<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Jules Dumont D’Urville, la France en mer

12 octobre 2021

Temps de lecture : 6 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Jules Dumont D’Urville, la France en mer

par

Marin, botaniste, ethnologue, explorateur, Jules Dumont d’Urville s’inscrit dans la lignée des Français qui ont sillonné mers et océans. Il est l’un des derniers à avoir navigué à la voile, ouvrant des routes nouvelles dans les mers océaniennes.

Sa vie débute de façon ordinaire. Il naît en 1790, sous la Révolution, dans une vieille famille du Calvados. Orphelin très jeune, il est élevé par son oncle, l’abbé de Croisilles, chanoine de la cathédrale de Caen. Ce dernier l’initie à la botanique et lui donne le goût de la science et de la biologie. Le jeune Dumont d’Urville décide alors de s’engager dans la marine, non pour conduire des guerres et des batailles navales, mais pour mener des expéditions scientifiques et découvrir de nouvelles terres. Voilà vingt-trois ans que La Pérouse a disparu en mer, mais son souvenir demeure fort et ses relations de voyage continuent d’irriguer les imaginations de ceux qui rêvent d’expéditions ultra-marines. Il a 17 ans en 1811 quand il rejoint Brest pour monter sur son premier bateau. Passant concours et examen, il monte en grade et peut rejoindre la base de Toulon pour participer à des expéditions en Méditerranée. C’est là qu’il rencontre une jeune fille, Adèle Pépin, qu’il épouse en 1815. La Méditerranée est un cadre trop étroit pour lui qui souhaite atteindre les horizons lointains de l’océan Indien et du Pacifique. Apprenant en 1816 que Louis de Freycinet prépare une circumnavigation, il tente de se faire embaucher pour en rejoindre l’état-major. C’est un échec, il ne sera pas de ce voyage-là. Freycinet avait déjà exploré les terres australes (1800-1803), s’aventurant dans la région de l’Australie et des Samoa, renouant ainsi avec les explorations de La Pérouse et de Bougainville. L’expédition Freycinet permit de compléter les connaissances déjà acquises et de relancer le mouvement français des navigations mondiales. Si ce refus empêche le départ de Dumont d’Urville, il lui permet en revanche de disposer de temps pour retourner à ses études et parfaire sa connaissance des sciences naturelles et de l’astronomie. Partie remise donc, en attendant le grand départ.

De la Vénus de Milo aux danses polynésiennes

Sa première expédition scientifique le conduit en mer Noire et dans les îles grecques. Il est notamment chargé d’effectuer des relevées archéologiques et botaniques, dans la grande tradition des expéditions scientifiques conduites par ses prédécesseurs, telle l’expédition d’Égypte de 1798. La fin de l’Empire, la paix retrouvée, la volonté de Louis XVIII de renouer avec la grandeur scientifique de la France conduisent à cette floraison d’expédition maritime. À cela s’ajoute le mouvement romantique de redécouverte de la Grèce qui passe par l’archéologie et la création de nombreuses sociétés savantes qui collationnent et diffusent les découvertes réalisées. Ces expéditions ne visent pas tant à coloniser, comme ce fut le cas à partir des années 1880 qu’à découvrir et à connaître. C’est durant son expédition de 1820 que Dumont d’Urville apprend l’exhumation d’une statue grecque à Milo. Conscient de la valeur de celle-ci, il insiste auprès de l’ambassadeur français à Constantinople pour qu’elle soit achetée et organise ensuite son transport jusqu’à Paris, où elle est déposée au Louvre. Le moment espéré d’un tour du monde naval arrive enfin en 1822 quand il peut embarquer comme second avec le capitaine Duperrey à bord de la Coquille. C’est son premier tour du monde, il en fit trois en tout, un record. Le voyage de la Coquille dura jusqu’en 1825, amenant notamment l’équipage aux Malouines et à Tahiti. Ce voyage est le premier à avoir adopté les méthodes préconisées par Nicolas Appert pour la conservation des aliments, évitant un certain nombre de maladies. Duperrey peut s’enorgueillir de n’avoir eu aucun mort et d’être revenu, chose rare, avec l’intégralité de son équipage. Pour Dumont d’Urville, c’est le premier contact avec les grandes expéditions scientifiques, les relevés botaniques et vétérinaires, les découvertes anthropologiques et ethnologiques. Il rencontre les mers du sud, la variété des îles et des archipels, la diversité des peuples, certains anthropophages, d’autres hospitaliers. C’est pour lui une expédition fondatrice et essentielle pour la suite de sa carrière. Il rembarque dès l’année suivante, cette fois-ci comme capitaine, pour ce qui est déjà son deuxième tour du monde.

