Le christianisme en feu, les églises d’Europe attaquées

18 janvier 2020

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Notre-Dame de Paris après l'incendie, 15 mai 2019. © Philippe Lopez/AP/SIPA

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Le christianisme en feu, les églises d’Europe attaquées

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En 2017, 878 actes de vandalisme ont été commis contre des lieux de culte chrétiens. Les attaques d’églises, les destructions de statues, les vols d’œuvres d’art ne cessent de croître, dans une grande indifférence des autorités politiques et de la population civile. En ressort une perte du sens du sacré et une indifférence de plus en plus grande à l’égard du christianisme.


 

Je ne prends pas les théories du complot au sérieux. Mais lorsque les flammes ont englouti la cathédrale Notre-Dame de Paris le soir du 15 avril 2019, mon esprit s’est momentanément engagé dans cette voie. Après tout, les tentatives d’incendie, de vandalisme, de vol d’églises et de sanctuaires chrétiens sont devenues monnaie courante en France au cours de ces trois dernières années. Arriver à une conclusion plus sinistre pourrait nous être pardonné.

Rien qu’en 2017, selon le ministère français de l’Intérieur, 878 actes de vandalisme ont été commis envers des lieux de culte, des cimetières et des sanctuaires chrétiens. C’est une moyenne de près de deux sites et demi qui sont visés chaque jour.

Les responsables gouvernementaux minimisent le problème. Comme me l’a dit un évêque français, ils pensent qu’en attirant l’attention sur les incendies et les vols d’églises, on encourage les imitateurs. Mais, a-t-il ajouté, ils craignent aussi que la « publicité » ne fasse qu’alimenter au sein des populations la peur d’un État qui n’a aucun contrôle sur la loi et l’ordre. Cette perception se manifeste par des cas de figure comme les zones interdites à la police dans certaines villes françaises et les actes continues de gilets jaunes. La plupart des journaux français ne cherchent pas à briser le silence. Il faut donc se tourner vers des organisations comme l’Observatoire sur l’intolérance et la discrimination contre les chrétiens en Europe, localisé à Vienne, pour découvrir ce qui se passe.

Compte tenu de la montée du terrorisme djihadiste dans toute la France à partir de 2012, il est tentant d’accuser les islamistes de cet assaut d’attentats. Il y a des exemples clairs où, en effet, c’est le cas. En mai dernier, « Allahu Akbar » était griffonné sur la porte de Notre-Dame du Taur à Toulouse. En juillet 2018, les mêmes mots ont été découverts sur les murs brûlés de Saint-Pierre du Martroi à Orléans après l’acte de pyromanes.

On ignore si ces attaques ont été planifiées par des professionnels ou s’il s’agit simplement d’actes spontanés commis par des musulmans français malheureux de leur situation sociale mais les djihadistes du XXIe siècle comprennent l’impact psychologique des agressions contre les symboles nationaux. L’histoire religieuse, si particulière à la France, signifie que toute campagne de ce genre impliquerait inévitablement son patrimoine chrétien.

Le djihadisme n’est pas le seul fléau

Dans d’autres cas, les agressions ont d’autres causes, moins faciles à catégoriser. Prenez l’incendie de Saint-Sulpice, la deuxième plus grande église de Paris, le 17 mars 2019, qui a endommagé ses portes, un bas-relief, un vitrail et un escalier. La police n’a pas hésité à qualifier l’incendie « d’incendie criminel ». Un prêtre de l’église a depuis dit que l’incendie avait été déclenché par un sans-abri. Si cela est exact, il est peu probable qu’il cherchait à faire valoir un point de vue anti-chrétien, et encore moins à envoyer un message politique, étant donné les taux élevés de toxicomanie et de maladie mentale qui affligent les sans-abris dans les sociétés occidentales.

Une autre motivation peut-être le vol. En 2018, 129 églises ont été cambriolées en France. Il n’est pas difficile d’entrer dans les églises françaises, surtout dans les zones urbaines. Le clergé catholique essaie de faire en sorte que ses églises soient accessibles et à la disponibilité des gens afin qu’ils puissent prier ou simplement prendre un moment de contemplation en présence de beaux-arts et d’une belle architecture.

