se terminera par l’hymne national corse, le Dio vi salvi Regina. Composé en 1635 par le jésuite François de Geronimo, qui a repris des chants médiévaux du Salve Regina, cet hymne marial a été adopté comme hymne national de la Corse en 1735 après que les Corses se sont révoltés contre la domination génoise. Les insurgés se placèrent sous la protection de la Vierge Marie, chantant cet hymne lorsqu’ils allaient au combat. D’où le fait qu’il soit adopté comme hymne national. Quant à la fête nationale corse, elle fut fixée au 8 décembre, en hommage à l’Immaculée Conception, même si le dogme de l’Immaculée ne fut prononcé qu’un siècle après. Le Dio vi salvi Regina est toujours chanté aujourd’hui, que ce soit lors des compétitions sportives, notamment de football, et des événements familiaux et le 8 décembre est toujours considéré comme la fête nationale corse. Que la messe se termine par ce chant illustre les liens qui existent entre sacré et profane et l’imprégnation catholique de la terre corse.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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