Élections régionales au Pays basque : le suspense à son comble

22 avril 2024

Temps de lecture : 9 minutes

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Élections régionales au Pays basque : le suspense à son comble

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Le Parti nationaliste basque (PNV) est au coude-à-coude avec la gauche radicale de Bildu. Dans ces élections serrées, le PSOE sera l’arbitre de la coalition. Mais les résultats du Pays basque entraîneront aussi des répercussions au niveau national et fragilisent la stratégie politique de Pedro Sanchez.  

L’année 2024 est rythmée en Espagne par un nouveau cycle électoral qui a débuté le 18 février dernier en Galice. Dans cette région de l’extrémité nord-ouest du pays au caractère celtique prononcé, c’est la droite classique du Parti populaire (PP) qui l’a de nouveau emporté, signant sa cinquième majorité absolue de suite. C’est ce qui a assuré au président sortant, le conservateur Alfonso Rueda, quatre ans de plus au pouvoir, renforçant au passage le pouvoir du dirigeant national du PP, Alberto Núñez Feijóo.

La longue domination du PNV

Tout comme le scrutin galicien, les élections régionales basques du dimanche 21 avril se sont déroulées avant la fin effective de la législature, puisqu’elles auraient dû se tenir en juillet. L’annonce de la dissolution (légèrement) anticipée a été faite par le lehendakari (chef du gouvernement régional) sortant, Íñigo Urkullu, du Parti nationaliste basque (PNV), en février dernier. Il a d’ailleurs confirmé à cette occasion qu’il ne se présenterait pas à sa propre succession, sa formation ayant décidé de le remplacer par Imanol Pradales, probablement car ce dernier présente un visage rajeuni (il est né en 1975, alors qu’Urkullu est de 1961).

Élu en 2012 puis réélu en 2016 et 2020, Íñigo Urkullu a marqué une forme de continuité dans une communauté autonome espagnole caractérisée par l’hégémonie de son parti. Depuis 1980, cette formation de centre-droit, officiellement séparatiste, mais régionaliste dans la pratique, a presque toujours gouverné le Pays basque avec les dirigeants suivants :

Carlos Garaikoetxea (1980-1985) ;

José Antonio Ardanza (1985-1999) ;

Juan José Ibarretxe (1999-2009) ;

Íñigo Urkullu (2012-2024).

Seule la législature débutée en 2009 a vu un candidat issu d’un autre secteur politique s’imposer en la personne du social-démocrate Patxi López. Bien qu’arrivé en deuxième position, le Parti socialiste ouvrier espagnol a pu former durant trois un ans un pacte majoritaire (39 sièges sur 75) avec le PP et les centristes d’Union, Progrès et Démocratie (UPyD).

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Historique du PNV

L’identification du PNV avec le Pays basque est aussi forte que celle du Parti populaire avec la Galice. De fait, les deux constituent des formations modérément conservatrices, attachées à l’autonomie régionale et désireuses d’accroître les compétences de leur communauté autonome. Fondé en 1895 par Sabino Arana (considéré comme le « père » du nationalisme basque), le PNV a progressivement évolué vers le centre, particulièrement au cours des deux dernières décennies, sans jamais se défaire pleinement de ses références originelles. C’est de cette base historique que lui viennent son slogan (« Dieu et la vieille loi »), ses symboles, une partie de ses idées, mais aussi des prises de position plus polémiques. Les débats n’ont effectivement jamais manqué concernant sa vision de la place de la femme dans la société ou des Basques originaires d’autres régions d’Espagne. Son exaltation de la figure d’Arana, ouvertement misogyne et xénophobe, n’a d’ailleurs jamais véritablement fait l’objet d’une révision ou d’une autocritique.

Tout comme la Navarre, le Pays basque bénéficie d’un « concert économique » (concierto económico) consacré par la Constitution espagnole de 1978 et le statut d’autonomie de Guernica de 1979. Ce système fiscal, avantageux pour la région, mais contraire à l’égalité entre Espagnols, est régulièrement renégocié avec les autorités de Madrid. Il permet aux trois provinces basques (Alava, Biscaye et Guipuscoa) de collecter le fruit d’un grand nombre d’impôts et de taxes. Il en cède ensuite une part à l’État central espagnol en fonction d’accords bilatéraux, dans l’esprit des privilèges médiévaux (les fors ou fueros) que la Couronne de Castille, dont lesdites provinces faisaient partie, leur avait accordés.

