Alors que sa population ne cesse de croître, l’Afrique est plus que jamais confrontée à des problèmes de développement.
En 1970, l’Afrique comptait 365 millions d’habitants, soit 9,9% de la population mondiale. On estime généralement, en s’appuyant sur les prévisions du département démographique de l’ONU, que la population actuelle, 1,3 milliard d’habitants en 2018 (17% de la population mondiale) devrait atteindre 2,5 milliards en 2050 (26% de la population mondiale) et 4,5 milliards en 2100. Ainsi, ce continent constitué de 54 États répartis sur 30,4 millions de km2 (soit un quart de la superficie terrestre) représenterait 40% de l’humanité, alors que la population du reste de l’humanité ne progressera que de 50%.
Ces chiffres globaux souvent cités et commentés sont-ils crédibles ? Car lorsqu’on les examine dans le détail, ils donnent le tournis : le Nigéria par exemple devrait connaître une progression de + 326% à 793 millions d’habitants, la RDC de + 381% à 378 millions, la Tanzanie de + 447% à 304 millions, l’Ouganda de + 415% à 214 millions et le Niger en partie désertique, qui détient le record mondial de fécondité de 7,3 enfants par femme, de +830% à 192 millions ! L’Afrique pourra- t-elle continuer sans dommage à croître à ce rythme ? Certes sa densité est faible avec 41,2 habitants au km², loin derrière la moyenne mondiale et encore loin de la Chine (147 habitants au km2) et surtout de l’Inde (445 habitants an km²). Au rythme actuel elle devrait atteindre 152 habitants au km² en 2100.
Lire aussi : Centrafrique : rencontre avec le Père Bernard Kinvi
Mais ses conditions climatiques, la compostions de ses sols, la pluviométrie, l’état de ses infrastructures lui permettront-ils de relever, seule, un défi d’une telle ampleur ? Poser la question c’est déjà lui apporter un début de réponse. Cette situation n’augure- t-elle pas une ère de migrations, se dirigeant principalement vers l’Europe ? De ceci découle pour cette dernière la nécessité de répondre au défi du développement de l’Afrique, car seule l’Europe y porte un réel intérêt, en est capable et désireuse d’agir. Mais comment y parvenir dans l’espace d’une génération alors que tant d’efforts ont été de tous côtés entrepris ?
Telle est la question à laquelle les auteurs, ingénieurs agronomes de formation, cofondateurs de la société de conseil Pythagore Consult, s’efforcent à leur tour d’apporter des éléments de réponse. Certes l’Afrique dispose sur le papier de nombreux atouts pour se développer, elle recèle entre le tiers et la moitié des ressources naturelles de la planète. Pourtant, un développement fondé sur les seules matières premières n’est guère concevable pour répondre aux besoins croissants d’une population en aussi forte expansion. De plus, les 5,7% de croissance du PIB entre 2000 et 2008 qu’a connu le continent doivent être amputés des deux tiers pour refléter le potentiel de l’Afrique, ne laissant qu’un maigre + 1, 9% par an, guère plus que la croissance potentielle et moins que la croissance démographique annuelle de 2,6% par an. Or la croissance a de nouveau fléchi ces dernières années : 2,3% en 2017, 2,7% en 2018 et le nombre des pays africains endettés est passé de 12 à 14 rappelant le spectre des années 1990.
Lire aussi : L’éco, une monnaie unique pour développer la conquête de la mondialisation en Afrique de l’Ouest
Afin de parvenir à un meilleur développement, l’Afrique doit donc progresser sur tous les fronts. Sa production manufacturière ne représente que 9% de son PIB global contre 27% pour la moyenne mondiale. La faculté de faire des affaires en Afrique, encore très faible comme l’atteste le classement de la Banque mondiale Doing Business, doit être considérablement améliorée. Bien peu d’économies africaines ont atteint une masse suffisante susceptible de constituer un marché intérieur attractif. Le PIB de la RDC n’est que de 37,2 milliards de $, celui de l’Angola, 124,2 milliards, celui du Nigéria, première économie africaine 375 milliards de $ ce qui correspond au chiffre d’affaires annuel des plus grosses entreprises multinationales.
Les pays africains ne réalisent que 20% de leurs échanges entre eux contre 66% en Europe. D’où la nécessité de renforcer considérablement les unions douanières régionales. Heureusement un pas en avant d’envergure vient d’être réalisé avec la décision prise au sommet de Kigali, en mars 2018, de créer une Zone de libre-échange continentale (ZLEC) s’étendant du Cap au Caire, de Dakar à Djibouti qui prévoit la suppression des tarifs douaniers sur 90% des produits d’ici cinq à dix ans ce qui devrait augmenter le commerce inter africain de 60% d’ici 2022. La phase opérationnelle a été lancée au sommet de l’Union africaine de Niamey, au Niger, le 7 juillet 2019 avec l’établissement des règles d’origine, des mécanismes d’arbitrage. Cinquante-deux des cinquante-cinq membres de l’Union africaine ont signé l’accord sur la ZLEC et le Nigéria vient de s’y joindre, laissant seule l’Érythrée à l’écart.
Lire aussi : La colonisation est-elle responsable des malheurs de l’Afrique ?
Pour assurer un développement durable et soutenu en Afrique il convient d’améliorer les infrastructures africaines ce qui exige des investissements de 90 milliards $ par : où trouver de telles sommes ? Il convient aussi de mettre l’accent sur la formation des jeunes et des femmes et d’améliorer l’état sanitaire de la population. On doit se demander aussi pourquoi les 1 000 milliards d’aide publique au développement destiné à l’Afrique au cours des cinquante dernières années n’ont pas eu l’effet escompté et surtout n’ont pas amélioré de façon significative les économies africaines. Est-ce seulement dû au fait que l’APD -15% du PIB africain, a été détournée de ses objectifs, a gonflé les bureaucraties, a favorisé la corruption, a conduit à des projets de prestige ? De ce fait, plus qu’un plan Marshall, solution si souvent avancée pour faire décoller l’Afrique, c’est un encouragement massif et durable aux investissements qu’il s’agit de mettre partout en œuvre.
À l’Europe qui reste le premier investisseur en Afrique, talonnée par la Chine, d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Un des objectifs prioritaires à atteindre, comme l’avait envisagé Jean Louis Borloo, est de procéder à l’électrification de l’Afrique. Les 620 millions de pauvres qui n’ont pas accès à l’électricité paient beaucoup plus cher cette énergie qu’un Occidental : 10 $ le kilowattheure contre 0,12 $ à New York et 0,13 à Paris. Or le manque d’électricité est le principal frein au développement de l’industrie et des nouvelles technologies. Un nouveau « deal » est-il possible, seul il donnerait un sens à l’avenir de l’Afrique … et au nôtre.
Le futur de l’Europe se joue en Afrique, de Christophe Prat et Jean-Luc Buchalet