<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Élections générales de 2024 en Corée du Sud : résultats et implications

18 avril 2024

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Les élections générales en Corée du Sud, le 10/04/2024. (Xinhua/Yao Qilin) - Yao Qilin -//CHINENOUVELLE_chinenouvelle0050/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2404100802

Abonnement Conflits

Élections générales de 2024 en Corée du Sud : résultats et implications

par

Le 10 avril, la Corée du Sud a tenu ses 22e élections générales. Le principal parti d’opposition, le Parti démocratique (PD), a remporté la majorité des 300 sièges de l’Assemblée nationale, avec 175 sièges contre 108 pour le Parti du pouvoir du peuple (PPP) au pouvoir. Le taux de participation global a été de 67 %, soit le taux le plus élevé depuis 32 ans. 

Entretien avec Victor Cha paru sur le Centre pour les études stratégiques et internationales.

Victor Cha est premier vice-président de la chaire Asie et Corée au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington et professeur à l’université de Georgetown. Jinwan Park est stagiaire à la Chaire Corée du CSIS. Andy Lim est chercheur associé à la Chaire Corée du CSIS.

Traditionnellement considérées comme un référendum implicite sur le président sortant, les élections ont fait l’objet d’une attention considérable car elles ont permis de mesurer le degré d’approbation des citoyens sud-coréens à l’égard du président Yoon Suk Yeol. La politique intérieure et étrangère du président Yoon sera confrontée à des vents contraires importants, mais étant donné qu’il a hérité d’un gouvernement divisé il y a deux ans, il ne faut pas s’attendre à des changements significatifs.

Que s’est-il passé lors des élections ?

Malgré un classement au coude à coude dans les sondages, l’électorat a montré une forte préférence pour les candidats de l’opposition qui font contrepoids au gouvernement en place, plutôt que de renforcer la position du parti au pouvoir. Le PD a obtenu 175 sièges, le PPP 108 et le Parti de la reconstruction de la Corée (RKP), dirigé par l’ancien ministre de la justice Cho Kuk, 12. Plus précisément, le PD a triomphé dans 161 circonscriptions et a ajouté 14 sièges par l’intermédiaire de son parti satellite, la Coalition démocratique, dans les circonscriptions à représentation proportionnelle, où 46 sièges ont été attribués sur la base des votes des partis à l’échelle nationale. Le PPP a remporté 90 districts et 18 sièges à la représentation proportionnelle, tandis que le RKP a obtenu 12 sièges uniquement grâce à cette dernière, sans désigner de candidats pour les postes de district.

De nombreuses questions ont été abordées lors de ces élections, allant des questions traditionnellement importantes telles que la hausse des prix, l’économie et les controverses entre candidats aux questions nouvellement apparues, notamment le projet du gouvernement Yoon d’augmenter les quotas dans les écoles de médecine ou les nominations de personnel clé. Les résultats défavorables au parti au pouvoir indiquent que la hausse des prix des légumes essentiels à la subsistance des familles, associée à la critique de l’opposition sur les lacunes perçues de l’administration en matière de protection sociale, a eu un impact significatif sur l’état d’esprit de l’électorat. Cela s’est produit malgré les tentatives de l’administration pour stabiliser l’économie et les actions qui ont été populaires auprès du public lors de la confrontation avec les médecins qui faisaient grève pour s’opposer à l’augmentation du nombre d’admissions dans les écoles de médecine.

Que signifie ce résultat pour le président Yoon Suk Yeol au niveau national ?

La victoire du principal parti d’opposition laisse présager la poursuite de relations tendues entre le président Yoon et le corps législatif. Depuis son investiture, les politiques intérieures du président Yoon ont souvent été confrontées à une forte opposition de l’Assemblée nationale, principalement contrôlée par l’opposition progressiste, qui détenait environ 60 % des sièges. En janvier 2024, seuls 29,2 % des projets de loi soumis à l’Assemblée nationale avaient été adoptés, ce qui est nettement inférieur au taux d’adoption de 61,4 % enregistré sous le gouvernement précédent.

Le président Yoon a déjà présenté les grandes lignes de ses futures politiques intérieures, notamment des plans visant à augmenter l’offre de logements, à assouplir les restrictions relatives aux zones de la ceinture verte et à mettre en œuvre de grands projets d’infrastructure, comme il l’a promis lors de nombreuses réunions publiques depuis le début de l’année 2024. Bien que ces initiatives aient temporairement renforcé sa popularité au niveau national, le résultat des élections, favorable à l’opposition, compliquera probablement les efforts visant à faire avancer ces politiques, déjà critiquées comme « populistes » par les opposants.

Le PD, désormais rejoint par le RKP, plus progressiste, devrait tirer parti des problèmes perçus au sein de l’administration Yoon, concernant sa famille et ses nominations controversées, pour lancer des enquêtes spéciales au sein de l’assemblée. Cela pourrait également conduire à une augmentation des manœuvres politiques de l’opposition pour affaiblir sa position, y compris les procédures de mise en accusation contre des figures clés de l’administration, mises en évidence par des affaires antérieures impliquant des ministres de premier plan.

