Livre – Dictionnaire amoureux de Montaigne

20 octobre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Cénotaphe de Michel de Montaigne au musée d'Aquitaine à Bordeaux

Abonnement Conflits

Livre – Dictionnaire amoureux de Montaigne

par

Montaigne est notre contemporain. Il a tant de choses de l’esprit à nous apprendre en nous menant de sa main calme et sûre sur le chemin de la liberté, de la paix, de la tolérance et de la sérénité en ces temps de Covid-19.

Montaigne côtoya plusieurs épidémies de peste, que ce fût durant ses voyages ou, en 1585, dans le Bordelais. Il ne s’est pas laissé exagérément affecté par la peur légitime qu’elle suscitait (le taux de létalité pour les personnes contaminées atteignait les 100%) : « L’appréhension ne me presse guère, laquelle on craint particulièrement en ce mal » … « Toutes les maladies sont prises pour peste ; on ne se donne pas le loisir de les reconnaître. Et le plus beau, c’est que selon les règles de l’art, à tout danger qu’on approche, il faut être quarante jours en transe de ce mal, l’imagination vous tourmentant pendant ce temps à sa mode et enfiévrant votre santé même. Tout cela m’eût beaucoup moins touché si je n’eusse à me ressentir de la peine d’autrui et servir misérablement de guide à cette caravane ».

« Inévitable », dit-il, la mort, tôt ou tard, l’est toujours pour chacun d’entre nous. Voilà une leçon de sagesse que l’homme moderne a bien oubliée. On a dit de l’auteur des Essais, qu’il était sage, stoïque, sceptique. Voilà donc bien des raisons de le relire à la lumière des commentaires d’André Comte Sponville, qui, après bien d’autres, le classe comme le plus grand prosateur français et l’un des grands philosophes. Pourtant Montaigne juge son style « trop serré, désordonné, coupé, particulier ». André Comte Sponville quant à lui ne tarit pas d’éloges. Même Pascal à côté, a quelque chose de rhétorique, de forcé, d’exacerbé, estime-t-il ; Voltaire manque de saveur ; Diderot de souplesse ; Flaubert de spontanéité ; Valéry de chair ; Proust de simplicité ; Alain de nature… Tout comme Rousseau ou Chateaubriand qui pour Comte-Sponville semblent lourds comparés à Montaigne. C’est que Montaigne garde tout au long de son écriture quelque chose de primesautier, d’improvisé, d’aventureux. «Il faut que j’aille de la plume comme des pieds ». Il ne sait pas où il va et nous non plus : il avance, il découvre ce qu’il pense en l’écrivant, il jette sur le papier ses « humeurs, ses cogitations, sujet informe » (II, 6, 379), ses inclinations et affections (III, 9, 983), ses « rêveries », n’écrivant que pour son plaisir « lorsque trop lâche oisiveté le presse, donc pour se désennuyer, moins par travail que par jeu ».

A lire aussi : Livre – Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel

Lui qui aimait tant les voyages, s’il avait eu le choix, il aurait voulu passer sa vie « le cul sur la selle » (III, 9, 987) ne désirant que rencontrer d’autres lieux, d’autres humains surtout, avec lesquels il voulait ardemment converser : « A voyager, cela même me nourrit que je me puis arrêter sans intérêts (sans dommages), et que j’ai où m’en divertir commodément » (III, 9, 988). Que de choses nous montre-t-il. Il nous les suggère, car enseigner ex cathedra est une habitude qu’il n’avait guère.

Parmi les nombreuses entrées, si riche en citations voyons ce que l‘ancien maire de Bordeaux pensait de la guerre, qu’il fit peu. Il s’y intéresse sans l’aimer. Il admire les hauts faits militaires, pour la vaillance qu’ils révèlent, sans ignorer ce qu’il peut y avoir dans toute guerre d’effrayant ou de méprisable. La guerre reste une « maladie humaine » (I, 31, 210). Il ne les condamne pas toutes (il est pacifique, non pacifiste), mais y voit, dans l’ensemble, un signe de notre misère plus que de notre grandeur.

Longue est la liste de ses admirateurs qu’André Comte-Sponville énumère. Mais l’hommage qui le touche le plus est celui en acte de Tolstoï. Lorsqu’il partit pour son dernier voyage, dont il ne devait pas revenir, l’auteur de Guerre et Paix n’emporta que deux livres : la Bible et les Essais.

Mots-clefs :

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Cénotaphe de Michel de Montaigne au musée d'Aquitaine à Bordeaux

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest