<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Serguei Lavrov, entretien à la BBC

27 juin 2022

Temps de lecture : 14 minutes

Photo : (C) : Russian Foreign Ministry/TASS/Si/SIPA

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Serguei Lavrov, entretien à la BBC

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Serguei Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie, a accordé un entretien à la BBC le 17 juin dernier, dans le cadre du Forum économique de Saint-Pétersbourg. Premier entretien à un média occidental depuis l’invasion de l’Ukraine, celui-ci permet de percevoir la vision russe et la rhétorique utilisée par le gouvernement de Moscou. Nous en publions une version traduite, comme document pour mieux comprendre l’argumentation russe.

La traduction est réalisée à partir des sous-titres en anglais de la BBC. L’entretien a été réalisé en russe par le journaliste Steve Rosenberg. La version originale est à retrouver ici.

BBC : M. Lavrov, merci d’avoir trouvé le temps de me parler. Avant que le président Poutine ne prenne la décision d’annoncer le début de l’opération militaire spéciale, comme il l’appelle, vous a-t-il demandé votre avis si c’était une bonne idée ?

Sergueï Lavrov : Un mécanisme de prise de décision existe dans chaque État, et dans ce cas, le mécanisme de la Fédération de Russie a été mis en œuvre dans son intégralité.

BBC : Mais vous a-t-il demandé conseil ?

Sergueï Lavrov : Je vous l’expliquerai encore. Il y a des choses que nous ne disons pas publiquement. Il y a un mécanisme pour la prise de décision et ce mécanisme a été pleinement respecté.

BBC : Je vous le demande parce que vous êtes ministre des Affaires étrangères depuis 18 ans et envahir un pays souverain voisin est une affaire étrangère. Le président savait probablement qu’il y aurait de graves conséquences internationales. Donc je présume qu’il vous a demandé conseil ?

Sergueï Lavrov : Steven. Vous êtes un journaliste très expérimenté, vous connaissez la réalité de la Russie et de la région postsoviétique. Votre question donne l’impression que vous voulez tout oublier, elle fait penser à la cancel culture. Annuler tout ce qui s’est passé avant le 24 février.

BBC : Je voulais juste clarifier quel était votre rôle dans cette décision.

Sergueï Lavrov : Depuis huit ans, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Défense et les services russes réclament l’application des accords de Minsk qui ont été unanimement approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU. Pendant huit ans, nous avons réussi à convaincre les Républiques populaires de Donetsk (RPD) et Louhansk, qui, souvenez-vous, en 2014, en réponse au soulèvement néo-nazi à Kiev, ont déclaré leur indépendance. Nous les avons persuadées de signer les accords de Minsk qui garantissaient l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine. Et maintenant, Scholz (le chancelier allemand) explique : « nous avons besoin de forcer la Russie à atteindre un accord avec l’Ukraine qui respecte l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine ». J’ai l’impression qu’il vit sur une autre planète, quelque part dans l’espace. Nous avons essayé pendant huit ans d’appliquer ces accords.

BBC : La situation a changé il y quatre mois.

Sergueï Lavrov : Non la situation n’a pas changé. Nous sommes revenus au point de départ, c’est-à-dire quand les accords de Minsk ont été signés. Protéger les populations russes au Donbass : ceux qui ont été trahis par les Allemands, les Français et les Britanniques qui étaient impliqués dans ces accords évidemment. Tous nos collègues occidentaux nous ont dit « on ne peut pas forcer Kiev à appliquer les accords de Minsk ».

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BBC : Si le but est de protéger les Russes au Donbass, alors pourquoi dans les quatre mois depuis le début de l’opération militaire spéciale, plus de civils ont été tués dans lesdites RPD et RPL que toute l’année dernière.

Sergueï Lavrov : Vous avez probablement regardé les reportages de la télévision allemande, de l’ARD et des principaux canaux français, qui ont diffusé cette semaine qu’en conséquence des bombardements des forces armées russes, une maternité et un marché de Donetsk ont été attaqués et des douzaines de civils ont été tués. Sans un moment d’hésitation, ils ont dit que les armées russes en étaient responsables. Même chose quand la gare de Kramatorsk a été frappée, ils ont désigné la Russie, alors que des journalistes occidentaux ont prouvé que l’obus a été lancé depuis un territoire contrôlé par l’armée ukrainienne.

