Éditorial du numéro 25. Le dossier consacré aux vingt années de pouvoir de Vladimir Poutine.
« L’épée est l’axe du monde et la grandeur ne se divise pas. » Cette sentence du général de Gaulle a été une nouvelle fois illustrée par la mort en opération de 13 militaires français. Le conflit est bien la réalité du monde, et l’épée son axe. Quelques jours auparavant, c’était le décès de Jean Morel, un des derniers du commando Kieffer, engagé à 16 ans pour la libération du territoire national. L’engagement de ces hommes à porter l’épée est incompréhensible si l’on omet la grandeur, qui n’est pas la puissance désordonnée qui cherche à contrôler des territoires sans fin, mais la conviction qu’il y a au-dessus de nos vies des choses plus importantes qui donnent un sens à la vie elle-même. La grandeur dépasse la petitesse de la vie humaine pour lui donner un épanouissement dans un projet collectif et personnel plus haut. Ces hommes qui prennent l’épée portés par la grandeur sont des dissidents ; des lucioles qui tentent de maintenir éveillée la lumière de l’âme, même quand la nuit terrible est tombée.
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À l’Est, nous avons vu d’autres soldats et d’autres dissidents portés par la grandeur, anonymes ou reconnus. Face à la lèpre rouge du socialisme matérialiste, qui a tenté d’effacer jusqu’à la conscience des hommes, ils ont levé l’épée de la culture et le refus du mensonge. Jan Palach, Jerzy Popieluszko, Varlam Chalamov, Alexandre Soljenitsyne, pour ne citer que les plus connus. Ils étaient portés par la compréhension que l’homme n’est pas qu’un corps, mais aussi une âme et un esprit, et que la beauté de l’art était l’arme la plus redoutable que l’on pouvait opposer à la laideur du totalitarisme soviétique, pour en libérer l’homme. Ils ont accompli l’impensable : la chute du système soviétique, sans bain de sang, sans affrontement des nations. L’espérance a été plus forte que la répression policière de la Stasi et du KGB. Dans les années 1990, la Russie est moralement et matériellement ruinée. Qui pouvait prévoir qu’elle se redresserait de son effondrement et qu’elle éviterait l’implosion complète de son territoire ? En vingt ans, Vladimir Poutine a réussi cela : sauver un pays qui était perdu, relancer l’économie, restaurer une grandeur. Il n’a pas agi seul, ce sont tous les Russes qui ont porté les efforts nécessaires à cette reconstruction, mais il fut le catalyseur d’une renaissance. Comme toutes les restaurations, la succession est délicate. La Russie est loin d’être sortie d’affaires et ce pays a encore de nombreuses failles à résoudre, mais un travail colossal a d’ores et déjà été accompli.
Ces exemples démontrent que le futur n’est jamais écrit et que l’imprévisible peut arriver. Ce sont les personnes qui font l’histoire, surtout celles qui ont la conscience de la grandeur et qui sont prêtes à porter l’épée. Tout était déjà écrit en 1429 : Henri V d’Angleterre roi de France et Charles condamné à n’être que roi de Chinon. Il a fallu l’extraordinaire d’une Jeanne, fille à peine adolescente, pour persuader le dauphin d’être roi et pour relever une armée désabusée. Décidément, la grandeur ne devait pas se diviser. Jeanne réussit un autre exploit, cinq siècles après sa mort : réconcilier la France fille aînée de l’Église et la France mère nourricière de la Révolution. En 1920, l’Église l’a reconnue comme sainte, et la République institua sa célébration comme fête du patriotisme, en faisant l’une des 12 journées nationales de commémoration. Même les ténèbres du temps n’éteignent pas les lumières de la dissidence. Porter l’épée nécessite caractère et force. Si « la France fut faite à coups d’épée », celle-ci est tour à tour portée par nos soldats, nos artistes, nos entrepreneurs, nos laboureurs, tous ceux qui ne se résolvent pas à l’abîme et qui sont convaincus que la vie est faite pour la grandeur.