Élections régionales en Castille-et-León : la droite majoritaire, Vox en faiseur de roi

16 février 2022

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Cortes de la Castille et Léon. c : CC BY SA 4.0

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Élections régionales en Castille-et-León : la droite majoritaire, Vox en faiseur de roi

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Communauté autonome la plus vaste d’Espagne avec 94 000 kilomètres carrés (soit plus que neuf pays membres de l’Union européenne), la Castille-et-León est une terre de contrastes. Peu densément peuplée (25 habitants au kilomètre carré), elle est marquée par un imaginaire rural. Pourtant, une bonne partie de sa population vit dans les aires urbaines de Valladolid (plus de 400 000 habitants), Burgos, León et Salamanque (environ 200 000 personnes chacune). La droite y a gagné les élections régionales, avec le soutien de Vox. Un prélude à la recomposition politique en Espagne ?

En raison de sa diversité, la région est également traversée par diverses tensions. À titre d’exemple, sur ses neuf provinces, les trois situés à l’ouest (León, Zamora et Salamanque) sont agitées par des revendications d’autonomie propre, puisque certains voudraient les voir former une région administrative (le León) à part entière.

Un pari qui semblait gagnant… mais qui devient risqué

De tradition conservatrice, l’autonomie a porté au pouvoir régional le Parti populaire (PP, droite classique) dès 1987, en la personne de José María Aznar, futur président du gouvernement espagnol. Pourtant, lors des élections régionales de 2019, c’est le Parti socialiste ouvrier espagnol, emporté par Luis Tudanca, qui arrive en tête. Ce n’est qu’à la faveur d’un pacte avec les centristes de Citoyens (Cs) et la droite « radicale » de Vox que le PP, dont la tête de liste est Alfonso Fernández Mañueco, se maintient à la tête du gouvernement castillan (qui siège à Valladolid). Durant plus de deux ans, les relations entre Fernández Mañueco et ses alliés de Cs (en particulier, son vice-président, Francisco Igea) connaissent des hauts et des bas. À intervalle régulier, les conservateurs craignent en effet que les centristes ne finissent par choisir une alliance avec les socialistes afin de renverser l’exécutif en place dans le cadre d’une motion de censure. En mars 2021, Tudanca tente sa chance dans ce sens, mais n’est pas soutenu par Citoyens.

Malgré tout, la méfiance perdure du côté du Parti populaire, qui annonce fin décembre 2021, par la voix d’Alfonso Fernández Mañueco, la dissolution anticipée du Parlement régional. L’objectif est clair : gouverner en solitaire en se débarrassant des centristes le 13 février suivant. Cela reviendrait à imiter le mouvement qui a mené la présidente régionale madrilène, Isabel Díaz Ayuso (PP), à une large victoire au scrutin anticipé de sa propre communauté autonome en mai 2021[1]. Lorsque cette manœuvre est rendue publique, le Parti populaire frôle la majorité absolue (fixée à 41 sièges) dans les sondages. Un soutien sans participation de Vox semble donc suffisant.

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Fernández Mañueco a bien pris note de ce qui a fait le succès de Díaz Ayuso : peu de restrictions dans le cadre de la pandémie de Covid-19, une campagne à visée nationale (dans laquelle il se pose en rempart contre un « communisme » incarné par le PSOE et Podemos) et un rejet de toutes les propositions venues du gouvernement central. C’est ainsi qu’il tente de se servir de la polémique lancée par le ministre de la Consommation, Alberto Garzón, qui critique les fermes d’élevage massives qui caractérisent, entre autres régions, la Castille-et-León. S’ériger en défenseur d’un mode de vie rural traditionnel contre les « bobos » de Madrid, voilà qui semble payant.

Pourtant, plus le temps passe, plus la campagne devient compliquée pour Fernández Mañueco, lequel ne cesse de baisser dans les sondages. Lorsque les dernières enquêtes d’opinion arrivent, le lundi 7 février 2022, le PP n’est plus qu’à 33 ou 34 sièges, voyant Vox le menacer sur sa droite. Effectivement, certains sondeurs promettent à sa tête de liste, le jeune Juan García-Gallardo, jusqu’à 12 ou 13 élus dans les Cortes régionales. La gauche commence à croire qu’une victoire-surprise serait possible sur ces terres conservatrices, plus préoccupées par des enjeux locaux (déclin démographique, crise de l’industrie automobile, transformations du modèle agricole, etc.) que nationaux. En catastrophe, le Parti populaire mobilise ses poids lourds, à commencer par son président, Pablo Casado, et par la très populaire Isabel Díaz Ayuso. Il faut mobiliser l’électeur conservateur, qui semble peu enclin à se déplacer dans les bureaux de vote, pour éviter un fiasco aux proportions incalculables.

Les stratèges estiment en effet que, si la participation est faible, le PSOE et Podemos pourraient réaliser un score intéressant. Il se cumulerait alors à celui de formations provinciales, comme l’Union du Peuple léonais (UPL). Quant à Citoyens, sa tête de liste, Francisco Igea, annonce la couleur. Certes, il n’est pas opposé à un soutien à un nouveau gouvernement de droite, mais, s’il obtient des élus et que ces derniers s’avèrent décisifs, il exigera la tête d’Alfonso Fernández Mañueco. Il considère effectivement que la dissolution du Parlement de Valladolid est une trahison en règle.