BBC : Mais expliquez-moi. L’année dernière sept civils ont été tués. Chaque mort est une tragédie. Mais ce n’est pas un génocide comme les dirigeants russes le disent souvent. Dites-moi s’il vous plaît, en gardant en tête ces chiffres, comment pouvez-vous dire que c’était une raison valable d’envahir l’Ukraine ?

Sergueï Lavrov : Nous n’avons pas envahi l’Ukraine, nous avons lancé une opération militaire spéciale parce que nous n’avions pas d’autres moyens d’expliquer à l’Ouest qu’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN était un acte criminel. L’Ouest aidait et nourrissait un régime ouvertement néo-nazi, dont le Président disait en septembre dernier, vous ne le dîtes jamais à vos auditeurs, que si quelqu’un en Ukraine se sent russe, alors il devrait partir et vivre en Russie. Il l’a dit publiquement. Quand un correspondant de CNN lui a dit que le bataillon Azov était, dans différents pays occidentaux, listés comme un groupe terroriste extrémiste, aux États-Unis et à un certain moment au Japon, Zelensky a haussé les épaules et a dit « Oui nous avons beaucoup de ces bataillons et de ces régiments, ils sont comme ils sont ».

BBC : Regardons les conséquences de la guerre. Quatre mois se sont déjà écoulés. Les résultats ? Des milliers de civils tués, plus de 14 millions d’Ukrainiens forcés de quitter leurs foyers, des pertes significatives au sein des troupes russes et de nombreuses sanctions contre la Russie. Pensez-vous toujours que c’était une bonne décision ?

Sergueï Lavrov : Je vous le dis encore. Nous n’avions pas d’autres choix. Nous l’avons expliqué des milliers de fois. Le régime de Kiev attaque des civils pacifiques, des villes, avec vos armes, des armes occidentales, de la même manière qu’il le faisait en 2014, quand les chefs du coup d’État sont arrivés au pouvoir ; quand ils ont bombardé le centre de Louhansk avec des avions, quand ils ont tué 50 personnes dans un feu à Odessa. Qui se souvient de cela maintenant ?

BBC : Monsieur Lavrov, si vous n’aviez pas attaqué l’Ukraine, il n’y aurait pas d’armes occidentales.

Sergueï Lavrov : Non. Nous n’avons attaqué personne. Des Russes étaient attaqués en Ukraine. Imaginez un peu. Vous êtes anglais n’est-ce pas ?

BBC : Je vous ai donné les chiffres. Huit civils tués l’année dernière.

Sergueï Lavrov : Je vous dis que le régime de Kiev envoie des obus sur ses propres citoyens. Et que vous leur vendez des armes pour qu’ils continuent à le faire. Et tant que nous parlons de génocide… êtes-vous anglais ? Imaginez ce qui arriverait si, en Irlande – dans la république irlandaise, pas l’Irlande du Nord, imaginez s’ils interdisaient la langue anglaise. Comment les Anglais réagiraient ?

BBC : Ils n’auraient définitivement pas envahi l’Irlande. Et le russe n’est pas interdit en Ukraine.

Sergueï Lavrov : Attendez. Donc ça ne vous aurait pas humilié ? La langue russe est interdite en Ukraine.

BBC : Vous dites qu’on n’est pas autorisé à parler russe en Ukraine ?

Sergueï Lavrov : Essayez de parler russe dans la rue à Kiev quand certains types de jeunes personnes sont dans les parages. Essayez.

BBC : Pourquoi pensez-vous que l’OTAN est une menace ? Pourquoi les Russes parlent si souvent des cinq vagues d’élargissement de l’OTAN ?

Sergueï Lavrov : Je pense que l’OTAN est une menace parce que depuis longtemps nous sommes des amis proches de la Serbie par exemple. Ils nous ont dit ce qu’était l’OTAN. En Afghanistan, nous avons des relations avec presque tous les groupes ethniques. Ils nous ont aussi dit ce qu’était l’OTAN, comment les forces de l’OTAN ont bombardé une cérémonie de mariage juste parce qu’ils se demandaient : « pourquoi les gens se réunissent-ils là ? » et ils ont pensé qu’ils devraient bombarder juste au cas où.

