<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Éditorial : Le retour de l’ennemi

15 mai 2024

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Éditorial : Le retour de l’ennemi

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Éditorial de la Revue Conflits n°51, dont le dossier est consacré à la Pologne. 

Parmi les illusions perdues avec la guerre en Ukraine figure l’idée que nous pourrions vivre dans un monde sans ennemi. Cette idée née de l’universalisme s’est brisée sur la réalité de la guerre. L’ennemi est revenu au galop et avec lui sa réalité : il est intrinsèque au politique puisque la politique consiste à désigner un ennemi pour le combattre. Justification et raison d’être : s’il n’y a pas d’ennemi, alors il n’y a pas de politique.

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Visages changeants

Selon les camps et les positions, l’ennemi n’a pas le même visage. Là-bas, c’est l’OTAN et Washington, ailleurs, c’est la Russie et Poutine, mais ce peut être aussi l’islamisme ou l’Occident. Tout est question de regard et d’intérêt. Définir un ennemi, c’est d’abord se définir soi-même : l’ennemi ne peut être qu’absolu puisqu’il est tout ce que nous rejetons. Grand Satan pour les uns, Hitler pour les autres, la désignation de l’ennemi relève de la démarche politique et du combat polémique, il n’est pas de l’ordre du rationnel et de l’analytique. On n’analyse pas l’ennemi, on ne cherche pas ses cohérences et ses failles, ses ambiguïtés et sa part de vérité : on le simplifie et on le réduit à des slogans pour qu’il serve le jeu politique. Dans la désignation de l’ennemi, l’hypothèse, le doute, le « peut-être », le complexe n’ont pas leur place.À charge ensuite aux propagandistes de tenir leur rôle, c’est-à-dire de propager en maniant les leviers médiatiques. 

Retour de la peur

Dans la désignation de l’ennemi, les raccourcis et les manipulations historiques sont abondamment utilisés. Retour aux « années 1930 » ou à « Munich », retour perpétuel des « croisades » ou de la « guerre froide », peu importe que cela soit faux, ce qui compte c’est que cela engendre des réflexes intellectuels et permettent de se situer dans un espace-temps qui donne l’illusion de comprendre le présent quand il embrouille la réalité de notre monde. Mais désigner l’ennemi est essentiel au politique, car cela lui permet de justifier son existence, de mobiliser l’opinion, de lever des crédits, de créer une tension et un climat de peur. Longtemps, l’Union européenne a voulu exister sans ennemi, uniquement par les normes et le fonctionnement administratif. Puis la réalité est revenue : il y a désormais les ennemis officiels et les ennemis que tout le monde ressent, mais qu’il est encore interdit de nommer. 

Silence sur l’ennemi

Les pays européens augmentent les crédits militaires, achètent des armes, annoncent des investissements militaires massifs pour les années qui viennent. C’est oublier qu’à la guerre, l’armement est secondaire. Ce qui est premier, ce sont les hommes et l’idée qu’ils se font de leur vie et de leur mort. Pour faire la guerre, il faut des hommes jeunes et prêts à mourir pour une idée plus grande que leur vie. Les Européens peuvent bien réarmer, avec une population qui vieillit et un taux de fécondité qui s’effondre, ils n’auront jamais les moyens de faire la guerre. Tout le reste est pure spéculation. Personne ne fait la guerre pour des idées, ni pour la démocratie, ni pour la liberté. À moins d’être mercenaires et donc de vivre de la guerre, les armes sont sorties quand son foyer est attaqué, quand ses éléments vitaux sont menacés et donc qu’il y a plus à perdre à ne pas combattre qu’à combattre. 

Pour faire la guerre, il faut de l’argent, ce qui exclut de facto les pays surendettés, dont la France fait partie. Il faut aussi une indépendance énergétique et à cet égard avoir fermé les centrales nucléaires était la meilleure façon de se rendre impuissant. Pour combattre l’ennemi, il faut aussi ouvrir les yeux pour désigner le bon. L’armée étant au service de la nation, elle est inopérante si la nation n’existe pas. La fragmentation ethnique en France et en Europe rend de plus en plus caduque l’idée même de nation. Qui va mourir sur le front européen quand des pans du territoire français échappent au contrôle de l’État, parce qu’ils sont sous la tutelle des cartels de la drogue ou des bandes qui en ont fait leur territoire ? Cet ennemi-là, beaucoup le subodorent, mais le politique ne veut pas encore le nommer. L’ennemi est de retour, mais il ne faut pas encore le dire.        

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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