Economie de la religion en Afrique

16 octobre 2023

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Photo : La plage à Dakar (c) Pixabay

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Economie de la religion en Afrique

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L’économie de la religion peut-elle concourir à expliquer le niveau de pauvreté et d’inégalités en Afrique ? C’est l’un des objets d’étude de l’ouvrage Economie de la religion en Afrique, qui reprend des études et des monographies de plusieurs auteurs africains.

Analyse par Roger Antoine Pepin Tsafack Nanfosso (Université de Dschang, Cameroun) et Bruno Emmanuel Ongo Nkoa (Université de Yaoundé 2, Cameroun).

Résumé

Cet ouvrage rassemble des contributions théorique et empirique majeures et inédites sur l’économie de la religion en Afrique telle que perçue par la pensée critique économique, sociale, anthropologique et sociologique africaine. Le cordon ombilical théorique se fonde sur deux hypothèses fondamentales longtemps mises en exergue dans les travaux antérieurs. Premièrement, l’hypothèse de la croyance en une divinité physique ou morale en qui les humains enracinent leur foi. Deuxièmement, l’hypothèse de la sécularisation qui expose l’idée selon laquelle la croyance et les pratiques religieuses diminuent avec le niveau de développement économique et spécialement lorsque le revenu et le niveau d’éducation
augmentent. Ces hypothèses sont d’une manière ou d’une autre, reprises dans les articles soit explicitement ou implicitement. En général, les enseignements tirés de l’ensemble des contributions sont multiples. Deux nous semblent essentiels. D’une part, l’Afrique doit puiser dans ces traditions la religion la plus adaptée à son processus de développement économique. D’autre part, la liberté religieuse ne doit pas occulter les valeurs fondamentales qui régissent la vie des Hommes en société et partant assure la cohésion et l’inclusion sociale.

Introduction

L’ouvrage « Économie de la religion en Afrique : développements récents et trajectoires durables » apparait comme une réponse aux multiples questions que se posent les citoyens partout en Afrique et dans le monde. Parmi ces questions, certaines portent une valeur emblématique et holistique. Sans être exhaustif on peut avoir comme questions La foi est-elle un bien économique ? L’économie de la religion peut-elle concourir à expliquer le niveau de pauvreté et d’inégalités en Afrique ? La prêtrise ou la pastorale réduisent-elles le chômage en Afrique ? L’économie de la foi est-elle rationnelle ? La religion a-t-elle contribué au retard du développement économique de l’Afrique ? Le capital spirituel est-il distinct du capital physique, humain et financier ? Où en est le débat entre la tradition et la religion ? La magie est-elle importante ? Pourquoi l’effort de participation pécuniaire dans les églises est-il supérieur à l’effort fiscal chez les individus ? Le marché de la religion est-il parfait ? La nouvelle microéconomie et la nouvelle macroéconomie ont-t-elles contribué à l’essor de l’économie de la religion ? Quelles sont les dissonances et complémentarités entre l’économie de la religion et l’économie religieuse ? Qu’est-ce qui justifie la prolifération des églises aujourd’hui, particulièrement en Afrique ? Pourquoi les fidèles changent-ils tant d’églises de nos jours ?

Ce foisonnement de questions et bien d’autres témoignent de la pertinence de l’économie de la religion dans un monde qui traverse des crises multiformes. Freedman (2011) situe les débuts de la réflexion entre l’économie et la religion depuis les philosophes grecques. David Hume (1739) soutenait par exemple que la religion relève des passions de l’homme dans un état premier de développement de la société humaine. Plus la société humaine se développe, plus elle serait éduquée, rationnelle, scientifique ; et plus le lien entre la religion et l’économie serait faible. C’est peut-être pour cette raison que les économistes ont évité l’étude des comportements religieux soi-disant fondés sur une croyance subjective, un endoctrinement obligatoire et une irrationalité complète.