BBC : Mais avant l’annexion de la Crimée, il n’y avait pas de forces de l’OTAN en Europe de l’Est.

Sergueï Lavrov : Je vous dis pourquoi l’OTAN est une menace. Parlez aux gens d’Iraq, de Libye, dont les pays ont été complètement détruits. Et après cela, l’OTAN se revendique toujours comme une alliance défensive. Ils nous disent : « ne vous inquiétez pas, l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas une menace pour la Fédération de Russie ». Avec tout le respect que je dois à nos collègues de l’OTAN, la Russie a le droit de décider ce qui est une menace pour sa sécurité et ce qui ne l’est pas, vous ne croyez pas ?

BBC : Avant l’annexion de la Crimée en 2014, il n’y avait pas de forces de l’OTAN en Europe de l’Est.

Sergueï Lavrov : De plus, il n’y a pas eu d’annexion de la Crimée non plus.

BBC : Après cela, en 2016, ils sont arrivés. 4500 après l’annexion de la Crimée. Ensuite, cette année, après le 24 février, 40 000 à cause des actions de la Russie.

Sergueï Lavrov : Steven, vous êtes un type intelligent.

BBC : Je regarde les faits.

Sergueï Lavrov : Ce sont des faits, bien sûr. Je vais vous donner des faits différents. Toutes vos analyses sont basées sur la cancel culture. Vous annulez tout ce qui est arrivé avant l’évènement dont vous parlez. Invasion, annexion… Qu’est-il arrivé le 21 février 2014 en Ukraine ? Nous appelons ça un coup d’État, comment l’appelez-vous ? Nous l’appelons un coup d’État qui est arrivé un jour après que la France, la Pologne et l’Allemagne ont signé un accord entre le Président de l’époque et l’opposition. Le jour d’après, les chefs de l’opposition n’en avaient rien à faire de la France, de la Pologne et de l’Allemagne qui se sont écrasées. Nous appelons ça un coup d’État, comment appelez-vous ça ?

BBC : Mais ces évènements d’il y a huit ans vous donnent-ils le droit de faire ce que vous faîtes maintenant ?

Sergueï Lavrov : Ce n’est pas à propos du droit de faire quelque chose. Je veux vous entendre sur ce point, pour que vous me disiez honnêtement. Nous appelons cela un coup d’État. Comment l’appelez-vous en Grande-Bretagne ?

BBC : C’est moi qui fais l’interview M. Lavrov.

Sergueï Lavrov : Bien sûr, mais je veux que vous compreniez notre logique. J’ai répondu clairement. Afin que vous puissiez me dire clairement de quoi vous êtes en train de parler.

BBC : Je veux comprendre votre logique. Vous dîtes que l’OTAN est une menace. Vous dîtes qu’il y a trop d’OTAN à vos frontières. Mais maintenant, à cause de vos actions, de nouveaux pays vont rejoindre l’alliance. La Finlande et la Suède.

Sergueï Lavrov : La Finlande et la Suède sont sous l’emprise des Anglo-Saxons depuis longtemps maintenant, alors que l’Union européenne et l’OTAN se sont rapprochées. L’Union européenne est en train de perdre son importance.

BBC : N’est-ce pas un échec pour la diplomatie russe ? (La Suède et la Finlande dans l’OTAN)

Sergueï Lavrov : La Suède et la Finlande exercent leurs droits souverains comme il sied à leurs gouvernements. Ils ne prennent pas non plus en considération l’opinion de leur population, de la même manière que l’OTAN ignore l’opinion de beaucoup de gens dans différents pays quand elle effectue ses missions.

BBC : Donc ce n’est pas une menace pour la Russie.

Sergueï Lavrov : Nous verrons ce qui se passera. Nous avons dit plusieurs fois, que quand et si la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN, nous voulons voir ce qui se passera réellement sur le terrain. Est-ce qu’il y aura des armes envoyées là-bas, des bataillons de l’OTAN basés là-bas, et je vous assure que personne n’écoutera les Européens et personne n’écoutera la Finlande et la Suède. Ils nous disent : « Nous n’aurons pas de troupes étrangères et de bases militaires ». Mais le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin a dit que les États-Unis planifiaient d’augmenter leur présence militaire en Europe. « Nous n’avons pas décidé encore si cela sera permanent, s’il y aura une rotation, ou une rotation permanente » a-t-il dit. Il n’a pas dit quelque chose comme « nous avons besoin de consulter nos alliés européens ». Il ne veut pas écouter les alliés européens. Il l’a décidé. Il a annoncé que la décision sera prise à Washington.

