Aborder la mondialisation sous tous les angles, c’est ce que proposent Philippe Lemarchand et son équipe. Elle a fait accéder à la classe moyenne, sorti de la misère des millions d’individus, mais n’a pas su « stopper l’histoire », ni sortir de la guerre un monde en proie à des problématiques complexes. Sous forme de dictionnaire, où le plaisir de choisir l’approche et la précision des articles se mêlent, La mondialisation en question: 1000 articles pour comprendre, vise juste.
Sous la direction de Philippe Lemarchand, ancien enseignant aux universités de Londres et Westminster ainsi qu’à Sciences Po, correspondant de la BBC , directeur-fondateur des éditions Atlande, ce dictionnaire, aboutissement d’un travail de douze ans, est le fruit de la collaboration d’une équipe d’une trentaine d’experts issus d’horizons divers, fortement marqués par Sciences Po et l’ENS : économistes, financiers, historiens, géographes, sociologues, juristes, philosophes, spécialistes de relations internationales, d’action humanitaire, d’environnement, de nutrition, de transport, de musique, de BD, de littérature ou de cinéma. Il appréhende donc la mondialisation, de manière très complète afin de donner à la comprendre dans toutes ses dimensions : géopolitiques, géographiques, économiques, techniques, culturelles. Une page entière est par exemple consacrée à Harry Potter, qui vient d’être classé par les lecteurs du Monde, au premier rang des œuvres littéraires de tous les temps !
On notera d’abord les entrées consacrées aux grandes conférences ou traités qui posent, au cours des siècles, les jalons de l’ordre mondial : Traités de Westphalie (1648), Traité de Vienne (1815), de Versailles (1919), conférence de Yalta (1945), auxquels les auteurs ont ajouté bien des éléments essentiels de l’ordre actuel : TNP de 1968, Traité sur le droit de la mer (1982) … Bien entendu, une grande part est consacrée aux piliers de l’ordre économique et commercial mondial, GATT, OMC, BIRD, FMI, CNUCED, mais une bonne place est également réservée aux think tanks, aux clubs de Londres, Paris, Rome, malgré leur différence de nature, aux divers fonds monétaires, de développement et aux G7, G8, G10, G15, G20, qui forment l’archipel de la gouvernance mondiale. Sont abordés tant les notions globales, telles que les pays en développement, le Tiers monde, la PMA, les pays en transition, les pays émergents, que les aspects financiers et comptables. Mais outre ces dimensions, considérées comme habituels pour un connaisseur des relations internationales, ce dictionnaire accorde une large place au degré culturel. Plus encore, le sociétal se montre comme un des aspects de la mondialisation, de l’occidentalisation et de l’américanisation du monde : les Beatles, James Bond, Michael Jackson, manga, marijuana, Hollywood, Bollywood, Nollywwod.
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Après la chute du Mur en 1989, et la proclamation par George W. Bush d’un nouvel ordre mondial, dans la lignée d’un Francis Fukuyama prévoyant la fin de l’histoire, le monde entier – en dehors de quelques isolats, comme la Corée du Nord – entre de plein pied dans une première phase de la mondialisation globale. La mondialisation des années 1880-1910 étant presque exclusivement celle de l’Europe et des États -Unis. Ce nouveau-cru, mû par les NTIC de la décennie 1990, correspond avec l’ère de l’hyperpuissance américaine. Partout les États, firmes multinationales, penseurs, et publicistes, sont portés par l’espoir de généralisation d’un modèle libéral occidental qui paraît alors être le nouvel « horizon indépassable » de ce temps. Un ordre basé sur le droit des individus, la démocratie parlementaire, la liberté de la presse, les élections libres, le libéralisme économique, le retrait des États et une interdépendance croissante qui ferait reculer l’usage de la force, toutes notions décryptées dans l’Atlas.