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Cependant, avec Adam Smith (1776), la religion ne saurait être un fait banal et négligé. Il la considère d’ailleurs comme un système productif. Smith en effet a offert deux grandes pistes à l’économie de la religion. La première concerne le comportement des producteurs et des consommateurs de biens religieux. Adam Smith, dans La Richesse des Nations, considère l’Eglise comme un producteur comme les autres et motivé par l’intérêt personnel. La seconde renvoie à l’efficience du marché. À ce niveau, l’analyse économique étend la théorie des marchés concurrentiels à l’offre de religion. Pour ce faire, les effets économiques de la situation de monopole, dans laquelle l’église, en tant qu’entreprise, se trouvait au Moyen Âge, constituent la base de l’analyse.

Plus de deux siècles après ces réflexions, précisément à la fin des années 1990, avec les travaux de Iannaccone (1998), est née la Nouvelle Économie de la Religion (NER) qui fait la parfaite distinction entre l’Économie de la Religion et l’Économie religieuse. En effet, « l’Économie Religieuse » consisterait à utiliser des idées religieuses pour fournir un commentaire social sur les systèmes ou les comportements économiques. « L’Économie de la Religion » par contre, est une branche de la science économique qui utilise la boite à outils et les méthodes de l’économie pour étudier la religion en tant que variable dépendante ou indépendante sur d’autres résultats socioéconomiques. Ce faisant, elle s’inspire d’idées puisées en microéconomie, macroéconomie, économie publique, économie du travail, organisation industrielle, économie de l’entreprise, économie internationale et du développement, et utilise des outils développés en théorie des jeux et en économétrie.

L’objectif de cet article est de faire la synthèse de l’ouvrage « Économie de la religion en Afrique : développements récents et trajectoires durables ». Il s’agit de manière spécifique d’expurger les différents enseignements et messages des contributions qui le constituent. La méthodologie employée repose sur un regard photographique des parties et des chapitres tel que structuré dans l’ouvrage. Ainsi, après cette introduction, la suite de l’article présente dans une première section la religion entre décision d’appartenance et financement des églises. Dans une deuxième section, la religion est analysée sous le prisme, la perception des miracles, les conflits et l’entrepreneuriat.

I/ La religion entre décision d’appartenance et financement des églises

En matière de pratique religieuse, tout commence par l’appartenance à une chapelle religieuse (1). Mais davantage, l’un des freins à l’émancipation de certaines communautés religieuses demeure le financement (2).

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1/ L’appartenance religieuse et le développement économique

L’appartenance religieuse et le développement économique vont-ils de pair ? À cette question, un ensemble de réponses contenues dans les cinq premiers chapitres que constitue la première partie de l’ouvrage. Comme une véritable porte qui s’ouvre au lecteur, TSAFACK NANFOSSO Roger Antoine Pépin analyse La culture africaine et l’économiste. L’auteur cherche à comprendre comment les croyances et valeurs africaines modèlent les paradigmes économiques à l’œuvre sur le continent. Pour y parvenir, il revisite préalablement la structuration économique de l’Afrique traditionnelle en se référant aux études historiques avant d’engager des discussions autour des croyances et valeurs culturelles africaines face aux défis contemporains auxquels le continent fait face. Suivant une démarche similaire, TSAFACK NANFOSSO Roger Antoine Pepin et ONGO NKOA Bruno Emmanuel étudient Les déterminants de l’appartenance religieuse au Cameroun. En se basant sur un ensemble de théories explicatives de l’économie de la religion, les auteurs utilisent les données de trois enquêtes camerounaises auprès des ménages ECAM-2, ECAM-3 et ECAM-4, réalisées respectivement en 2001, 2007 et 2014. Ils montrent que les déterminants économiques (le niveau de vie, le statut de l’emploi, le volume horaire de travail), les déterminants sociologiques (le sexe, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, la taille du ménage) et les déterminants géographiques (le milieu de résidence) expliquent l’appartenance religieuse au Cameroun. Dans un souci de continuité, l’article de NKOUMOU NGOA Gaston Brice, MAFANG Lionie et BOLO MBALA Michele Carmele intitulé L’appartenance religieuse explique-t-elle les revenus des travailleurs au Cameroun? conclut en utilisant les fonctions de gains corrigées du biais de sélection, que la religion explique significativement les différences de salaires observées sur le marché du travail.