A lire également : L’Empire des mers, atlas historique de la France maritime, de Cyrille Coutansais

L’Astrolabe et la Polynésie

Il repart avec la Coquille, désormais renommée L’Astrolabe, comme le navire de La Pérouse, avec pour mission d’explorer l’océan Pacifique et de retrouver le lieu d’échouage de La Pérouse. En trouvant les restes de l’expédition à proximité de l’île de Vanikoro, Dumont d’Urville est celui qui réconcilie l’histoire avec le présent. Une partie du mystère La Pérouse étant levé, il peut prendre sa suite et dépasser celui qui fut un pionnier. L’expédition permet en outre de reconnaître des points du globe jusqu’alors inconnus, notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée où il relève les côtes de trois grandes îles. Il fixe la position de près de 200 îles, dont un grand nombre n’avait encore jamais été cartographié, faisant entrer ces lieux dans le champ de la connaissance humaine. Durant l’expédition, il fait procéder à un relevé des côtes de la Nouvelle-Zélande et à une exploration des îles Tonga et des Moluques. Ces découvertes permettent d’organiser l’Océanie en distinguant la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie. À son retour en France en 1829, il rapporte objets, croquis, dessins et notes, déposés au Muséum d’histoire naturelle. Cette expédition a permis de faire progresser la science de la botanique, de la géographie et de l’ethnologie. Un rapport de ce voyage est publié en 17 volumes, agrémenté de planches descriptives. La Société de géographie de Paris étoffe ainsi ses connaissances. Il lui faut ensuite patienter jusqu’en 1837 pour effectuer un troisième voyage au long cours, avec cette fois-ci l’Antarctique en ligne de mire.

