Entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif salvadoriens, la guerre est déclarée. Nayib Bukele, président du Salvador, réalise un coup de force inédit dans l’histoire du pays.
Dimanche 9 février 2020, le président salvadorien Nayib Bukele s’est rendu au Congrès épaulé par les forces armées. La raison ? Exiger des députés l’approbation d’un nouveau prêt d’un montant de 109 millions de dollars, dans le cadre de la troisième phase du Plan de Contrôle Territorial [simple_tooltip content=’ Article Conflits’][1][/simple_tooltip]. Un tel coup de force n’était jamais arrivé dans l’histoire contemporaine du pays.
Rapport de force entre pouvoir exécutif et législatif
Tout a commencé jeudi 6 février. Le président salvadorien avait alors fait savoir que le Conseil des ministres allait convoquer une session extraordinaire au sein de l’Assemblée législative, afin de faire en sorte que la demande de prêt soit approuvée. Une mesure forte qui, elle non plus, n’avait jamais eu lieu auparavant, mais pourtant autorisée par l’article 167-7 de la Constitution du pays lorsque « les intérêts du pays l’exigent. »
La demande fut rejetée par les membres du congrès, dont beaucoup ont alors fait savoir leur intention de ne pas se présenter à la session en question si jamais elle venait à avoir lieu malgré leur refus.
Un premier rapport de force s’est alors installé entre l’exécutif et le législatif, Nayib Bukele ayant rappelé cette fois que leur absence serait non seulement une atteinte à l’ordre constitutionnel, mais autoriserait le peuple à l’insurrection, comme précisée dans l’article 87 de la Constitution :
« Le droit du peuple à l’insurrection, dans le seul but de rétablir l’ordre constitutionnel altéré par la transgression des règles relatives à la forme établie de gouvernement ou au système politique, ou par de graves violations des droits consacrés par la présente Constitution. »
Toutefois, le Congrès est resté sur ses positions, considérant qu’une demande de prêt ne justifiait en rien l’organisation d’une session extraordinaire.
Le soutien des forces armées
Bien que le pouvoir législatif se soit montré hostile au président, celui-ci a pu bénéficier du soutien des forces militaires et policières du pays. Le ministre de la Défense René Merino Monroy a déclaré que les Forces armées du pays « obéiraient au président et commandant général des Forces armées, Nayib Bukele » dans la mesure où l’Armée est une « institution professionnelle, apolitique et non délibérante ».
Le directeur de la Police nationale, Mauricio Arriaza Chicas, a également fait part de son soutien au président de la République via un communiqué sur les réseaux sociaux :
« Conformément à nos lois, comme le prévoit la Constitution de la République, nous soutenons le président Nayib Bukele dans son juste combat pour faire de notre pays le pays que nous méritons. »
Ce soutien a permis au président de passer des paroles aux actes dès dimanche, comme annoncé. Nayib Bukele s’est rendu au siège de l’Assemblée législative accompagné par des militaires et des policiers, qui ont non seulement sécurisé l’extérieur du bâtiment, mais sont également entrés dans le Salon Bleu de l’Assemblée législative, l’endroit exact où ont lieu les sessions.
Une intervention critiquée par l’opposition ainsi que de nombreuses ONG, à l’image de José Miguel Vivanco (Directeur de la division des Amériques de l’Observateur des Droits de l’Homme), qui y voit un « attentat contre la démocratie ».
Toutefois, si à première vue il est vrai que les méthodes employées peuvent sembler disproportionnées, voire abusives, les raisons d’un tel tour de force sont bien plus complexes qu’il n’y parait.
Le Plan de Contrôle Territorial
Disposant d’un taux d’homicides particulièrement élevé (50 / 100 000 habitants en 2018), le Salvador est un des pays les plus violents au monde. L’insécurité est essentiellement due aux agissements des maras, des gangs armés impliqués dans de nombreuses activités illégales, face auxquels policiers et militaires sont impuissants faute de moyens adaptés.
Ainsi, Nayib Bukele avait fait de la sécurité une priorité lors de sa campagne présidentielle. Moins d’un an après avoir été élu, les effets positifs se font sentir même s’ils demeurent nuancés. Le nombre d’homicides a grandement chuté, mais celui des disparitions a augmenté.
Ces changements sont essentiellement dus à la mise en place du Plan de Contrôle Territorial.
Afin de pouvoir le poursuivre, la phase III nécessite d’importantes sommes d’argent qui devaient être obtenues via un prêt de la Banque centraméricaine d’Intégration économique.
Une demande tout d’abord acceptée par le pouvoir législatif fin janvier, avant d’être rejetée trois jours plus tard après le retrait d’ARENA (Parti de droite, 37 sièges sur 84), combiné à l’opposition du FMLN (Parti d’extrême gauche, 23 sièges sur 84). Seul, le parti de Nayib Bukele (GANA, parti conservateur comptant 10 sièges sur 84) n’est donc pas en mesure de peser sur les votes à l’assemblée à l’heure actuelle, mais la situation pourrait très vite changer.
D’une part, Nayib Bukele semble bénéficier du soutien populaire, contrairement aux parlementaires sur qui planent des soupçons de corruption. D’autre part, si les prochaines élections législatives auront lieu le 28 février 2021, le président a fait savoir lors du discours tenu dimanche qu’un changement pourrait se produire plus tôt que prévu :
« En février 2021 tous les escrocs de l’Assemblée partiront, je vous demande de faire preuve de patience et si cette semaine ils refusent de valider le prêt du Plan de Contrôle Territorial, nous nous réunirons ici encore une fois dimanche prochain. »
« […] Nous avons mis en marche le Plan de Contrôle Territorial et les résultats obtenus sont irréfutables. Désormais, les députés ne veulent pas voter en faveur (du prêt) pour que nous mettions en place la phase III. »
Avant de publier sur les réseaux sociaux le message suivant quelques heures plus tard :
« J’ai apprécié de voir ces sièges vides. Cela m’a aidé à les imaginer remplis de personnes honnêtes qui travaillent pour le peuple. Peut-être le 28F[simple_tooltip content=’28 février 2021′][2][/simple_tooltip], peut-être quand le peuple le décidera. »
Ainsi, s’il est trop tôt pour savoir si Nayib Bukele parviendra à atteindre ses objectifs d’ordre sécuritaire, les résultats obtenus lors de ces derniers mois et le visage montré le 9 février soulignent une volonté réelle de changement.