S’ajoute à ce panorama le surgissement des plateformes de « l’Espagne vide » (España vacía), comme Zamora Decide, Soria ¡Ya! ou Vía Burgalesa. Il s’agit de regroupements électoraux provinciaux qui veulent faire entendre la voie de zones rurales délaissées, à l’avenir démographique et économique incertain, où les besoins de base (infrastructures, services publics, etc.) ne sont que peu assurés. De telles formations entendent profiter du succès de leur prédécesseur, Teruel Existe, qui représente la province éponyme du sud de l’Aragon et a obtenu un député ainsi que deux sénateurs aux élections générales de novembre 2019. De fait, son seul élu à la chambre basse, Tomás Guitarte, a monnayé son soutien à Pedro Sánchez lors de la séance d’investiture du président du gouvernement, en janvier 2020.

Or, le Parti populaire craint qu’un bon résultat de telles plateformes en Castille-et-León ne lui barre la route de la présidence en cas d’égalité entre bloc de gauche et bloc de droite. Rien ne dit qu’elles ne cèderaient pas aux promesses de Luis Tudanca.

Défaite finale de la gauche… et victoire paradoxale de la droite

Finalement, il y aura eu plus de peur que de mal pour la droite, qui parvient à conserver sa majorité absolue. En effet, à plus 99 % des bulletins dépouillés, les socialistes perdent plus de 110 000 voix et sept sièges. Ils descendent ainsi à 28 élus régionaux. De son côté, la coalition de gauche « radicale » entre Podemos et la Gauche unie fait moins bien (1 siège et environ 60 000 bulletins) qu’en 2019, lorsque les deux formations s’étaient présentées séparément (2 sièges et 100 000 voix). De son côté, Citoyens (Cs) confirme sa quasi-disparition, puisqu’il ne conserve qu’un seul député dans la région (contre 12 il y a près de trois ans).

Parmi les gagnants de la soirée, l’on notera la bonne performance de l’Union du Peuple léonais, qui multiplie ses sièges par trois – elle n’en avait qu’un dans l’Assemblée sortante – mais aussi de Soria ¡Ya !. Cette formation fait le plein dans sa province avec trois élus. Por Ávila (XAV), qui proposait des bulletins dans la province éponyme, maintient son seul député aux Cortes de Valladolid.

Sur les 81 sièges que comprend l’Assemblée, Parti populaire et Vox en remportent 44, soit une majorité absolue indiscutable. Mais là où le bât blesse pour la droite classique, c’est que sa progression est minime par rapport à 2019 (seulement 2 élus de plus). C’est au contraire Vox qui fait une bonne affaire, passant de 5,5 % à 17,6 % des voix, soit une augmentation de 12 députés (il en avait obtenu 1 en 2019).

En d’autres termes, si Alfonso Fernández Mañueco et Pablo Casado ont sauvé les meubles, ils ont échoué à progresser comme ils l’avaient espéré et payent une plus faible mobilisation qu’il y a trois ans environ. La participation s’établit en effet à environ 63,4 % cette année, contre plus de 65,5 % lors du précédent scrutin.

Les facteurs de ce semi-échec sont multiples : campagne chaotique, candidat sans charisme, président de parti qui peine à convaincre et stratégie illisible à l’égard de Vox. Convient-il en effet de favoriser une alliance de droite plus poussée que celle qui existe jusqu’à présent ou, au contraire, de chercher à séduire le centre ? Le Parti populaire ne parvient pas à se décider.

D’un côté, le secrétaire général du PP, Teodoro García Egea (qui a validé la dissolution des Cortes de Valladolid par Alfonso Fernández Mañueco), cherche à asseoir son autorité et à se rendre indispensable auprès du président, Pablo Casado. Or, sa vision, qui passe par un affrontement avec Vox, n’a pas produit de bons résultats ce 13 février. De l’autre, toute une frange de l’électorat du Parti populaire ainsi que certains de ses barons (au premier rang desquels Isabel Díaz Ayuso) demandent un rapprochement avec Vox. Ce parti soutient pour le moment les populares dans plusieurs communautés autonomes et municipalités d’importance (dont Madrid), mais sans participer au gouvernement.

Et maintenant ?

Dorénavant, le parti de Santiago Abascal veut par conséquent aller plus loin et faire son entrée dans un nouvel exécutif présidé par Fernández Mañueco afin d’imposer une partie de son programme. Et le PP n’a que deux choix crédibles :

  • aller dans ce sens ;
  • tenter une grande coalition avec les socialistes ou obtenir leur neutralité durant les quatre années de la législature.

La seconde solution semble très peu probable, en tout cas à l’heure actuelle, au vu de la haine inexpiable que se vouent gauche et droite outre-Pyrénées. Et, hormis le pacte avec Vox, aucune autre voie n’est mathématiquement viable. PP et Vox parviendront certainement à s’entendre car les populares auraient trop à perdre à forcer un nouveau scrutin. Néanmoins, les tractations seront rudes dans les jours à venir, d’autant que la croissance de Vox ne semble pas vouée à s’étioler. Une véritable recomposition de la droite paraît donc s’opérer en Espagne.

La gauche tentera assurément d’en tirer parti pour mobiliser ses électeurs face à un éventuel « danger fasciste ». La rhétorique sera sans nul doute utilisée à profusion lors des élections régionales andalouses, qui auront lieu au plus tard en décembre 2022. En 2018, la droite l’emportait pour la première fois en Andalousie, permettant à Juan Manuel Moreno (PP), personnalité modérée, de devenir président de la communauté autonome avec le soutien de Cs et Vox. Mais si ce dernier devient indispensable au chef de l’exécutif sévillan dans les sondages, PSOE et Podemos ne manqueront pas d’expliquer qu’il faut agir pour empêcher la formation d’Abascal de gagner en force dans une autre région.

Cela suffira-t-il ? Réponse au prochain épisode.

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[1] Nicolas Klein, « Élections régionales : la droite festoie à Madrid », Conflits, 5 mai 2021 (https://www.revueconflits.com/elections-regionales-la-droite-festoie-a-madrid/).

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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