Municipales 2020 : de surprise en surprise

10 juillet 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Edouard Philippe, ex-premier ministre, élu maire du Havre. (c) robinletellier/SIPA 00971056_000022, 5 juillet 2020

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Municipales 2020 : de surprise en surprise

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Abstention, victoire des verts dans les grandes aires urbaines, défaite cuisante de LREM… Le second tour des élections municipales a apporté son lot d’inattendu et d’imprévu. La crise sanitaire s’en est mêlée, participant à un record historique d’abstention. Cartes rebattues pour 2022 ? Stéphane Baudens, Maître de conférences en Histoire du droit et des institutions, à l’université d’Aix-Marseille, fait le point.


Entretien réalisé par Louis de La Houplière

Conflits : Avec plus de 58% d’abstention par endroits, ces élections municipales battent un triste record. La situation sanitaire a pu démobiliser certains électeurs, mais il y a sûrement d’autres explications à cette situation. Comment expliquez-vous ce taux incroyable d’abstention ?

Incontestablement, la crise du Covid-19 a eu un impact important sur le taux de participation, et donc sur celui d’abstention à ces dernières élections. Si l’on regarde en détail, les retraités, qui considèrent l’acte de voter comme un devoir impérieux, se sont beaucoup plus abstenus que d’ordinaire. S’estimant comme des « personnes à risque », émus et inquiets du contexte sanitaire global, les seniors se sont nettement moins déplacés que lors des précédents scrutins. C’est le cas également des classes populaires. Traditionnellement enclines à l’abstention ou au vote contestataire, elles n’ont pas trouvé d’intérêt ou plus sûrement de candidat(e)s qui, localement, correspondent à leurs aspirations. On peut noter que le contexte national de l’avant second tour, notamment sécuritaire et social (débordements violents en fin de manifestations, questionnements sévères sur le « communautarisme » avec les affaires dites Adama Traoré et de Dijon, ras-le-bol des forces de police, etc.), a, finalement, peu pesé sur la participation. Ces élections relèvent, avant tout, d’enjeux locaux, faut-il le rappeler. Si certains pans du corps électoral se sont encore moins mobilisés qu’à l’accoutumé, d’autres, en revanche, se sont surmobilisés : les cadres supérieurs et les étudiants ou jeunes diplômés des métropoles. Leur vote est toujours aussi cohérent, alliant choix économique et valeurs, mais a évolué, en partie, par rapport à celui de 2017. Nous y reviendrons.

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Conflits : Cette question amène directement à celle-ci. Peut-on parler d’une crise de démocratie sans précédent, à la lumière de ces chiffres ? De fait, quelle vision avons-nous du maire et de son conseil, une instance pourtant appréciée par les Français ?

Cette crise est ancienne, profonde et s’aggrave toujours plus. Jusqu’à présent, les élections municipales, ainsi que l’élection présidentielle, avaient été assez épargnées par le fléau de l’abstention. Par ailleurs, la figure du maire conserve, encore, dans l’imaginaire collectif une image positive, alliant responsabilité, engagement civique et proximité. La plupart des scandales récents d’affairisme et de corruption avaient eu plutôt également une résonance nationale, à une ou deux exceptions près. Néanmoins, de nombreux Français ont constaté, à regret, que leur édile a parfois perdu des moyens, des leviers administratifs et financiers, au profit d’instances délibératives et leur exécutif, de structures intercommunales plus lointaines, récemment créées. Sans doute moins que par le passé, aux yeux de certains de leurs administrés, le maire et son conseil sont-ils en capacité d’agir à leur échelon, directement, pour améliorer leur quotidien.

 

Conflits : La grande surprise de ces élections est la percée fulgurante des écologistes, soutenus par la gauche. Comment expliquer cette vague écologiste dans plusieurs grandes villes françaises ? Les mairies disposent-elles de nombreuses armes pour une lutte écologique efficace ?

Vous conviendrez que les médias mainstream avaient annoncé depuis plusieurs semaines, à grands renforts de reportages, cette percée. Le terme de « vague » me paraît d’ailleurs inapproprié pour qualifier les réussites indéniables de la mouvance écologiste (Lyon, ville et métropole, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Tours, etc.). Peut-être les médias avaient-ils été éclairé par le résultat intéressant d’Europe Écologie Les Verts (EELV) aux élections européennes de 2019 (13,48%), profitant du discours médiatique ambiant, très favorable, et des manifestations lycéennes hebdomadaires en réponse au « défi climatique », galvanisées par la figure juvénile de Greta Thunberg. Lequel résultat sonnait déjà comme un avertissement des évolutions possibles à gauche du paysage politique français. Désormais, l’écologie apparaît pour les forces dites « de gauche », essoufflées politiquement, comme un puissant facteur de (re)mobilisation de leurs clientèles électorales habituelles ainsi que des plus jeunes ou primo-votants très sensibles à ces questions. En quête de voix, beaucoup d’élus ou de candidats socialistes, LFI ou communistes ont ainsi créé ou renforcé dans l’entre-deux-tours des coalitions « arc-en-ciel » ou « éco-citoyennes », avec comme tête de liste parfois une personnalité issue de la nébuleuse écologiste, souvent novice en politique ou cantonnée dans les minorités des conseils municipaux ou communautaires, en mesure d’incarner un renouveau et de séduire les électeurs. Les transformations récentes de la sociologie électorale métropolitaine nous éclairent également. Celles et ceux qui vivent ou peuvent vivre – devrait-on dire, compte tenu de l’évolution des marchés foncier et immobilier -, dans les métropoles mettent en avant régulièrement le souci du bien-être, du développement durable, des circuits courts, du bio, de la qualité de vie et des « mobilités alternatives », de la lutte contre la pollution, etc., parmi les déterminants de leur vote. Autant de sujets où le maire peut prendre un certain nombre de mesures, effectives ou symboliques, à la cantine scolaire ou avec les pistes cyclables, à moindre coût souvent, pour donner satisfaction à ce type d’électeurs CSP+ ou diplômés du supérieur toujours plus nombreux dans les centres urbains ou en petite périphérie. Reconnaissons, toutefois, que les choix majeurs industriels et d’infrastructures de transports, susceptibles d’avoir un impact réel sur l’environnement, échappent en partie aux élus métropolitains.