Pour AVOM Désiré, ONGO NKOA Bruno Emmanuel et SONG Jacques Simon, l’appartenance religieuse peut influencer les niveaux d’investissement en Afrique. Ils apprécient cet effet dans un article intitulé L’appartenance religieuse est-elle source d’accroissement de l’investissement privé en Afrique ? Les auteurs partent des différentes dimensions de la religion et estiment un modèle en coupes transversales par les Moindres Carrés Ordinaires (MCO) en faisant la moyenne des données sur la période 2010-2020. Les résultats montrent que l’appartenance religieuse (Chrétiens, Musulmans, Bouddhistes, Indouistes) accroit l’investissement privé en Afrique. De manière spécifique, l’effet positif des chrétiens est plus élevé comparé aux musulmans, bouddhistes et indouistes.

En considérant la religion comme un capital, LEBOMO OKALA Michel et BITTING Cyrille Dominick écrivent un article intitulé Capital social-chrétien et bien-être optimal dans la ville de Yaoundé au Cameroun. Ils utilisent une méthodologie en deux étapes. Dans un premier temps, ils construisent des indices de capital social-chrétien et du bien-être optimal. Dans un deuxième temps, ils analysent l’effet du capital social-chrétien sur le bien-être optimal en utilisant le modèle Tobit. Les données de cette étude sont issues d’une enquête réalisée auprès de 841 chrétiens de la ville de Yaoundé. Les résultats montrent que, le capital social-chrétien étant mesuré par la solidarité, accroit le bien-être des populations.

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2/ Le financement des églises : politique durable ou enjeu de circonstance

Le financement des églises en Afrique de nos jours soulève un certain nombre de débats au confluent de la paupérisation accrue des fidèles et l’aisance financière et sociale des pasteurs ou dirigeants d’églises. Les cinq chapitres de cette partie apportent davantage d’analyses sur la problématique du financement des églises. L’article de Monseigneur ATANGA Joseph intitulé Les mécanismes de promotion de l’autonomie financière dans les églises d’Afrique, ouvre la partie. Dans ses écrits, l’auteur identifie les moyens par lesquels les églises peuvent mieux mobiliser des ressources économiques et financières pour financer leurs dépenses. Parmi ces ressources, l’auteur dénombre la mise en place des exploitations agricoles, la petite industrie, les services et les activités financières (épargne et placements en valeurs mobilières). L’optimisation des revenus issus de ces ressources est conditionnée par une gestion de qualité.

L’approche globale de Monseigneur ATANGA Joseph est traitée dans un cas spécifique par TCHAPCHET TCHOUTO Jules-Eric, NGOUYAMSA Valentin, GWOMPO DJOPKAP Stève et NGASSA Antoine-Marie dans un article qui a pour titre L’autofinancement durable des paroisses en Afrique : le cas des paroisses du diocèse de Bafoussam au sein de l’Église catholique. Leur démarche aborde en premier lieu les éléments de contextualisation liés à la gestion financière au sein de l’Église dans le Droit Canon, ainsi que des modalités d’administration, de contrats et de droit de cession. Ensuite, ils proposent une analyse des stratégies d’autofinancement ou de développement économique durable au sein des paroisses ou diocèses. Une catégorisation est proposée permettant de distinguer les paroisses en fonction des caractéristiques de niveau de revenus, fondée sur une segmentation selon le lieu de localisation urbaine ou rurale. Ce critère de segmentation permet de définir par ailleurs la zone administrative et de compétence de la paroisse ou du diocèse. Enfin, ils distinguent le cas des Œuvres Pontificales Missionnaires et des Congrégations Religieuses MOUDJOURI Bienvenue Merci, dans un article intitulé Les églises, les partenariats extérieurs et le développement socio-économique au Cameroun : étude à partir de la région septentrionale du Cameroun, défend la thèse selon laquelle les partenaires extérieurs sont des sources de financement des projets de développement socio-économiques de l’Église catholique et de l’Église Fraternelle Luthérienne du Cameroun (EFLC). Les résultats des analyses montrent que les investissements des partenaires extérieurs contribuent à l’amélioration de la sécurité sanitaire des populations, à l’éducation des enfants vulnérables, à l’amélioration de la production agropastorale et à la sécurité civique. Les investissements extérieurs sont pour ainsi dire un tremplin pour l’amélioration des conditions de vie des populations qui acquièrent consubstantiellement la dignité humaine.