Quel sera l’impact du résultat des élections sur la politique étrangère de la Corée du Sud ?

Probablement pas grand-chose. La politique étrangère de la Corée du Sud devrait rester sur sa lancée, car celle de M. Yoon n’est pas basée sur le populisme. Depuis le début de sa présidence, la forte opposition du PD au sein du corps législatif et un taux d’approbation relativement faible n’ont pas dissuadé M. Yoon de renverser la politique étrangère du gouvernement précédent. M. Yoon a respecté sa promesse de campagne de renforcer l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud et d’adopter une position ferme à l’égard des provocations de la Corée du Nord. Il a également montré que la Corée du Sud et les États-Unis étaient étroitement alignés sur leur stratégie régionale. Plus particulièrement, M. Yoon s’est efforcé d’améliorer les relations tendues de la Corée du Sud avec le Japon, malgré le risque d’une réaction politique négative dans son pays.

Il faut s’attendre à ce que le parti d’opposition augmente le volume de ses critiques à l’égard de la politique étrangère de M. Yoon, qu’il juge irréaliste. Notamment, le leader du DP, Lee Jae-myung, a prôné la neutralité sur les questions relatives au détroit de Taiwan et à l’Ukraine au cours de la récente campagne électorale. Cette position contraste fortement avec l’approche de Yoon, qui a cherché à améliorer le profil mondial de la Corée du Sud en renforçant son soutien à l’Ukraine, en accueillant le sommet pour la démocratie et en promouvant une diplomatie fondée sur les valeurs. Avec la nouvelle Assemblée nationale, cette division stratégique risque de s’accentuer.

Quelles sont les implications ?

Tout d’abord, le président Yoon et son parti ont connu une sorte de victoire à la Pyrrhus. Certains se consoleront en se disant que malgré les tendances historiques défavorables au président sortant lors d’une élection de mi-mandat, la faible cote de popularité de M. Yoon et les prévisions pré-électorales qui laissaient présager une lourde défaite, le PPP n’a perdu en réalité que six sièges. Les premiers sondages effectués à la sortie des urnes laissaient présager une victoire écrasante du principal parti d’opposition, le PD, et certains prédisaient une quasi-supermajorité (200 sièges) qui aurait considérablement enhardi l’opposition au cours des trois dernières années du mandat de Yoon.

Deuxièmement, le PD a remporté une grande victoire lors de cette élection mais n’a pas réussi à atteindre l’objectif de la majorité des trois cinquièmes (180 sièges) ou de la supermajorité (plus de 200 sièges) qui lui aurait donné une plus grande marge de manœuvre pour prendre des mesures telles que la fin de l’obstruction ou l’avancement de projets de loi en session plénière pour une adoption unilatérale sans l’aide du PPP.

Troisièmement, le parti dissident de Cho Kuk, le RKP, a acquis une influence déterminante à la suite de cette élection. Les 12 sièges de son parti pourraient désormais jouer un rôle central si le PD vise des actions législatives nécessitant une majorité des trois cinquièmes (180 sièges). Toutefois, l’avenir du parti pourrait dépendre de l’issue de la décision de la Cour suprême sud-coréenne concernant les allégations de Cho Kuk de falsification de documents pour l’admission de sa fille à l’université. Un verdict de culpabilité, conforme aux deux décisions précédentes, priverait Cho de son statut de législateur, bien qu’il puisse toujours diriger le parti sous son approbation.

Enfin, de nombreux acteurs clés des deux côtés de l’allée ont remporté leurs courses, notamment Lee Jae-myung (chef du PD, district d’Incheon-Gyeyang B), Ahn Cheol-soo (ancien candidat à la présidence, district de Seongnam Bundang A), Choo Mi Ae (ancien ministre de la justice et progressiste intransigeant du PD, district de Gyeonggi Hanam), Na Kyung-won (ancienne chef de file et conservatrice du PPP, district de Séoul Dongjak B) et Lee Jun-seok (ancien chef du PPP, district de Gyeonggi Hwasung B), ce qui a permis de garantir, voire de renforcer, la polarisation politique. Sur une note positive, un certain nombre d’experts en politique étrangère et d’anciens diplomates ont remporté des sièges des deux côtés de l’allée, notamment Wi Sung-lac (ancien ambassadeur en Russie), Kim Joon-hyung (ancien chancelier de l’Académie diplomatique nationale de Corée), Park Jie-won (ancien directeur du Service national de renseignement, Jeolla du Sud, district de Haenam-Wando-Jindo), Kim Gunn (ancien représentant spécial pour les affaires de paix et de sécurité dans la péninsule coréenne) et deux anciens ministres de l’unification, Kwon Young-se (district de Séoul Yongsan) et Lee In-young (district de Séoul Guro A), garantissant une connaissance approfondie des affaires étrangères au sein de l’assemblée législative dans un contexte de polarisation de la politique.

À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

Voir aussi