<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Effets de réseau et démondialisation

22 novembre 2022

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Effets de réseau et démondialisation

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En perdant son monopole des échanges mondiaux, le dollar voit se contracter les réseaux financiers qui ont concouru à établir la mondialisation. Les années qui viennent vont probablement voir un effet de démondialisation, qui ne sera pas le retour à la période pré-mondialisation mais la mise en place d’un autre système financier mondial, moins efficace mais moins fragile.

 En juillet 2000, alors que la Chine se préparait à adhérer à l’OMC, Gavekal (ou Gaveco, comme la société s’appelait alors) a publié un article explorant les effets de réseau qui accompagneraient l’incorporation de la Chine dans le système commercial mondial. L’idée de base était la suivante :

– Si une économie contient deux villes, il faut un lien (par exemple, une ligne de chemin de fer) pour les relier.

– Si une économie contient trois villes, elle a besoin de trois liens pour relier chaque ville aux deux autres.

– Si une économie contient quatre villes, le nombre de liaisons nécessaires passe à six.

Pour un nombre quelconque de villes, N, le nombre de liens nécessaires pour relier chaque ville à toutes les autres est donné par la formule N*(N-1)/2. Plus le nombre de villes qui rejoignent le système augmente, plus le nombre de liens nécessaires pour les relier augmente à un rythme accéléré. Par conséquent, à partir du début des années 2000, l’activité économique mondiale a été massivement stimulée non seulement en reliant la Chine au reste du monde, mais aussi en reliant les villes chinoises entre elles, avec toutes les constructions de liaisons ferroviaires, aériennes, routières, de télécommunications et électriques que cela implique.

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Et les liens n’étaient pas seulement physiques, ils étaient aussi financiers. À mesure que chaque nouveau centre économique rejoignait le système, de nouveaux liens financiers étaient nécessaires pour traiter tous les nouveaux paiements.

– Les nouveaux paiements nationaux ont été effectués via de nouvelles liaisons en monnaie locale, ce qui a donné un formidable coup de fouet aux systèmes bancaires et financiers locaux.

– Les nouveaux paiements internationaux entre la Chine (et les autres pays nouvellement intégrés) et le reste du monde ont été effectués en dollars américains. Cela a considérablement augmenté la demande internationale de dollars américains pour répondre aux besoins en fonds de roulement du système.

Cependant, les autorités américaines ont de plus en plus considéré que, puisque toutes les transactions en dollars américains étaient réglées en dernier ressort par des succursales bancaires aux États-Unis, le gouvernement américain devait avoir le droit de connaître l’identité des bénéficiaires finaux de ces transactions. En d’autres termes, le gouvernement américain exigeait le contrôle de toutes les transactions en dollars américains partout dans le monde, quel que soit l’intermédiaire entre lequel elles avaient lieu.

À l’époque, il était évident que cet excès de réglementation serait inacceptable pour de nombreux pays, notamment la Chine et la Russie, et qu’à terme, il pourrait entraîner le déclin du système de paiement international fondé sur le dollar américain. Aujourd’hui, en raison des sanctions imposées à la Russie au début de 2022, il semble que la disparition du système du dollar américain va s’accélérer. Les effets sont déjà visibles :

1/ Tous les chemins ne mènent plus à Rome. En termes financiers, les contrôles américains sont de plus en plus contournés. Comme les liens entre la Russie et les économies occidentales ont été rompus, N*(N-1)/2 s’est inversé pour l’Occident – tandis que la Russie s’occupe d’ouvrir de nouveaux liens ailleurs.

2/ La Russie s’efforce d’établir de nouveaux liens commerciaux avec le reste du monde en dehors des économies occidentales, avec un nouveau système de paiement indépendant du dollar américain. L’objectif est de pouvoir vendre ses produits et importer ce dont elle a besoin sans utiliser le dollar américain comme étalon de valeur ou moyen d’échange. Cela implique que la Russie cessera de vendre ou d’acheter à l’Occident, qui s’en trouvera appauvri.

3/ Ce nouveau système utilisera les monnaies locales, les balances commerciales entre les pays étant probablement réglées en or, ou par l’émission par la nation débitrice d’obligations à long terme dans sa propre monnaie.

4/ Outre la Russie et la Chine, ce nouveau système présente des avantages évidents pour l’Iran, la Turquie (qui a un énorme excédent commercial hors pétrole) et potentiellement l’Inde, car il permettrait à ces pays de commercer avec la Russie et éventuellement avec la Chine dans leur propre monnaie. Cela changerait la donne pour l’Iran, la Turquie et éventuellement l’Inde.

5/ Pour la Chine, l’objectif sera de payer ses importations, notamment de pétrole, en renminbi plutôt qu’en dollars américains. La Chine paie déjà ses importations de pétrole et de gaz russes en renminbi. Et Pékin promeut clairement l’idée d’un paiement en renminbi pour ses achats de pétrole à l’Arabie saoudite également.

En bref, l’écriture est sur le mur. Le réseau du dollar américain a commencé à se contracter, et cette contraction va s’accélérer avec la diminution du nombre de transactions réglées en dollars américains. Pour l’instant, ce déclin est masqué par une augmentation des paiements en dollars US des pays européens (qui ne peuvent plus acheter de gaz naturel en euros à la Russie), ce qui laisse également penser que la prochaine crise de la balance des paiements ne se situera pas en Asie ou en Amérique latine, mais en Europe occidentale.

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Au fil du temps, ce délaissement des paiements en dollars américains sera une mauvaise nouvelle pour le dollar américain, car la demande internationale de fonds de roulement en dollars américains diminuera. Et si les pays n’ont plus besoin de fonds de roulement en dollars US, ils n’auront plus besoin de détenir des réserves en dollars US. Ils chercheront plutôt à détenir des réserves en or.

Le système financier international se retrouvera alors avec une grande quantité de dollars américains excédentaires, qui auront tendance à revenir aux États-Unis, où ils risquent de provoquer une inflation. Et ce sera une terrible nouvelle pour tous ceux dont l’activité consiste à financer le commerce mondial en dollars US, comme les grandes banques françaises.

Pour résumer :

– Chaque lien dans un réseau a une contrepartie sous la forme d’un lien financier.

– Les liens financiers nationaux sont contrôlés par les autorités locales.

– Les liens financiers internationaux étaient jusqu’à récemment contrôlés par les États-Unis, ce qui explique la domination de la finance mondiale par les États-Unis.

– Le système financier était donc efficace, mais fragile. Comme nous l’avons vu lors de la crise du Covid, les systèmes efficaces ont tendance à être fragiles, car tout devient fortement corrélé lorsque la volatilité augmente.

– Les prochaines années seront caractérisées par la contraction du réseau financier occidental et par l’expansion d’un nouveau réseau financier international décentralisé, probablement fondé sur l’or.

– Les principaux perdants de ce changement seront les détenteurs d’obligations du monde occidental, car les monnaies dans lesquelles sont libellées leurs obligations devront se déprécier pour que les pays émetteurs puissent retrouver l’équilibre commercial.

– Les principaux gagnants seront les consommateurs du reste du monde.

– Le nouveau système sera moins efficace, mais beaucoup moins fragile. Au lieu d’un cycle économique mondial, qui est le résultat de la domination monétaire américaine, il y aura de multiples cycles, indépendants les uns des autres.

– La diversification internationale fonctionnera à nouveau.

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À propos de l’auteur
Charles Gave

Charles Gave

Économiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).
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