En conciliant, le processus de financement des églises, BOUBAKARI MAWOUNE montre dans un article ayant pour titre Les pèlerins-commerçants et le développement économique dans le bassin du Lac Tchad : cas du Nord-Cameroun, que le voyage à la Mecque en tant que fait religieux crée des mobilités humaines internationales et participe à la diffusion des idées, de la culture islamique et des biens économiques entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe. Les revenus issus de ce tourisme religieux sont réinvestis dans le bassin du Lac Tchad, notamment au Nord-Cameroun où ils contribuent au développement économique local. Dans un article au titre révélateur, Marché de Dieu et pièges à argent : au cœur du mercantilisme religieux, socioanalyse à partir de l’expérience de l’Église catholique romaine camerounaise, ADILLY A SIADE Guillaume Patrick décrypte les logiques mercantilistes en cours au sein des paroisses et montre comment la séduction de l’argent s’érige parfois en norme au détriment de la foi, au point d’aboutir à des divisions. Un regard attentif posé sur les célébrations eucharistiques, les activités des groupes, conseils et mouvements paroissiaux qui sont par ailleurs des sites privilégiés d’observation, est frappé par les discours et les stratégies à connotation mercantiliste mobilisés et entretenus par le clergé et les fidèles pour la récolte de l’argent. Certains de ces pièges à argent fonctionnent si bien qu’ils sont souvent brandis comme conditions d’accès aux sacrements et à une assistance spirituelle.

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II/ La religion, foisonnement de miracles, de conflits ou outil d’entrepreneuriat

Les miracles sont différemment appréciés par les individus. Ils sont des sujets à débat, donc les conclusions sont non consensuelles. Cette deuxième partie met au cœur de l’analyse la perception des miracles, des conflits et la contribution de la religion à la construction d’une dynamique entrepreneuriale solide.

1/ Miracles et conflits analysés sous le prisme de l’économie de la religion

L’article de NGA Marie Constantin dans son intitulé Phénomène des églises guérisseuses et marché de la santé en Afrique subsaharienne, mobilise le néo-institutionnalisme et l’anthropologie politique comme modèles explicatifs du magico-religieux. L’hypothèse centrale postule que la prolifération des églises guérisseuses procède d’une coproduction de sens et de stratégies des fondements idéologiques de création de ces églises, dont l’évolution du marché de la santé, du secteur de la délivrance spirituelle, résulte d’une construction permanente de l’imaginaire de la sorcellerie. L’explication du spiritisme se confirme dans l’article de MENGUELE MENYENGUE Aristide Michel titré On ne développe pas une nation par miracle. Le business de l’onction, l’exploitation de la vulnérabilité sociale et le sous-développement au Cameroun (1990-2021). La problématique centrale est celle du rapport entre la rentabilisation économique de la vulnérabilité sociale par des entrepreneurs religieux d’une part et la politique de développement national d’autre part. À partir d’une des données collectées par l’analyse documentaire, l’observation directe et les entretiens, l’auteur montre que les velléités de rentabilisation économique de la vulnérabilité sociale en cours dans une frange importante d’entreprises religieuses sapent les efforts de développement. Manifestement, le business évangélique qui s’y développe contribue à affaiblir les liens sociaux et participe d’une volonté d’exploitation des vulnérabilités sociales qui coproduit, in fine une forme de socialisation à la culture du miracle.