D’internationale, l’économie passe au rang mondial, du fait des délocalisations, de la concentration capitalistique, de l’explosion des transports et des nuisances environnementales qui l’accompagnent. Elle a pour conséquence la sortie de la misère d’une grande part de l’humanité (Chine, puis Asie du Sud), l’émergence d’une classe moyenne (jusqu’en Afrique) et la formation d’un embryon de conscience collective commune à l’humanité. Celle-ci se traduit notamment par l’apparition de la notion des biens publics mondiaux, les « global Commons », expression, nous indique-t-on, apparue dans un rapport de 1980 du Programme des Nations-Unies sur l’environnement (PNUE) et de l’UNESCO, désignant alors les régions du monde se situant au-delà des juridictions nationales, à l’exemple de la haute mer. Mais en 1999, un rapport du PNUD, publié à l’occasion du G8 de Cologne, élargit cette notion à tous les biens économiques, ne pouvant faire l’objet d’une appropriation individuelle ; plus largement, de l’ensemble des biens touchant l’intégralité des pays, toutes les générations, tous les groupes d’individus. Le climat, la qualité de l’eau et de l’air, la biodiversité, un ordre financier mondial, la paix, la sécurité, le développement durable (un des huit objectifs du Millénaire du 8 septembre 2000) en faisant donc partie.
Le dictionnaire comporte à la fois des notices de base, plutôt descriptives et succinctes, et une courte liste d’articles plus approfondis comme la multipolarité à onze pages pour les matières premières parmi lesquels Banque mondiale, changement climatique , commerce international, conflits et résolution des conflits, consommation, développement, diaspora, eau, islamisme, libéralisme, Méditerranées, première mondialisation, multipolarité, nationalisme, OMC, ONU, pétrole, Renaissance, territoire, transport. Il décrit la gamme la plus complète des phénomènes liés à la mondialisation : humanisation, tourisme, changement climatique, crise financière, délocalisations, dette, exposition universelle, « global cities », village planétaire, diversité des langues, espéranto, titrisation, dumping social, multiculturalisme, multilatéralisme, transculturalisme… Il définit également les concepts du phénomène de mondialisation actuelle : monde, économie-monde, société-monde, système-monde, empire-monde, califat, accélération, mobilité, régulation/dérégulation, interdépendance, hyperpuissance, acculturation, créolisation ou littoralisation, métropolisation.
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Une grande partie du dictionnaire est consacrée aux divers acteurs engagés dans le processus de mondialisation, ceux qui la façonnent aussi du fait de l’importance de leur domaine de compétence ou de leur champ d’action.
Mais depuis le milieu des années 2010, c’est-à-dire, peu avant le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump, la mondialisation est remise en question. Bien des pays de la planète commencent à se fermer au lieu de continuer à s’ouvrir, le commerce international, qui progresse alors deux fois plus en moyenne que la croissance mondiale, se situe désormais en dessous.Il est cependant décevant que les derniers chiffres fournis datent de 2014 et 2016.
Partout on assiste à la montée des populismes et des nationalismes, à la crise du multilatéralisme, alors que la forme de gouvernance, fondée sur le dialogue des grandes puissances, reste toujours introuvable. Une large place a été en conséquence accordée aux critiques de la mondialisation et aux forces qui ont essayé de s’y opposer, comme la continentalisation, la régionalisation, la fin de la globalisation, des pôles de résistance (souveraineté altermondialisme, antimondialisme, westoxification).
C’est dire la richesse et la diversité de cet ouvrage, véritable instrument de connaissance et d’analyse, clair, disponible, à la fois par sa taille, poche, son poids et son prix, qui comporte une multitude de connaissances, parfois pointues, comme la loi Sarbanes- Oxley adoptée en 2002 aux États-Unis après le scandale Enron, la banque des Zébus, qui accorde des prêts d’animaux de ferme aux paysans pauvres de Madagascar.
Puisque l’on s’émeut de la volonté de certaines puissances à s’accaparer les richesses de l’Antarctique, notons qu’une page entière est consacrée à ce sixième continent dont on continuera à entendre parler dans les années à venir.