Cet état de fait permet au Pays basque de jouir de l’une des meilleures situations économiques d’Espagne, avec un taux de chômage faible (6,3 % de la population active au quatrième trimestre 2023), une industrie dynamique bien que menacée et le deuxième PIB par habitant du pays (35 832 euros en 2022), derrière la Communauté de Madrid. Même si elle est mise en danger par un déclin démographique de plus en plus prononcé, cette réussite économique fait partie d’une identité régionale que le PNV aime cultiver afin d’apparaître comme le meilleur défenseur des intérêts basques à Madrid.

Une telle identité s’appuie bien évidemment aussi sur une histoire particulière (intimement liée à la Castille et, partant, à l’Espagne), une langue pratiquée au quotidien dans 13 % des foyers et un patrimoine naturel, artistique et historique remarquables. La baie de Saint-Sébastien, le musée Guggenheim de Bilbao, les pintxos (sortes de tapas faites de tranches de pain et de divers ingrédients reliés par une baguette en bois) ou encore le bon sens du chef d’entreprise : voilà, pour le dire rapidement, quelques-uns des éléments qui permettent d’identifier les provinces basques en Espagne et même à l’étranger.

Tactiques politiques

C’est précisément sur ces traits distinctifs que se fonde le Parti nationaliste basque qui semble avoir bien analysé les tensions indépendantistes catalanes depuis 2012. Comprenant la nature des problèmes rencontrés par la Généralité de Catalogne (et toute la communauté autonome) dans son bras de fer avec l’État espagnol, le lehendakari préfère opter pour la négociation. Souvent indispensable au Congrès des députés (chambre basse des Cortes, le Parlement national), le PNV sait jouer de sa présence dans toutes les institutions afin d’obtenir aussi bien du PSOE que du PP de nouvelles compétences et davantage de crédits pour sa région. C’est aussi ce qui explique que, depuis 2016, il gouverne en coalition avec les socialistes afin de s’assurer une majorité parlementaire confortable à Vitoria, la capitale régionale. C’est aussi la raison pour laquelle il a choisi, en 2018, d’abandonner les populares de Mariano Rajoy en rase campagne et de soutenir la motion de censure de l’actuel chef de l’exécutif espagnol, Pedro Sánchez. Le Parti nationaliste basque savait en effet que le PSOE était alors plus faible et disposé à lui octroyer plus d’avantages. Il n’a d’ailleurs pas dévié de cette ligne sur les six dernières années.

La menace vient de la gauche

Pourtant, à l’approche des élections d’avril 2024, le PNV n’était pas assuré de rester au pouvoir à Vitoria. Depuis 2012, en effet, la formation indépendantiste de gauche EH Bildu progresse fortement au point d’être devenue le deuxième parti régional. Lors du scrutin du 12 juillet 2020, les jeltzales (nom basque des partisans du PNV) sont certes arrivés en tête avec 31 sièges, mais leurs concurrents de Bildu en ont obtenu 21. Il s’en est fallu de peu pour que l’alliance entre les abertzales (nationalistes basques de gauche), les socialistes (10 élus) et la gauche « radicale » de Podemos (6 députés régionaux) n’atteigne la majorité absolue.

Fondée en 2012, la coalition EH Bildu dispute désormais l’hégémonie du régionalisme au Parti nationaliste basque. Bien plus radicale que lui, elle séduit au sein de la jeunesse et entretient savamment l’ambiguïté dans son rapport à la défunte ETA (1958-2018). Plusieurs anciens membres de l’organisation terroriste sont des membres importants de Bildu, à commencer par son coordinateur général, Arnaldo Otegi. Elle présente fréquemment des personnalités condamnées par la justice pour terrorisme (voire pour crime de sang) par le passé à divers scrutins locaux et lutte ouvertement pour la libération des etarras encore emprisonnés.