En analysant l’impact des croyances et pratiques culturelles et religieuses sur l’économie, ABEGA MESSI Martin Ghislain écrit un article intitulé Croyances, pratiques et développement dans l’archidiocèse de Yaoundé. À partir des paroisses et territoires abritant des communautés anglophones et francophones dans l’archidiocèse de Yaoundé, cette étude compare la participation de chacune au développement économique à l’échelle micro. La comparaison est faite sur des communautés ayant plus ou moins les mêmes effectifs et caractéristiques socio-économiques. Elle révèle que les contributions financières des communautés anglophones aux quêtes dominicales et aux Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM) sont plus élevées que celles des communautés francophones. Cette différence est expliquée, par des croyances et pratiques. Tandis que les communautés anglophones développent le sens de la collectivité, celles francophones donnent place à l’individualisme. Continuant dans la même logique du miracle religieux, MBOG IBOCK Martin Raymond Willy et KETCHA TANTCHOU Rolinx écrivent un article titré Métanalyse de la prostitution chez/vers le dieu et les dieux de miracles des églises de réveil au Cameroun Après avoir mesuré l’essor et l’ampleur d’un phénomène et d’une pratique sociale en train de se répandre, l’article se veut être une critique hautement pamphlétaire, mais tout à fait circonvenue sur des processus de «marchandisation » à l’œuvre et sur les mécanismes par lesquels sont fabriqués et produits les miracles qui appâtent ces derniers. Partant de là, l’on est en droit de s’interroger sur la nature des rationalités qui structurent et accompagnent ce commerce des supposés miracles. Puisant dans la pure tradition des peuples de la région de l’Ouest-Cameroun, SOMENE KENE Merlin Valentin analyse dans un article intitulé Grottes sacrées, rites et activités économiques dans les chefferies bamilékées de l’ouest Cameroun. Pour cet auteur, au-delà de l’écotourisme lié à leur pouvoir attractif, de nombreux objets utilisés lors des rites font l’objet d’un commerce important ; en même temps, l’homme bamiléké sollicite souvent la bienveillance des divinités et des ancêtres dans ces sites sacrés pour protéger et fructifier sa richesse.

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L’analyse des conflits rentre dans le débat entre discrimination et religion. Pour lancer ce débat, l’article de KAMENI Désiré Marie, intitulé De la discrimination religieuse : une lecture rhétoricale de La Peste d’Albert CAMUS, plonge le lecteur dans les méandres de la lecture non profane d’une œuvre restée célèbre et qui analysait déjà en profondeur la question religieuse. Le champ de l’étude a été réduit à l’oraison principale du père Paneloux, un prêtre Jésuite. Issu d’une production littéraire engagée, ce texte-corpus introduit la problématique de l’aliénation religieuse. L’étude montre comment la structuration du discours selon les canons de la rhétorique traditionnelle construit la triade éthos, pathos et logos du locuteur. Sortant de ce bain de vapeur adoucissant, le lecteur retrouve l’article cliométrique de DONGMO Christophe intitulé Black Churches, religious discrimination, and the social determinism of Blackness in African–American history. Cet article examine comment les capacités d’adaptation des Afro-Américains asservis ont soutenu le développement d’une sphère distincte d’autonomie et de révolte. L’article montre en outre que les églises noires étaient une source de force qui a permis aux Afro-Américains de triompher de la tragédie collective de l’esclavage. Étant le principal véhicule pour l’exercice de l’agence noire, les églises noires étaient des institutions centrales au sein desquelles les Afro-Américains ont exprimé leur moi social et atteint l’autodétermination.