Malheureusement, cela rend les églises vulnérables. Ceux qui veulent voler des artefacts de valeur trouvent la porte grande ouverte. En 2018, une bande de voleurs roumains s’est montrée très habile pour subtiliser des peintures et des objets contenant des métaux précieux dans un église française. L’absence de caméras de sécurité dans toutes les églises de France, sauf les plus importantes, ne résout pas le problème.

Une variété similaire de motifs caractérise les attaques contre les églises dans d’autres pays européens. En Allemagne, les églises catholiques de Bad Säckingen, Rheinfelden-Nollingen et Schwörstadt ont subi une série de vols entre la mi-avril et le début du mois de mai.

D’autres cas encore semblent être motivés par une vague animosité contre le christianisme. En octobre, plus de 40 tombes ont été détruites au cimetière de la paroisse Notre-Dame-Mère de l’Église de Zabrzu-Helence en Pologne. L’objet de l’exercice semble avoir été la profanation elle-même. Parfois, cela prend une forme très directe. Le 5 octobre, la chapelle de la Rosa, du XVIIIe siècle, dans la ville provinciale de Cordoue, Montilla, en Espagne, a été pénétrée par des individus qui ont accédé au tabernacle, en ont extrait les hosties et les ont jetées autour de l’autel. En gardant à l’esprit que le catholicisme enseigne que l’hostie est le corps du Christ, il est difficile de croire que les auteurs de ces actes ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Les violations des sites religieux chrétiens dans toute l’Europe ne sont qu’une partie du tableau. De nombreux édifices religieux sont devenus les lieux de toutes sortes de crimes. En Grande-Bretagne, entre janvier 2017 et novembre 2019, plus de 20 000 crimes ont été commis sur des propriétés de l’église. Il s’agissait de vandalisme et d’incendie criminel, mais aussi de trafic de drogue, de toxicomanie, de vol d’objets d’église et de vol de visiteurs et de fidèles.

Quel sens donner à ces agressions sur des sites chrétiens en Europe?

Il faut retenir que les attaques sur les lieux religieux en Europe n’est pas chose nouvelle. Les sites juifs sont la cible des antisémites depuis des siècles et les sites chrétiens ont été pillés et brûlés au nom de diverses révolutions depuis 1789. Les gouvernements libéraux de la Deuxième République espagnole dans les années 1930 ont fait preuve d’une véritable indifférence face à la profanation des tombes de religieuses par des foules de gauche, sans parler de l’incendie d’églises catholiques – le pire cas étant la destruction de la cathédrale d’Oviedo en 1934. Pendant la guerre civile espagnole, de très nombreux bâtiments et symboles catholiques ont été détruits dans le territoire contrôlé par la République.

Mais ce sont les marxistes qui ont élevé la destruction des sites religieux au rang d’art. Dans les années 1920 et 1930, l’Union soviétique s’est attachée à démolir les synagogues, les mosquées et, surtout, les églises orthodoxes. Beaucoup de celles qui ont échappé à la ruine ont été transformées en musées pour l’athéisme ou en entrepôts de récoltes. Selon l’ouvrage de Nathaniel Davis, A Long Walk to Church : A Contemporary History of Russian Orthodoxy (1995) de Nathaniel Davis, l’église orthodoxe administrait environ 300 paroisses actives en URSS en 1939. Avant 1918, il y en avait environ 50 000.

La place de la gauche dans certaines de ces attaques n’y est pas pour rien. Les anarchistes et les féministes radicales y occupent une place importante. Dans la nuit du 5 au 6 octobre 2019, un groupe féministe a revendiqué la responsabilité d’avoir pénétré par effraction dans le centre de crise pour femmes enceintes Pro Femina, géré par des chrétiens, à Berlin. Les femmes concernées ont brisé des fenêtres, immobilisé les serrures en y versant de la colle, jeté de la peinture et de l’acide nauséabond dans les couloirs et peint le slogan « Pro Choice » sur les murs.

Une crise pour l’Église

Je suis cependant enclin à voir sous cette vague de destruction autre chose: la perte du sens du sacré dans une grande partie de l’Ancien Continent – du moins en ce qui concerne la façon dont les gens perçoivent les religions juive et chrétienne qui, qu’on le veuille ou non, ont joué un rôle central dans le développement de l’identité occidentale et européenne.