 

Conflits : Un autre point intéressant est le basculement de Perpignan, grand fief de la famille Alduy, dans les mains de Louis Aliot (RN). Quelle est la portée de cette victoire pour le RN ? Peut-elle inquiéter au plan national ?

La prise de Perpignan, ville de plus de 120 000 habitants, par Louis Aliot est loin d’être un épiphénomène de ces élections. Menée avec un certain brio et du flair politique, sa campagne « dégagiste », capitalisant sur sa fonction de député, mais prenant bien soin de ne pas mettre en avant l’étiquette RN ou le nom de Marine Le Pen, a très bien fonctionné. Cela était particulièrement évident lors de son discours le soir du 28 juin. Le contexte perpignanais si singulier est fondamental dans l’analyse de la victoire de L. Aliot, en effet, mais il n’en demeure pas moins que le RN peut tirer quelques enseignements de cet événement. Le parti peut ainsi espérer gagner d’autres sièges ou mandats dans le département et en Occitanie, même dans des élections à deux tours, à la faveur du délitement du front républicain. Outre la « normalisation » du RN qu’incarnait ici L. Aliot par son discours assez pragmatique, une partie de l’électorat de droite semble désormais fatiguée de voir sa sensibilité politique disparaître des années durant, à la suite d’un désistement en faveur du mieux placé contre le RN. Tout l’enjeu pour ce parti sans allié est à la fois de désarmer les préventions qu’il suscite encore pour dissoudre le « front du refus » sur lequel ses candidats se heurtent le plus souvent, d’attester de sa capacité à gérer sérieusement les affaires publiques, de former davantage de cadres partisans et, enfin, d’infléchir son discours sur des points jugés potentiellement « anxiogènes » pour mordre sur la majeure partie de l’électorat LR, idéologiquement proche sur les sujets de société, au point, un jour, de représenter la droite au second tour décisif. Quant aux conjectures sur le plan national, il faut, je crois, demeurer encore prudent et ne pas succomber au mirage perpignanais dans l’analyse prédictive des prochaines échéances électorales pour le RN.

 

Conflits : Nous avons vu aussi la stratégie de LREM, qui consistait à occuper tout le territoire national échouer. Quel avenir peut-on entrevoir pour le parti au pouvoir ? Peut-on croire à un remaniement ministériel ?

Le parti ou plutôt mouvement présidentiel fait partie des grands perdants de ces élections municipales, avec LFI et, dans une moindre mesure, le RN. Souvent qualifié de « déconnecté » ou de « hors-sol » par ses adversaires, LREM ne parvient toujours pas à s’enraciner véritablement dans les territoires, même dans les métropoles, où le contexte social et politique lui est pourtant plus favorable, sinon en apportant son soutien à des maires LR ou divers droite, sortant(e)s, Macron-compatibles (Amiens, Angers, Toulouse par exemple). En outre, les voix acquises au « progressisme » et au libéralisme culturel semblent privilégier davantage, pour l’instant, le vote en faveur d’EELV. Les élections départementales et régionales en mars prochain devraient confirmer ce diagnostic négatif et même l’amplifier. Certes, entre autres, la victoire d’Edouard Philippe au Havre est à souligner et nuance en partie ce jugement. Mais, on peut rappeler qu’il fut maire de l’agglomération normande de 2010 à 2017 et que son très bon résultat, avec 58,8% des voix, relève donc davantage de la confirmation que de l’innovation. Idem pour Gérald Darmanin à Tourcoing. Les résultats assez médiocres du 28 juin pourraient donc accélérer la réorganisation de LREM et de la majorité à l’Assemblée, à deux ans de l’échéance présidentielle, sous la houlette d’E. Philippe. Son départ de Matignon, désormais acté, risque, toutefois, de déstabiliser, momentanément au moins, le socle électoral macronien, tant E. Philippe était apprécié pour son action et son style par les électeurs de droite et de centre-droit, majoritaires aujourd’hui chez les soutiens du Président, notamment parmi les cadres, les professions libérales et les retraités.

 

Conflits : Bien que l’on ait tendance à oublier les résultats du premier tour en mars, ce second tour a apporté beaucoup d’inattendu. Les cartes sont-elles redistribuées pour 2022 ?

Là encore, la prudence doit rester de mise. Beaucoup d’événements d’ici 2022 peuvent faire encore bouger les lignes électorales. Même si quelques constats spécifiques peuvent nous aider à anticiper certains phénomènes politiques ultérieurs comme la percée consolidée de l’écologie politique et la tactique assez innovante de figures « populistes » de droite sur certains territoires dotés d’une sociologie électorale atypique. La « disruption » n’était donc pas, cette fois-ci, là où aurait pu l’espérer Emmanuel Macron…

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Photo : Edouard Philippe, ex-premier ministre, élu maire du Havre. (c) robinletellier/SIPA 00971056_000022, 5 juillet 2020

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À propos de l’auteur
Stéphane Baudens

Stéphane Baudens

Maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille, en Histoire du droit et des institutions.
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