BBC : La Russie dit qu’elle combat les nazis en Ukraine.

Sergueï Lavrov : Non, en Ukraine, ils ne combattent pas les nazis. En Ukraine, les nazis sont florissants.

BBC : Écoutez ce que la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a dit en mai, dans le cadre de la mission de suivi. Elle a dit que dans le village de Yahidne dans la région de Chernihiv, 360 résidents, dont 74 enfants et cinq personnes avec des handicaps, ont été contraints par les forces armées russes de rester pendant 28 jours dans la cave d’une école. Il n’y avait ni accès aux toilettes ni accès à l’eau. Dix personnes âgées sont mortes. Est-ce que vous appelez cela combattre les nazis ?

Sergueï Lavrov : Malheureusement les diplomates internationaux dont la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, et à mon grand regret, le secrétaire général de l’ONU et les autres représentants de l’ONU, agissent sous la pression de l’Ouest. Et très souvent ils sont utilisés pour amplifier les fake news diffusées par l’Ouest.

BBC : Donc encore une fois, la Russie est irréprochable ?

Sergueï Lavrov : Non, la Russie n’est pas irréprochable. La Russie est ce qu’elle est. Et nous n’avons pas honte de montrer qui nous sommes.

BBC : Qu’est-ce que la Russie ? Qui êtes-vous ?

Sergueï Lavrov : Puis-je vous demander, pour que je puisse comprendre la politique de votre média, si vous avez couvert la tragédie de Bucha ? La tragédie mise en scène ? Vous avez probablement dit que c’est la Russie qui en est responsable, n’est-ce pas ? Mais le journal Guardian à Londres a eu accès aux premières conclusions des examens médico-légaux, qui ont montré que la vaste majorité des corps qui ont été montrés sur tous les écrans de télévision à travers le monde avaient des blessures issues d’obus d’artillerie.

BBC : Dites-moi quel est le but de l’opération. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

Sergueï Lavrov : Nous n’avons pas beaucoup de temps, mais vous ne voulez pas dire pourquoi, constamment, pour n’en dire pas plus, vous ne dîtes pas la vérité. Je vous ai posé la question, comment la BBC a-t-elle couvert la situation à Bucha ?

BBC : Je ne suis pas à Bucha. Je suis en Russie et c’est pourquoi je vous pose des questions sur la position de la Russie. Je veux vous demander, est-ce que le but de l’opération a changé ? Parce que le but de l’opération, comme le Président l’a expliqué, c’est le changement de régime. N’est-ce pas vrai ?

Sergueï Lavrov : Le but de l’opération est de protéger les droits des Russes qui pendant huit ans ont été complètement ignorés, non seulement par le régime de Kiev, mais par le monde occidental civilisé, qui a refusé d’appliquer les accords de Minsk.

BBC : Le 25 février le Président a dit…

Sergueï Lavrov : Si vous ne voulez pas protéger les droits des Russes dans le Donbass en s’assurant que Kiev applique la résolution du conseil de sécurité de l’ONU, alors nous assurerons les droits des Russes nous-mêmes. Et c’est ce que nous faisons.

BBC : Le 25 février le Président a fait un appel aux soldats ukrainiens. Il a dit : « emparez-vous du pouvoir. Il semble qu’il sera plus facile pour nous de se mettre d’accord avec vous qu’avec ce gang de drogués et de néo-nazis qui se sont installés à Kiev. » Cela ressemble à un appel direct au soulèvement militaire.

Sergueï Lavrov : Non cela ressemble à un appel direct à respecter le serment militaire et à ne pas servir les nazis qui interdisent tout ce que le régime n’aime pas, dont l’éducation, la culture et les médias russes. La BBC n’est pas interdite en Ukraine parce que vous ne révélez pas la vérité, c’est-à-dire ce qui se passe là-bas depuis huit ans. Je vous ai demandé : êtes-vous, ou l’un de vos collègues, allé au Donbass quand les civils étaient bombardés par les troupes de Kiev pendant huit ans ?