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Son rapprochement avec les socialistes est patent aussi bien au niveau national (où les six députés abertzales soutiennent le gouvernement de Pedro Sánchez) que local. Militant pour la sécession des trois provinces du Pays basque espagnol, Bildu est aussi favorable à leur réunion avec la Navarre espagnole et les trois provinces du Pays basque français (Basse-Navarre, Labourd et Soule) afin de constituer une république indépendante. Sa plus grande victoire récente a justement été de conquérir la mairie de Pampelune (capitale navarraise) en décembre 2023 à l’issue d’une motion de censure contre la maire sortante de droite, Cristina Ibarrola, grâce au vote des socialistes.

Le candidat du PNV au poste de lehendakari, Imanol Pradales, savait donc avant le 21 avril qu’une alliance tripartite de gauche entre PSOE, Bildu et Podemos était possible et qu’elle pourrait lui ravir la présidence régionale. Les sondages étaient nombreux à placer Bildu en tête et, quand bien même les abertzales n’arriveraient que deuxième, les jeltzales n’étaient pas assurés de se maintenir.

Il faut dire que la motion de censure à Pampelune et l’attitude générale du PSOE penche plutôt en faveur du candidat de Bildu, Pello Otxandiano, quoi qu’en ait dit la tête de liste sociale-démocrate, Eneko Andueza, durant toute la campagne. La poussée d’EH Bildu est aussi due à un double discours très habile depuis 2018 : d’un côté, la défense à outrance de l’indépendance (souvent en basque) devant des électeurs radicaux déjà conquis ; de l’autre, des discours (plutôt en espagnol) axés sur les inégalités sociales face à des citoyens plus modérés et hésitants. C’est le même type de stratégie qui a permis au Bloc nationaliste galicien (BNG) de connaître un formidable essor ces dernières années dans sa propre communauté autonome.

Un panorama régional et national redessiné ?

En cas de majorité absolue possible à gauche, le choix du PSOE s’annonçait cornélien. Fallait-il poursuivre la coalition avec le Parti nationaliste basque, débutée en 2016, au risque de froisser ses alliés de Bildu ? Ou convenait-il de « changer de monture », ce qui pourrait mettre fin au soutien que le PNV apportait à Pedro Sánchez depuis 2018 ? L’alternative était d’autant plus complexe que les socialistes n’étaient pas en très bonne posture dans les enquêtes d’opinion, qui leur promettaient de passer sous la barre des 10 députés régionaux.

Le scénario dont rêvait le BNG en Galice avant le 18 février dernier (et qui ne s’est finalement pas produit) semblait voué à se répéter : des sociaux-démocrates en pleine déconfiture, vampirisés électoralement par des forces régionalistes, voire sécessionnistes, et condamnés à leur servir de tremplin et de partenaire minoritaire. Quoi qu’il en soit, cette évolution (que tous les observateurs ont signalée) contredit le président du gouvernement espagnol lorsqu’il affirme que la politique d’« apaisement » des tensions régionales par le PSOE éloigne les séparatistes du pouvoir, que ce soit à Vitoria ou à Barcelone. Ce sont les socialistes qui apparaissent de plus en plus comme la « fabrique à indépendantistes », expression qu’ils aiment pourtant utiliser pour discréditer le PP.

De son côté, justement, le Parti populaire est en pleine reconstruction au Pays basque. Ses chances de gouverner la communauté autonome avant le 21 avril étaient proches de zéro, mais il espérait surtout y retrouver des couleurs après des années de déclin. Pour ce faire, sa tête de liste, Javier de Andrés, devait absorber une bonne partie des voix de Vox (qui ne disposait que d’une seule élue, Amaia Martínez Grisaleña, dans le Parlement régional sortant).

Des modulations de campagne

De son côté, au cours de la campagne, le PNV a surtout cherché à mettre en avant son savoir-faire en matière de gestion « responsable » de la communauté autonome, attaquant Bildu sur ce terrain. Consciente des difficultés que doit affronter la région, la formation d’Imanol Pradales a souligné, à l’occasion de l’Aberri Eguna (« Jour de la Patrie », célébration du nationalisme basque, qui se déroule à Pâques tous les ans), que le Pays basque devait être une « nation européenne » et pas « un quartier de banlieue ».

