Trump les dégoûte : trop vulgaire, trop provocateur. Les vieux de la vieille du Parti républicain choisissent de voter démocrate. De faux ralliements : sur l’immigration ou l’interventionnisme, ils sont d’accord.
Certains le croyaient mort. Et peut-être qu’il n’est pas loin de l’être. Dick Cheney, l’ancien vice-président de George W. Bush, a disparu des écrans de télé depuis longtemps ; son état physique donnerait à Joe Biden des airs de jeune premier (cinq crises cardiaques en trente-deux ans et une greffe du cœur) mais quand il s’agit de s’en prendre à Donald Trump, miracle : le vieil homme de 83 ans, dont les soucis de santé et l’âge le font ressembler à Gorbatchev au seuil de sa vie, revient d’entre les (presque) morts. C’est par communiqué que le faucon de l’administration Bush Jr, le plus va-t-en-guerre des néoconservateurs (avec Donald Rumsfeld), a déclaré qu’il allait voter Kamala Harris. Cousin éloigné de Barack Obama (ils partagent des ancêtres communs), haï par la gauche américaine (en débat face à Sarah Palin, Joe Biden l’avait, en 2008, qualifié « de vice-président le plus dangereux des États-Unis »), le voilà adulé par les démocrates ! On loue son sens des responsabilités, son goût pour la démocratie. En France, on dirait qu’il est républicain. Sauf que le nom est déjà pris en Amérique ! Alors, on dit qu’il est « à l’ancienne » (old school Republican), bref qu’il représente la droite fréquentable, celle que les élites de Washington aiment : de quoi nourrir encore davantage le ressentiment à l’égard du Deep State, l’État profond, tous copains, tous coquins. Pour résumer le républicain « à l’ancienne », donc compatible avec le démocrate d’aujourd’hui, est indifférent à l’immigration et partisan d’une politique étrangère interventionniste. Suffisant pour être respectable ! En vérité, ce soutien n’a absolument rien d’une surprise. Et ne constitue pas une mauvaise nouvelle pour le camp Trump, qui voue aux gémonies l’OTAN et vomit cette Amérique qui veut encore gendarmer le monde.
Républicains contre leur camp
Il y a longtemps, depuis 2008, et donc la première candidature de ce qu’on ne croyait être alors qu’un excentrique milliardaire, ancienne vedette de télé, que les fossiles des administrations Ford et Reagan s’étaient désolidarisés de Trump avec plus ou moins de publicité. Les Bush le détestent mais se gardent encore de transmettre des communiqués : officiellement on ne soutient aucun des deux camps.
John McCain le haïssait mais laissait le soin à sa fille Meghan de le vomir sur les plateaux télés (ce qu’elle fait encore). Mitt Romney, candidat malheureux face à Obama en 2012, était bien allé lui serrer la main à la Trump Tower après sa victoire de 2016, en espérant un poste, avant de le vilipender. Idem pour l’ex-speaker Paul Ryan, conservateur du Wisconsin, social-compatible. Et enfin Mike Pence qui, sans dire ouvertement s’il votera pour la démocrate, a clairement répété qu’il ne soutiendrait pas « en toute conscience » son ancien patron « qui a voulu que je le place au-dessus de la Constitution », une référence au 6 janvier, où en tant que vice-président, il présidait la certification de l’élection au Congrès avant qu’il ne soit pris d’assaut. D’autres républicains ont rejoint cette longue liste. 200 membres des équipes Bush, Bush fils, du sénateur McCain et de Mitt Romney ont ainsi signé une lettre ouverte, dans USA Today. « Des mouvements démocratiques de grande envergure seront irrémédiablement compromis si Trump et son acolyte J.D. Vance s’inclinent devant des dictateurs comme Vladimir Poutine tout en tournant le dos à nos alliés », s’inquiètent-ils.
À la convention démocrate de Chicago, en août dernier, plusieurs républicains sont venus sur scène défendre leur choix de voter démocrate. Parmi eux, John Giles, le maire de Mesa, une ville dans le sud de l’Arizona, est un habitué du genre : il avait déjà soutenu le démocrate Mark Kelly face au trumpiste Blake Masters pour l’élection sénatoriale de 2022. Ou encore l’ancien lieutenant-gouverneur de Géorgie Geoff Duncan, très critique de Trump en 2020 lorsque ce dernier avait tenté d’inverser les résultats de l’élection présidentielle dans cet État clé.
Républicains pour une droite qui n’existe plus
Partout, on parle de « décence », de « respect de la démocratie ». On oublie aussi le principal, moins glorieux. Ces républicains représentent une droite qui n’existe plus aux États-Unis, une droite qui, comme les démocrates, a méprisé les cols bleus, vendu son industrie, et qui, sous prétexte de libre-échange, s’est livrée à la mondialisation. Une droite, enfin, allergique au populisme que lui inspire le mouvement Maga (l’acronyme de Make America Great Again). Quand Liz Cheney, la fille de l’ancien vice-président, et ex députée du Wyoming, pourfend le trumpisme, c’est par atavisme idéologique. Que Trump ait osé (même avec retard) critiqué les interventions en Irak ou en Afghanistan, deux échecs majeurs de la droite néoconservatrice, est une insulte bien plus insupportable pour elle que ses dérapages verbaux ou son possible futur casier judiciaire.
En face, Trump se frotte les mains. Ses défections n’en sont pas. Il les appelle d’ailleurs sous le vocable de « rino » (Republicans in name only, soit les républicains de nom uniquement), soit l’intelligentsia bien-pensante du parti qui, jusqu’à sa candidature, n’osait pas parler de défense des frontières et d’identité américaine, des thèmes trop vulgaires pour ces représentants du marais washingtonien. À en croire les partisans du candidat républicain, leur désobéissance n’est que de pure forme : ils ont toujours été démocrates, la preuve ultime étant leur volonté de poursuivre l’aide militaire et financière à l’Ukraine coûte que coûte.
L’antitrumpisme d’anciens républicains est devenu un business lucratif. Le Lincoln Project s’en est fait une spécialité avant que ce soit une mode. En 2019, un groupe de républicains, tout à fait inconnu du grand public, signait une tribune dans le New York Times contre Trump et inondait les réseaux sociaux de clips (souvent intelligemment montés) contre le président républicain. Parmi eux, l’avocat George Conway, alors mari de Kellyanne Conway, une proche conseillère du président républicain à la Maison-Blanche. Drame familial : leur fille menaçait de fuguer, la mère démissionnait, le père jurait qu’il se tairait, et les parents finirent par divorcer mais l’œuvre de Conway et de ses amis perdure. Patatras ! Ce groupe de philanthropes avait amassé pas loin de 90 millions de dollars de dons (certains, comme celui de Stephen Mandel, un milliardaire canadien, ancien maire d’Edmonton) et quelques-uns de ses fondateurs avaient utilisé cet argent « désintéressé » pour alimenter des sociétés écrans et se servir au passage. Il est vrai que chaque camp a son traître. Après tout, Trump lui-même est un ancien démocrate, tout comme J.D. Vance. Et le camp républicain adore exhiber sa nouvelle prise de guerre, l’ex-députée démocrate de Hawaï, Tulsi Gabbard, dont les états de service se résument à quelques phrases bien senties lors d’un débat des primaires en 2019 face à Kamala Harris et à une haine presque irrationnelle de l’Ukraine. C’est peu de chose. Mais en politique américaine, on se console facilement.