Pour expliquer les différences de niveaux de développement économique en Afrique, APISAY Eveline Ayafor et SOW Mahamadou Imrane écrivent un article titré Disparités économiques et pratiques mortuaires dans l’Égypte ancienne. Les auteurs montrent que pendant trois mille ans d’histoire, les Égyptiens anciens ont réalisé une civilisation particulièrement brillante et dont l’influence en Afrique noire et en Europe n’est plus à démontrer aujourd’hui. La richesse de cette civilisation reposait entre autres sur une intense activité économique fondée sur les croyances ; ce qui a vu naître une économie de redistribution qui faisait du paysan et de l’agriculture la base de la prospérité et des qualités morales de la société. Pour ASSANA Bello, la diversité culturelle ne saurait être une source de conflits car dans les sociétés africaines anciennes, les différends ont toujours été solutionnés par le dialogue. Il écrit un article intitulé Les mécanismes endogènes de la prévention et de la gestion des conflits dans la société Pérè du nord Cameroun : rupture et permanences. Cet article s’intéresse à l’examen des mécanismes de résolution traditionnelle des conflits. En ces temps où les violences et les guerres gagnent l’humanité, il n’est pas vain de rentrer dans le passé pour comprendre comment les peuples en général et les Pérè en particulier résolvaient les conflits à l’intérieur de leur communauté depuis les temps anciens.

2/ La religion entre dynamique entrepreneuriale et gouvernance

En parcourant les articles qui meublent la dernière partie de l’ouvrage, il ressort que l’entrepreneuriat ne dépend pas uniquement du facteur financier ou du capital humain, mais est fortement tributaire de la religion. Ainsi, ABADA Bonaventure et WANDJI Georges cosignent un article titré L’entrepreneuriat religieux : analyse d’une initiative individuelle de lutte contre le chômage au Cameroun de 1990 à 2020. L’objectif général de cette recherche est d’étudier le lien entre le taux de chômage élevé de la population en âge de travailler et la duplication des entrepreneurs religieux au Cameroun. Les entretiens semi-directifs ont été réalisés avec un échantillon composé de prêtres, pasteurs et croyants. La connaissance des stratégies nécessaires dans la création d’entreprises à caractère religieux s’est révélée moins décisive pour la motivation des entrepreneurs. Les données issues de l’enquête font
ressortir des besoins d’occupation accompagnés des facteurs d’ordre matériel et pécuniaire.
En abordant la question de la gouvernance, OKERE ATANGA Donald, BELOMO ONGUENE Marie Laure et TEKAM OUMBE Honoré étudient l’Effet de la religion sur l’autonomisation politique des femmes dans les pays en développement. Pour y parvenir, ils utilisent les données en moyenne groupées estimées à l’aide des Moindres Carrés Ordinaires sur la période 1990-2019. Les résultats montrent que les pays à obédience religieuse catholique favorisent l’autonomisation de la femme au détriment des pays dits musulmans. Cependant, en utilisant la décomposition de Blinder et Oaxaca, l’étude montre que certains facteurs inobservables peuvent expliquer les écarts d’autonomisation de la femme entre chrétien et musulman.

À la suite de ce travail, et partant de la relation originelle entre religion et gouvernance, MEYONGO NAMA Engelbert écrit un article intitulé Économie de la religion et gouvernance. Pour l’auteur, l’inattendu rapprochement entre économie et religion a fait dire à certains chercheurs que la religion dans sa définition ne peut rien apporter à la science. Pourtant Adam Smith et Max Weber ont montré le rôle capital qu’a joué la religion dans le capitalisme moderne. Inversement, face aux dérives réelles constatées dans les milieux religieux, le salut de la religion viendrait de l’économie à travers ses méthodes et ses techniques, lesquels s’appuient sur la gouvernance pour assainir l’administration des biens par l’insistance sur la règle de droit et la reddition des comptes.