Pour sa part, Bildu a bien constaté que l’indépendantisme était une option de moins en moins plébiscitée par les citoyens basques, lesquels sont désireux de maintenir un statu quo favorable à la région. Seuls 13 % d’entre eux défendent une telle idée, selon une enquête d’opinion élaborée en décembre 2023 par le Deustobarómetro. Les dirigeants de la formation ont donc décidé de remiser au placard le vieux slogan « Indépendance maintenant ! » afin de prôner une Espagne confédérale avec des pouvoirs encore élargis pour les communautés autonomes. Malgré tout, ils n’ont pu échapper aux polémiques autour de leurs liens directs ou indirects avec l’ETA au cours de leurs échanges avec les journalistes ou d’autres formations.

Les semaines qui ont directement précédé le scrutin basque se sont distinguées par un début de campagne poussif, notamment en raison du décès de l’ancien président régional José Antonio Ardanza. Par ailleurs, les réjouissances consécutives à la victoire de l’Athletic Bilbao en finale de Coupe du roi de football (la première pour le club depuis 1984) ont quasiment paralysé le jeu politique en Biscaye, province basque la plus peuplée où cette équipe joue à domicile.

Durant cette période, tous les regards se sont tournés vers les 20 % d’indécis dont l’existence a bien été mise en valeur par les sondages et qui étaient à même de faire basculer le scrutin. L’autre grande inconnue du vote était la province d’Alava, la plus méridionale du Pays basque et celle où le vote anti-indépendantiste est traditionnellement davantage marqué. Plus conservatrice que la Biscaye et le Guipuscoa, cette zone est aussi celle où la droite nationale espagnole enregistre ses meilleurs résultats. Conscient du danger que le Parti populaire pouvait représenter sur place pour obtenir un score suffisant, le PNV est revenu, le temps d’une campagne, à ses anciennes amours de droite afin de séduire un électorat tenté par les populares.

Des résultats très serrés

Il a fallu attendre une heure relativement avancée de la nuit pour avoir de premiers résultats fiables des élections régionales basques de ce 21 avril. Tout au long de la soirée, PNV et Bildu ont joué au chat et à la souris dans le cadre du dépouillement, non pas tant en termes de voix (le Parti nationaliste basque restant nettement devant grâce à la province de Biscaye) que de sièges. La répartition de ces derniers entre les trois provinces permet en effet à la gauche « radicale » séparatiste de disputer à ses grands rivaux de droite la présidence de la communauté autonome tout en obtenant moins de bulletins.

Quoi qu’il en soit, les socialistes décrochent 12 sièges (2 députés de plus qu’en 2020), récoltant les fruits d’une bonne campagne d’Eneko Andueza. Le PSOE reste donc l’arbitre de la lutte électorale et le scénario le plus probable est qu’il offre la possibilité au PNV (27 sièges, quatre de moins que lors de la dernière législature) de rester au pouvoir. Bildu se paye le luxe d’être à égalité avec les jeltzales (27 élus, soit une progression de 6), même si la formation espérait mieux et qu’un tel score ne lui permettra pas de faire élire Pello Otxandiano comme lehendakari. Dans tous les cas, le nationalisme basque atteint son plus haut historique avec 72 % des sièges au Parlement régional.

Quant à la droite nationale espagnole, elle gagne un siège grâce à une légère amélioration du côté du PP (7 élus au lieu de 6) et au maintien de Vox avec son unique député dans la province d’Alava. Pour sa part, la gauche « radicale » dans son ensemble (Sumar et Podemos) s’accroche à un siège, en perdant par conséquent cinq par rapport au scrutin de 2020. Une telle conclusion traduit une faiblesse toujours plus manifeste dans le panorama politique espagnol.

Dans tous les cas, les décomptes de voix sont parfois si proches les uns des autres que nul ne peut écarter la possibilité de nouvelles évolutions avec le dépouillement du vote par correspondance et des électeurs établis à l’étranger.

Ce dénouement plein de suspense n’est pas sans rappeler la mécanique diabolique des alliances de Pedro Sánchez au niveau national. Ayant besoin du soutien de toutes les formations régionales ou presque, le président du gouvernement espagnol ne peut finalement en contrarier aucune et doit constamment marcher sur des œufs. C’est un enseignement également valable en Catalogne, région espagnole qui votera le 12 mai prochain.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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