Le but premier des sites religieux est de se recueillir devant la divinité que l’on vénère. C’est ce qui différencie les synagogues, les églises et les mosquées des bureaux d’affaires, des maisons familiales ou des bâtiments scolaires, par exemple. Certaines confessions chrétiennes, notamment l’orthodoxie et le catholicisme, considèrent leurs églises comme des lieux où la grâce est transmise par des sacrements comme le baptême, la confession et la communion. Dieu lui-même, croient-ils, habite dans ces édifices.

C’est pourquoi les fidèles des églises orthodoxes et catholiques chuchotent entre eux plutôt que de parler à haute voix, et rappellent à leurs enfants de faire la génuflexion et de faire le signe de croix lorsqu’ils entrent et sortent de l’édifice. Le Christ lui-même est considéré comme physiquement présent dans l’Eucharistie, que ce soit pendant la Messe ou dans le tabernacle – une présence signifiée par l’allumage perpétuel d’une lampe de veille qui ne s’éteint que le Vendredi Saint. Le sentiment que les églises chrétiennes sont vraiment la maison de Dieu a été si fort que la loi anglaise a reconnu que les fugitifs dans une église jouissaient d’une sorte d’immunité contre l’arrestation par les autorités séculières depuis le quatrième siècle jusqu’à l’abolition de la tradition par Jacques Ier en 1623.

Aujourd’hui, une grande partie de l’Europe occidentale est très éloignée de cet environnement culturel. La déchristianisation d’une grande partie de la population et de la vie publique ne pouvait qu’affaiblir la compréhension des individus à voir l’église comme un lieux à part, différent des autres. De nombreuses églises sont aujourd’hui considérées comme un musée parmi tant d’autres – de beaux bâtiments historiques, avec de nombreuses œuvres d’art magnifiques, mais néanmoins, des musées.

Malheureusement, ces tendances sont renforcées par le fait que certains clercs ont cessé de considérer leurs églises comme des lieux où le sacré est prioritaire. En août 2019, par exemple, un manège de carnaval a été érigé pendant 11 jours à l’intérieur de la cathédrale anglicane de Norwich, dans l’est de l’Angleterre, bien que la décision de l’installer ait été mise au pilori par le clergé anglican et catholique. L’évêque local a essayé de la défendre en disant que « Dieu est une attraction touristique. «  Le mois précédent, un mini-golf de neuf trous avait été installé dans l’allée centrale d’une autre grande cathédrale anglaise, Rochester. Certaines choses sont si ridicules qu’on ne peut pas les inventer.

Le christianisme enseigne que Dieu est partout dans le monde qu’il a créé, mais les chrétiens croient aussi que Dieu veut un lieu particulier consacré à son adoration et à la méditation de vérités transcendantes. De ce point de vue, le carnaval et le mini-golf n’ont pas leur place dans les églises.

Il est facile de rire des événements de Rochester et de Norwich, absurdes qu’ils sont. Pourtant, étant donné ces atmosphères et la désintégration plus large de la conscience du sacré dans le sillage du déclin du christianisme dans une grande partie de l’Europe, est-il étonnant que toutes sortes de gens – dont beaucoup ne sont pas animés par le djihadisme ou des idéologies gauchistes – considèrent maintenant les églises comme un terrain de jeu pour le vandalisme nihiliste, des endroits propices au trafic de drogue et à la « défonce », au vol puis à la vente d’objets de valeur sur le marché ?

On ne sait pas comment cela va se terminer. Mais une chose est claire : une société dans laquelle tant de gens sont indifférents à la destruction et à la banalisation de ses lieux saints traditionnels est en pleine crise existentielle. C’est l’affaire de tous : croyants et non-croyants.

 

Texte original publié sur The Spectator, 2 janvier 2020.

Traduction de Conflits.

Source : Burning Christianity- Samuel Gregg

 

 

 

 

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À propos de l’auteur
Samuel Gregg

Samuel Gregg

Samuel Gregg occupe le poste de Distinguished Fellow en économie politique à l'American Institute for Economic Research, et est chercheur affilié à l'Acton Institute. Parmi ses précédents ouvrages, mentionnons The Next American Economy: Nation, State and Markets in an Uncertain World (2022), The Essential Natural Law (2021), For God and Profit : How Banking and Finance Can Serve the Common Good (2016), et Becoming Europe (2013).

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