Depuis quarante ans que l’on annonce la fin de la Françafrique, celle-ci a fini par advenir. Dans les pays où la France était autrefois installée, il ne reste plus grand-chose de sa puissance et de son influence. Mali, Burkina Faso, Niger, Centrafrique, demain Sénégal et Côte d’Ivoire, partout le même reflux, pour des pays désormais classés « rouge », en totalité ou en partie, par le ministère des Affaires étrangères. Le pré carré africain n’est plus qu’un souvenir dont le rêve demeure dans la formule floue et nostalgique de la « francophonie ». Adieu l’Afrique ; l’aventure commencée à l’orée des années 1870 s’est achevée.
« Un paternalisme d’un autre temps. » La France désigne trop rapidement l’étranger comme cause de son éviction. La Turquie, la Chine, la Russie seraient celles qui auraient savonné une planche bien assise. Si 400 hommes de Wagner regroupés en milice suffisent à chasser la France du Mali, c’est que notre position était bien peu assurée. Que ces pays aient une politique africaine est une chose, qu’ils soient la cause principale de notre départ en est une autre. Nimbés dans les vertus de l’universalisme, nous nous refusons à voir que ce rejet est d’abord celui d’un colonialisme idéologique qui ne plaît pas aux Africains. Le président sénégalais Macky Sall l’a clairement exprimé dans un entretien accordé à L’Express en mars dernier : « […] ils perdurent une tendance naturelle au Nord, à considérer que les Africains doivent faire ceci et pas cela. Nos citoyens ne supportent plus ce paternalisme d’un autre temps. […] on ne peut plus se comporter comme si la décolonisation venait de prendre fin. » Refuser de voir les logiques ethniques et imposer des modes de scrutin sources de tensions, imposer des idéologies morales nées dans des laboratoires d’universités, mais contraires aux conceptions traditionnelles africaines, gendarmer les uns et les autres en voulant construire des projets politiques, autant d’attitudes qui ont provoqué non pas « un sentiment » antifrançais, mais tout bonnement un rejet, qui est celui de l’universalisme.
Quels intérêts ? On pourrait rétorquer que ce « paternalisme » ne paraît guère insupportable quand il s’agit d’envoyer l’armée française maintenir l’ordre dans leurs pays. C’est bien le sang des militaires français qui a coulé à plusieurs reprises au Sahel, non celui des Africains de la diaspora guère tentés à l’idée de prendre les armes pour défendre la stabilité de leurs pays. Ce « paternalisme » ne leur semble pas non plus être « d’un autre temps » quand il s’agit d’accéder aux crédits bancaires, de recevoir prêts financiers, aides humanitaires et financements pour les infrastructures. Le franc CFA est ainsi un bouc émissaire régulier, mais qu’aucun chef d’État au pouvoir ne remet en cause, bien conscient que, s’il coûte beaucoup à la France, il assure la stabilité monétaire de la région. Si paternalisme il y a, quels intérêts avons-nous à le maintenir ? Les entreprises françaises ont davantage d’échanges commerciaux avec la Belgique qu’avec toute l’Afrique réunie. Gaz, pétrole, uranium, métaux rares se trouvent ailleurs, en meilleure quantité et en accès plus facile. L’argument selon lequel il faudrait intervenir en Afrique pour éviter l’immigration subsaharienne pourrait tenir si cette dernière n’était pas déjà effective. Pour cela, il aurait fallu ne pas commencer par faire sauter le verrou libyen. Quant au terrorisme, c’est d’abord sur le territoire national qu’il se traque, non dans les sables du Sahel. Le seul pays africain avec lequel nous ayons quelques intérêts est le Maroc mais depuis plusieurs mois tout semble être fait pour casser cette relation spéciale alors même que les liens économiques et politiques sont nombreux.
Consolider les points d’appui. La fin de la Françafrique est l’occasion de revoir la politique mondiale de la France. En Asie et en Amériques, où elle possède des territoires nationaux essentiels. En Europe, où le couple franco-allemand et la politique de défense européenne ont vécu. En Eurasie, qui redevient l’un des cœurs battants du monde. En Afrique même, où la France conserve des positions à affermir et pérenniser. La fin de la Françafrique ne signifie pas la fin de la France mondiale ni que la France n’ait encore des intérêts à défendre et à porter.
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