Antarctique et Terre Adélie

Il quitte Toulon en 1837, toujours à bord de L’Astrolabe, mouille dans la baie de Rio de Janeiro, longe la Terre de Feu et progresse vers les glaces de l’Antarctique. Si Louis-Philippe avait exploré le pôle Nord durant sa jeunesse, c’est à lui que le roi confie l’expédition au pôle Sud. Dumont d’Urville retrouve les mers australes qu’il avait traversées huit ans auparavant : les îles Marquises, Vanikoro, Bornéo, Jakarta, Sumatra. À Hobart, où il est contraint de laisser des hommes atteints par la maladie, il apprend que des capitaines anglais s’aventurent vers le pôle Sud. Ne voulant pas laisser à Londres la primeur de cette découverte, il modifie ses plans et fait cap vers le sud. Le navire de bois et de toile affronte les mers de glace, les icebergs, les vents violents et les températures négatives. L’équipage a déjà été fortement décimé par la mort et la maladie. Les marins se trouvent en terre inconnue : aucun navire n’est venu dans ces mers avant eux ; ils sont les premiers à sillonner ces espaces où la glace se mêle au gel et aux tempêtes. Parti le 1er janvier 1840, il leur faut attendre le 20 janvier pour apercevoir de nouveau la terre qui, en fait de terre, est un immense ruban de glace et de neige battu par les vents. Le bateau est à proximité du pôle Sud magnétique ; ils sont les premiers hommes à atteindre cette partie du globe. Le 22 janvier, les deux canots détachés de L’Astrolabe atteignent le « Rocher du Débarquement », point le plus élevé de ce groupe d’îlots que Dumont d’Urville a baptisé « îles Dumoulin » en hommage à son hydrographe Vincendon-Dumoulin qui a fixé la situation du pôle Sud magnétique. Ils y plantent le drapeau français et, après être les premiers à fouler ce sol, ils organisent des prélèvements d’algues, de roches et d’animaux afin de compléter leurs connaissances scientifiques. En l’honneur de sa femme, Adèle, Dumont d’Urville baptise ce lieu « Terre Adélie ». L’expédition y reste une dizaine de jours, organisant cartographie, prélèvements et reconnaissances. Le 1er février signe le départ définitif de ce lieu qu’ils furent les premiers et pour longtemps les derniers à avoir exploré. Revenus à Hobart le 17 février, ils poursuivent le voyage avec l’exploration de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calédonie et une escale à l’île Maurice. Puis c’est le retour en France, rapportant avec eux des découvertes scientifiques inestimables. De retour à Paris, Dumont d’Urville s’occupe du traitement des données récoltées et de la publication de l’ouvrage relatant son expédition. Il est reconnu, décoré et célébré mais il lui reste encore beaucoup à faire. Sa mort tragique renforce le mythe autour de sa vie. Il décède brutalement, avec sa femme et l’un de ses fils, dans la catastrophe ferroviaire de Meudon du 8 mai 1842. Enterré à Paris avec les honneurs, il est reconnu comme étant celui qui a ouvert des horizons nouveaux.

A lire également : Le Pacifique, 5e continent de l’art international

La postérité d’un pionnier

Outre ses découvertes, sa postérité est essentielle. Dumont d’Urville a renoué avec la tradition scientifique et exploratrice de la France, qui s’était étoffée tout au long du xviiie siècle, avant de connaître un arrêt avec la Révolution. La Pérouse et Bougainville, pour les plus connus, mais aussi Kerguelen. Après Dumont d’Urville, les bateaux n’ont cessé de se moderniser, avec l’apparition de la marine à vapeur et l’amélioration des instruments de navigation. La géographie est devenue une science à part entière, désireuse de découvrir le monde, de le cartographier, d’en comprendre les espaces et les organisations. Nombreux sont les héritiers français de Dumont d’Urville tout au long du xixe siècle, aussi bien dans les îles de Polynésie, qu’en Asie et en Afrique. Si cela s’est un temps mêlé avec le désir colonial de domination, l’exploration scientifique a permis de connaître aussi bien les espaces naturels que les diversités humaines. Cela s’accompagne de l’essor des musées : Musée de l’homme, musée Guimet, Muséum d’histoire naturelle, collections géologiques et botaniques, qui permettent de conserver, classifier, étudier et faire découvrir au plus grand nombre les fruits des recherches et des expéditions. À cela s’ajoutent les récits d’aventures et d’explorations qui, avec le développement des imprimés et notamment des impressions en couleur, offrent à tous d’explorer le monde depuis chez soi.

Les grandes expéditions polaires françaises initiées par Dumont d’Urville ont repris à la fin du xixe siècle, d’abord avec Jean-Baptiste Charcot, à bord du Pourquoi-Pas ?, puis avec Paul-Émile Victor, son disciple, et Jean Malaurie, qui fut lui-même l’élève d’Emmanuel de Martonne. Toujours la volonté de connaissance, de découverte, de rencontres avec les peuples et de compréhension de leurs cultures et de leurs rites. Ces explorateurs témoignent de la chaîne scientifique nécessaire pour mener à bien de telles expéditions, de la volonté politique et de l’audace indispensable pour partir en des lieux inhospitaliers et dangereux.

Mots-clefs :

Temps de lecture : 6 minutes

Photo :

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

Voir aussi

Pin It on Pinterest