Les analyses précédentes s’inscrivent dans une logique heuristique unique qui est complétée par l’article de WOTCHOKO Renaud Armand ayant pour titre Économie multisyncrétique religieuse et diligence au Cameroun. L’auteur montre que l’extrême diversité d’appartenance
multisyncrétique témoigne aujourd’hui de l’appropriation différentielle par les sociétés locales camerounaises de ces systèmes multisyncrétiques religieux à visée « universaliste », d’où le problème du rapport entre la pratique multisyncrétique religieuse, la diligence et la productivité. Pour compléter l’analyse, NAKOU Zinsou Daniel et SIMEN NANA Serge Francis écrivent un article titré Contribution de la religion à la gouvernance des entreprises béninoises : antécédents des réactions des employés pratiquants sous le prisme de la centralité du modèle exit voice loyalty neglect. Les données de l’article proviennent d’entretiens semi-directifs réalisés sur la base d’un guide d’entretien établi et adressé à un échantillon constitué de 25 employés-pratiquants au sein de 10 entreprises béninoises dans la ville de Cotonou. Ces données ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique suivant une démarche de codage primaire et axial. Aussi, le traitement de ces données par le logiciel NVivo 10 a-t-il permis de réaliser que les antécédents des réactions des employés-pratiquants sont positivement liés dans la relation religion-gouvernance d’entreprise.

Pour terminer, l’article de TSAFACK NANFOSSO Roger Antoine Pépin titré Bref propos sur la conception du paradis dans la religion traditionnelle africaine, invite le lecteur à se poser la question fondamentale et toujours d’actualité : nos traditions sont-elles porteuses d’espoir sur le chemin du paradis ? Pour y répondre, l’auteur revisite l’analyse des religions traditionnelles africaines (RTA) sur plusieurs angles, en l’occurrence (i) l’existence d’une vie dans l’au-delà ou de la vie après la mort (ii) l’accès au paradis comme une récompense de bonnes œuvres de l’Homme menées sur terre (iii) le culte des ancêtres dans les RTA et (iv) l’intermédiation paradisiaque. À travers les liens multiniveaux, le monde des « Esprits » dans les RTA reconnait toujours la place prépondérante d’un Dieu créateur et Tout Puissant qui allie sagement les belles œuvres des hommes pour un salut éternel.

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Conclusion

Dans cet article qui s’apparente à une note de synthèse des contributions contenues dans l’ouvrage collectif « Économie de la religion en Afrique : développements récents et trajectoires durables », nous y avons repris les messages clés assortis des analyses méthodologiques.  L’Afrique, berceau de l’humanité, ne saurait être oubliée lorsqu’on parle des problématiques liées à la Religion, aux croyances et aux miracles. Rapprocher la religion du développement est à notre sens pertinent dans la mesure où certains trouvent dans les faits religieux une source d’enrichissement tandis que d’autres y voient un épanouissement de l’esprit orientant par conséquent à un bonheur partagé et à une meilleure production nationale. La lecture de chaque article est une source riche d’information scientifique qui contribue à prolonger les analyses dans un domaine souvent mis de côté à tort ou à raison selon que l’on se trouve parmi les partisans de la pratique religieuse ou pas. In fine, cet ouvrage n’est qu’un pavé jeté dans la marre pour susciter chez tout scientifique ou non, dans toute audience religieuse un approfondissement du thème.

Références

Friedman, B. M. (2011). Economics: a moral inquiry with religious origins. The American

Economic Review, 101(3): 166-170.

Hume, D. (1739). A tretise on human nature. Clarendon Press.

Iannaccone, L.R. (1998). Introduction to the economics of religion, Journal
of Economic Literature
, 36(3), 1465-95

Smith, A. (1776). An inquiry into the nature and causes of the wealth of nations: Volume One. London: printed for W. Strahan; and T. Cadell, 1776.

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