BBC : Notre équipe, depuis six ans, a contacté plusieurs fois le gouvernement des Républiques populaires auto-proclamées de Donetsk et Louhansk et a demandé la permission d’y aller et voir ce qu’y s’y passe. On nous a toujours refusé nos demandes. Je pense que s’il y avait vraiment un génocide là-bas, alors ils auraient voulu que l’on vienne et que l’on voit. Mais non. Pourquoi ne nous a-t-on pas autorisés ?

Sergueï Lavrov : Je ne sais pas.

BBC : Je ne sais pas non plus.

Sergueï Lavrov : Nos journalistes étaient là-bas, travaillant 24h/24 et 7j/7 et ils ont montré les résultats des bombardements par les bataillons ukrainiens. Vous auriez pu voyager du côté ukrainien de la ligne de front. Ils n’ont rien eu de ce type de destructions de leur côté.

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BBC : Votre Président a récemment fait l’éloge de Pierre le Grand pour avoir conquis des territoires qui auraient d’abord appartenu à la Russie. Il a même ajouté que : « Apparemment, ils nous sont revenus aussi pour rendre à la Russie ce qu’il lui appartient et fortifier notre pays ». Combien d’autres territoires et quels territoires voulez-vous « rendre » à la Russie ?

Sergueï Lavrov : D’abord, le Président a déjà tout dit. Je n’ai rien à ajouter. Ensuite, encore, vous essayez d’oublier tout ce qui s’est passé avant.

BBC : C’est à propos de l’avenir M. Lavrov.

Sergueï Lavrov : Je suis en train de vous dire. Vous annulez (cancel), vous ne voulez pas entendre ce qui s’est passé avant le 24 février. Ce qui est arrivé avant le vote en Crimée. Vous n’aimez pas le fait que nous sommes très patients, mais que notre patience a des limites. Nous réagissons au fait que le peuple russe soit malmené et humilié, comme ce qui est arrivé en février 2014 pendant le coup d’État. Quand ceux qui sont arrivés au pouvoir ont dit qu’ils allaient révoquer le statut du russe comme langue régionale [Attendez une seconde], qui ont dit qu’ils allaient éjecter les populations russes en dehors de la Crimée – ils ont envoyé des gens armés là-bas, qu’est-ce que la BBC en a rapporté alors ? Absolument rien. Vous dites que c’est juste un processus démocratique normal, c’est tout.

BBC : Pouvez-vous dire catégoriquement qu’il n’y aura pas d’autres opérations militaires spéciales russes, des invasions d’autres pays sur les frontières russes ?

Sergueï Lavrov : Pendant longtemps, nous avons fait confiance à vos camarades, à vos compatriotes, tout comme aux autres membres de l’OTAN, quand ils parlaient avec grandiloquence du principe d’indivisibilité de la sécurité – selon lequel personne n’a le droit de renforcer sa sécurité au détriment de quelqu’un d’autre. Mais quand nous avons dit que cinq vagues d’expansion de l’OTAN constituaient une menace pour nous, nous avons été ignorés. Le président français Macron a dit : « Nous devrions parler avec la Russie, nous ne devrions pas l’humilier ». Vous savez qui a répondu ? Le ministre des Affaires étrangères tchèque, M. Lipavsky ou quelque chose comme ça. Il a dit que Macron ne comprenait rien, sous-entendant que les Russes devraient être humiliés. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

BBC : Je veux vous interroger à propos des hommes britanniques qui ont récemment été condamnés à mort dans la RPD. Aux yeux de l’Ouest, la Russie est responsable du sort de ces gens. Ne pensez-vous pas que cette peine de mort…

Sergueï Lavrov : Je ne m’intéresse pas au regard porté par l’Ouest du tout. Je m’intéresse seulement au droit international. Selon le droit international, les mercenaires ne sont pas reconnus comme des combattants. Donc quoique l’Ouest en pense, pour être honnête, c’est sans intérêt.

BBC : Non, ils ne sont pas mercenaires, ils servaient dans les forces armées ukrainiennes.

Sergueï Lavrov : Cela devrait être décidé par une cour.

BBC : Et vous pensez que ce sont des cours indépendantes dans la RPD ?

Sergueï Lavrov : J’en suis convaincu. Vous pensez que les cours du Royaume-Uni sont indépendantes ? Après la mort de Litvinenko, vos cours indépendantes se sont saisies de l’affaire et ont déclaré un processus public. Ce qui signifie un processus secret. Vous avez fait la même chose pour l’affaire Skripal. Ce sont vos lois.

BBC : Est-ce que le gouvernement britannique vous a contacté pour le sort de ces hommes ? Et les citoyens marocains ?

Sergueï Lavrov : je ne sais pas s’ils nous ont contactés. Ils sont habitués à tout faire publiquement, en disant qu’ils sont inquiets du sort de leurs citoyens. Je ne sais pas s’ils nous ont demandé. Ils devraient contacter la RPD.

BBC : A propos des relations actuelles avec le Royaume-Uni de manière générale. Dire qu’elles sont mauvaises est un euphémisme…

Sergueï Lavrov : Je ne pense pas qu’il y ait encore même un espace quelconque pour une marge de manœuvre, parce que Johnson et Truss disent ouvertement qu’il faut vaincre la Russie, qu’il faut mettre la Russie à genou. Allez-y alors, faites-le !

BBC : Comment voyez-vous le Royaume-Uni maintenant ? Comment Moscou le voit ?

Sergueï Lavrov : Comme un pays qui sacrifie encore une fois les intérêts de son peuple sur l’autel des ambitions politiques. Ses politiciens ne pensent qu’à la prochaine élection et à rien d’autre.

BBC : Vous critiquez des pays comme la Grande-Bretagne qui équipent Kiev en armes. Qui est le plus à blâmer ici : des pays qui donnent des armes à un pays défendant son territoire, l’Ukraine, ou le pays qui a attaqué l’Ukraine, la Russie ?

Sergueï Lavrov : Comment peuvent-ils défendre leur territoire s’ils bombardent leurs propres civils ? Je vous le rappelle, en septembre, Zelensky a dit que ceux qui veulent penser en russe et se sentent russes devraient partir pour la Russie. Pourquoi ne parlez-vous pas de cela ? Pourquoi oubliez-vous les évènements qui se sont passés avant ? Mais maintenant, quand ils bombardent leurs propres villes, leurs propres marchés, leurs propres maternités, ça ne pose pas de problème. Vous demandez : pourquoi la Russie continue à faire la guerre ? C’est en réponse à ce que nous avons montré. Peut-être qu’en Angleterre, ils ne montrent pas les conséquences des bombardements à Donetsk, à Kramatorsk, et d’autres villes, mais vous l’avez probablement vu ici.

BBC : J’ai vécu en Russie pendant presque 30 ans. J’ai parcouru tout le pays. Dans toutes les villes et villages où je suis allé, savez-vous la phrase que j’entends le plus ? « Nous devons éviter la guerre ». Je sais que votre pays souffre terriblement de la guerre, et c’est pourquoi je ne peux simplement pas comprendre pourquoi votre pays a commencé une guerre contre l’Ukraine. Une guerre en Europe. Je ne comprends pas la raison. Pour détruire l’Ukraine et le futur de votre pays ?

Sergueï Lavrov : Je vous comprends. Mais pouvez-vous comprendre la politique de Kiev pendant les dix dernières années d’interdire tout ce qui est russe ? Pouvez-vous le comprendre ? Pensez-vous que la phrase « Nous devons éviter la guerre » signifie que les Russes et la Russie peuvent être humiliés ? Comme le ministre des Affaires étrangères tchèque l’a dit en réponse à l’appel de Macron de ne pas humilier les Russes. Personne ne parle de cela pour je ne sais quelles raisons. Vous avez juste choisi les morceaux dont vous aviez besoin pour conforter votre ligne, pour la logique de votre reportage. « Nous devons éviter la guerre », oui, cette phrase est profondément ancrée chez le peuple russe. Mais il a aussi une fierté, une fierté nationale et un sentiment d’estime de soi qu’on essaye de retirer en Ukraine à tous les Russes, avec l’aide de l’Ouest. C’est tout.

BBC : Merci beaucoup.

Sergueï Lavrov : Merci.

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